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Méta-information, la subversion des récepteurs

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La forme médiatique traditionnelle met des bornes sur le chemin vers le réel. Le média, quel qu’il soit, se met toujours en position intermédiaire –c’est dans sa nature étymologique– entre le réel et le spectateur. Il a pour fonction d’apporter le réel vers le spectateur. Le direct est, dans cet esprit, une volonté de réduire la distance entre eux, de simuler un réel immédiat (donc sans médiateur). Cette initiative des médias de souder le plus possible le réel au spectateur, de réduire la distance, est une démarche impossible ; car le sens et la direction du mouvement sont toujours les mêmes : du réel vers le spectateur.

Quand le spectateur inversera lui-même le sens de la logique médiatique, c’est-à-dire quand il décidera d’aller vers le réel, et non plus d’attendre qu’on le lui apporte sur un écran, alors les médias trembleront ; car ils perdront toute fonction d’intermédiation, tout statut médiatique

Cette action d’inversion du sens médiatique repose sur le désir de méta-information, au sens où il s’agit d’aller chercher, au-delà de l’information, les parcelles de la réalité. Ce désir de méta-information repose sur une logique de l’action et sur une éthique de la prise de responsabilité. Ses modalités d’applications sont multiples ; elles dépendent des individus, de leur capacité, de leurs objectifs et de leