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Le septième art attend son Steve Jobs

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Le cinéma cherche son modèle de dématérialisation

Je ne peux résister à vous proposer l’excellent article paru le 2 février dernier par Edouard Laugier sur le nouvel économiste.fr. Bonne lecture !

Le formidable succès de la plate-forme de téléchargement illégal MegaUpload est bien le signe d’un manque dans les modèles licites de diffusion numérique. Les aficionados de films et de séries attendent toujours en effet l’offre qui viendra structurer la demande par le haut, comme a su le faire i-tunes dans la musique. Qu’il s’agisse de prix, de choix ou de simplicité d’usage. Une offre qui continue à s’arcbouter sur ses positions, laissant au passage le champ libre au piratage et à la frustration d’un consommateur désormais drogué à l’immédiateté et au fameux acronyme « Awatad » – Any way, any time, any device -. Fédérer tous les acteurs de la chaîne de valeur du cinéma, ayant droits inclus, sera sans doute plus difficile que pour la musique, la presse ou le livre. En raison de contraintes notamment financières propres au grand écran. Il y a bien un moment, pourtant, où il va falloir se mettre autour de la table.

« La dématérialisation des contenus culturels est un chemin semé d’embûches. L’industrie musicale peut en témoigner. Comme chaque année depuis 2004, le marché mondial de la musique s’est encore contracté l’an dernier, selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifpi). Sous les coups de boutoir du digital, son chiffre d’affaires a régréssé de 3 % à 16,2 milliards de dollars. Après l’audio, le cinéma ? La question est dans tous les esprits depuis la fermeture du site Web MegaUpload par le FBI. Cette opération a mis au grand jour le piratage de masse dont le cinéma est aujourd’hui victime. De là à penser que les industriels du spectacle sur grand écran risquent de connaître le même sort que leurs homologues de la musique…

La multiplication des sites Internet diffusant illégalement des contenus n’épargne plus Hollywood. La plateforme de téléchargement MegaUpload est le puissant symbole de la perte de contrôle des studios sur leur production. Chiffres éloquents : plus de 150 millions d’utilisateurs enregistrés sur le site et 50 millions de visiteurs uniques par jour. Côté audience, MegaUpload était le treizième site mondial avec une fréquentation comparable à celles de AOL, CNN ou eBay !

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Côté serveurs, il n’avait rien à envier aux géants du Web avec un bon millier d’ordinateurs surpuissants, principalement aux Etats-Unis et aux Pays-Bas. Soit plus de 25 millions de gigaoctets de données, donc plusieurs dizaines de millions de films et autres vidéos ! Autant qu’Apple ou Amazon…

Fort d’une telle force de frappe, MegaUpload contrôlait de 4 à 7 % du trafic Internet mondial. « Dans notre industrie, personne n’a été épargné, explique Juliette Prissard, la déléguée générale du Syndicat des producteurs indépendants (SPI). Le site s’enrichissait sur le dos des producteurs et auteurs de contenus. Petits comme grands. » Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, ce service n’était pas gratuit mais payant ! Ses créateurs, en particulier le caricatural Kim Schmitz alias DotCom, encaissant des revenus des abonnements et des annonceurs, aurait réalisé près de 150 millions d’euros de profits.

Ils n’ont rien inventé : juste appliqué les règles du freemium à leur activité illicite. L’association d’une offre gratuite, libre en accès bas de gamme, et d’une offre « Premium », haut de gamme, en accès payant. « Bien que pirate, le site était extrêmement bien fait et le service client qualitatif. Du coup, certains croyaient que le MegaUpload était légal ! », assure Richard Huin, fondateur de Imineo.com, un site de vidéo à la demande français. Ce succès malheureux s’explique de plusieurs manières.

Un nouveau consommateur digital

Internet a transféré le pouvoir aux individus. Des premiers forums de discussion aux réseaux sociaux d’aujourd’hui, le Web a transformé l’internaute et donc ses comportements. La culture n’y a pas échappé. « Les modes de consommation de la culture ont évolué, constate Patrick Waelbroeck, enseignant-chercheur à Télécom ParisTech. Nos études ont montré que ceux qui téléchargent, légalement ou pas, n’iront pas acheter de DVD en magasin. Posséder un support ne les intéresse pas, en revanche ils fréquentent beaucoup les salles de cinéma. »

Ces nouvelles habitudes s’ancrent fortement chez le consommateur. A tel point qu’aux Etats-Unis, lorsque NBC a retiré ses contenus de la plate-forme iTunes d’Apple, les ventes de DVD n’ont pas augmenté. Que s’est-il alors passé ? Le téléchargement des contenus de NBC sur les plate-formes illégales a fait un bond en avant. « Le consommateur veut beaucoup de choix, vite et si possible peu cher », soupire Mathias Hautefort, directeur général de Vidéo Futur Entertainment Group qui opère entre autres sur une plateforme de Video-on-demand (Vod).

C’est déstabilisant. La rapidité des communications et des échanges a particulièrement affecté le genre des séries télévisées. Le phénomène est connu : dès le lendemain de leur diffusion outre-Atlantique, des épisodes de séries américaines, sous-titrés en français par des communautés de fans francophones, se retrouvent en téléchargement sur Internet.

Modes de répression obsolètes

Sous la surveillance des autorités, dont l’Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) en France, les réseaux d’échanges illégaux ont eux aussi évolué. Jeu du gendarme et des voleurs, les premiers surveillent certains carrefours, alors les contrevenants empruntent d’autres chemins. D’ou la substitution du peer-to-peer vers le streaming et le téléchargement direct.

Le vrai phénomène ces dernières années ? Le développement du streaming. Des offres légales se sont constituées. Gratuites, financées par la publicité en particulier dans la musique, mais aussi payantes comme Netflix pour des contenus cinéma et télévision aux Etats-Unis. Ce service rencontre un réel succès avec plus de 26 millions d’abonnés. Les promoteurs de l’illégalité se sont aussi engouffrés dans la brèche. Problème : streaming et téléchargement direct échappent encore à ce jour au contrôle. En France, Hadopi cherche toujours la parade. Un rapport et des préconisations sont attendus dans les prochaines semaines.

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Un de perdu, dix de retrouvés ?

Malheureusement, l’arraisonnement de MegaUpload ne représente en rien un coup décisif des éditeurs de contenus dans leur guerre contre le partage illégal. Selon le chercheur Patrick Waelbroeck, « 10 à 15 % des internautes téléchargent régulièrement et leur nombre a peu évolué ces dernières années. Malgré l’arrêt de MegaUpload, l’offre illégale reste abondante ». Il existe déjà d’autres canaux de téléchargement et de partages illégaux. Les consommateurs importants de films et autres séries ont investi ces plateformes. N’importe qui peut monter des serveurs en Ukraine ou en Russie pour distribuer des films en toute illégalité. Chaque fois qu’un service disparaît, un autre réapparaît.

« Le piratage a toujours existé et continuera d’exister. Il faut surtout rééduquer les individus à accepter de payer pour des contenus culturels. Mondialement, nous sommes victimes de la notion de gratuité véhiculée par Internet », peste Juliette Prissard, du Syndicat des producteurs indépendants. Face aux vitesses de téléchargement des réseaux toujours plus rapides et aux capacités de stockage des ordinateurs toujours plus grandes, la lutte est ardue. « Face à la révolution numérique, tout le monde n’est pas dans les mêmes starting-blocks. Le monde du cinéma est parti en retard », estimait le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand dans Le Journal du Dimanche.

Offre inadaptée

Que de temps perdu ! Comme l’industrie de la musique qui a mis de longues années à accepter les bouleversements du digital, celle du cinéma peine à apporter une réponse à ces évolutions. « Aujourd’hui le modèle fonctionne plus ou moins. Les studios attendent d’être dos au mur pour évoluer », constate Patrick Waelbroeck. Les revenus du cinéma dans le monde, plus de 30 milliards de dollars, proviennent en très grande majorité des entrées en salles, de la télévision à péage et du DVD.

« La vente dématérialisée de films demeure marginale pour les grands studios. En France par exemple, le marché du DVD pèse 1,3 milliard d’euros contre à peine 200 millions pour la VoD », explique Mathias Hautefort de Vidéo Futur. Pour les Warner Bros, 20th Century Fox, Sony, Buena Vista, Paramount et autres Universal (près de 60 % marché), le « physique » est une vache à lait qu’il convient de préserver.

Interdire le téléchargement illégal est une chose. Il faut que parallèlement des offres satisfaisantes voient le jour. « Ce n’est pas le cas, estime Gilles Babinet, le président du Conseil national du numérique. L’offre actuelle n’est pas de très bonne qualité. Il est fastidieux de trouver un contenu intéressant, les catalogues ne sont pas complets, il n’y a pas d’intégration des réseaux sociaux, la recherche thématique est de faible niveau. Bref, rien n’est fait pour véritablement séduire le consommateur. »

Malgré tous leurs efforts, même les professionnels de la VoD reconnaissent les difficultés actuelles. « Ce qui pose problème aujourd’hui aux internautes, c’est l’absence de site avec du choix et un prix acceptable », reconnaît Mathias Hautefort de Vidéo Futur. « Les grands propriétaires de patrimoine culturel ont toujours eu peur d’Internet, ajoute Richard Huin de Imineo.com. Les ayants droit veulent maximiser la valeur de leurs œuvres sur le temps en jouant sur la rareté. Le film Les Bronzés est acheté 800 000 euros la diffusion par la télévision. Il n’y a pas de plateforme qui peut assurer le même niveau de revenu sur une journée ou même une semaine de diffusion. »

Résultat, dans les offres légales, il y a un problème de catalogue. Beaucoup de films sont aujourd’hui indisponibles. Ils se retrouvent donc sur les plateformes parallèles. Selon Patrick Waelbroeck, « 30 % des films téléchargés sur les sites pirates sont du bas de catalogue, c’est-à-dire des films de plus de 10 ans et souvent indisponibles dans les magasins physiques ». Quant aux nouveautés, elles restent soumises à la chronologie des médias. En France, un film ne sera disponible en vidéo à la demande que quatre mois après sa première exploitation en salle. Ce délai est le même pour le DVD. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

En effet. Pendant des années, la VoD était soumise à une chronologie de 7,5 mois après la sortie en salle. Les plateformes ne disposaient pas de la communication publicitaire des studios réalisée pour la sortie du films en DVD. Les producteurs se sont fixé pour objectif de conserver le modèle existant le plus longtemps possible. « Quand j’étais à la tête de Musiwave (NDLR : société spécialisée dans les services de musique pour mobiles), j’ai eu les plus grandes difficultés à accéder au catalogue, rappelle Gilles Babinet. Si le niveau de piraterie est aussi élevé, c’est avant tout de la responsabilité des ayants-droit. »

D’un marketing de l’offre à celui de la demande

Et si le meilleur moyen de contrer le piratage consistait à proposer des offres fortes ? L’idée fait son chemin. Les studios ne doivent pas hésiter à travailler avec des sociétés innovantes. « Les consommateurs sont prêts à payer pour des services qui répondent à un besoin, insiste Patrick Waelbroeck. Et le chercheur en économie de citer l’exemple du site d’écoute musicale Spotify : « Pour 60 euros par an, les consommateurs s’abonnent à de l’écoute illimitée de musique. La plateforme a réussi à faire payer le double pour de l’écoute en mobilité. Il existe des solutions ! Les vainqueurs seront ceux qui proposeront des offres innovantes. » 

Les offres possibles? Du streaming HD très intégré dans les médias sociaux par exemple : chacun pourrait dire à tout moment d’un film « j’adore cette séquence » et la partager sur Facebook, Twitter ou YouTube. Cela inciterait les consommateurs à acheter des films. On peut aussi imaginer des services poussant vers le consommateur des contenus correspondant à leurs goûts. Ce que fait déjà Amazon sur son site. L’offre doit être qualitative et intuitive et le service, simple d’utilisation pour tous. Des facteurs clés de succès que le site MegaUpload mettait largement en avant. De nombreuses plateformes de partage clandestines exploitent le modèle de la « long tail ».

Une économie bien plus difficile à construire sur les sites légaux en raison des difficultés à convaincre les ayants droit. « L’offre illimitée contre abonnement à la MegaUpload n’existera jamais légalement. Nous nous en approchons », explique Richard Huin. Dans quelques semaines, Imineo lancera une formule d’abonnement quasi illimité aux 12 000 titres disponibles sur la plateforme. « C’est ce qui est le plus demandé. Mais c’est aussi le plus difficile à réaliser avec les ayants-droit. »

Le site fait de la programmation comme dans des salles de cinéma. Tous les mois certains films premium compris dans l’abonnement sont mis en avant par de l’éditorialisation. Juliette Prissard, déléguée générale du Syndicat des producteurs indépendants, confirme : « L’offre passe par des plateformes fortement éditorialisées. Nous ne voulons pas tomber dans une logique de grande distribution. De la régulation est nécessaire. » En fait, l’offre sera toujours imparfaite. Le public, lui, veut le film en même temps que la sortie en salle. Ce n’est pas possible.

En attendant Steve…

Les studios et les producteurs ne sont pas très innovants. Pour Gilles Babinet, « l’erreur est majeure : l’innovation n’est pas le postulat initial de ces métiers. Malheureusement pour eux, Schumpeter n’a jamais été aussi présent dans les industries culturelles et à la fin il l’emportera ». Le cinéma peut-il s’inspirer de la musique ? « Je crains que l’histoire n’apporte pas grand-chose, estime Patrick Waelbroeck. On retrouve quelques-unes des mêmes erreurs comme la mise en place de verrous anticopies. L’industrie de la musique les a pourtant supprimés. »

A quand l’arrivée d’un nouveau Steve Jobs pour structurer l’offre ? Il ne faut pas oublier qu’Apple a pris les choses en main dans la musique pour vendre son matériel, le fameux iPod. Apple gagne beaucoup d’argent grâce au matériel, pas aux contenus qui ne sont que des produits d’appel. Les mêmes conditions ne sont pas réunies pour le cinéma et les films. Sauf si Apple lance une télévision, comme le suggère la rumeur…

Préfinancement et chronologie des médias

L’équation de l’industrie du cinéma est autrement plus complexe que celle de la musique. « Nous sommes dans un secteur économique comptant beaucoup d’acteurs historiques, en particulier la télévision payante. Si le système se met à bouger trop vite, nous déstabiliserions les distributeurs et donc par conséquent les studios et les auteurs », rappelle Mathias Hautefort, le directeur général de Vidéo Futur Entertainment Group.

Le cinéma ne fonctionne pas sur le même registre économique que la musique. La fabrication coûte plus cher et il y a une exploitation successive selon une chronologie des médias et du préfinancement. En fonction des scénarios et du casting, les distributeurs (salles, TV) préfinancent les films. Chaque diffuseur qui préachète l’oeuvre dispose de la garantie d’une exclusivité. Aujourd’hui les plateformes de VoD qui n’ont pas d’obligation de financer la création sont des concurrents directs des financeurs traditionnels comme CanalPlus ou France Télévisions.

« Tant que les plateformes de VoD ne préfinanceront pas nos films, nous ne leur donnerons pas la même place que les financeurs historiques », résume Juliette Prissard du SPI. Une fois de plus, David doit faire face à Goliath. YouTube, Apple, Amazon sont des compagnies technologiques qui font légitimement peur aux ayants droit. On comprend leur réticence. Apple, qui a récemment refusé de payer la taxe sur la copie privée sur l’iPad, acceptera-t-il de préfinancer le cinéma français ? Rien n’est moins sûr.

« Sur Internet de nouveaux modes de régulation prenant en compte les questions territoriales doivent voir le jour. Le Web doit entrer dans une économie du cinéma à la française avec son financement et son droit d’auteur », estime pour sa part Cyril Seassau, le délégué général de la Société des réalisateurs de films (SRF). Il faut trouver un nouveau mode de réglementation sur des questions qui ne sont plus territoriales. « Il y a bien un moment où il va falloir se mettre autour d’une table, concède-t-il. Sachant qu’on ne peut plus décider qu’entre Français, chacun doit trouver sa place économiquement et juridiquement. « Nous ne sommes pas dans un pays qui a la jungle pour tradition, poursuit-il. Entre la jungle et le zoo, il y a sans doute quelque chose de possible. »

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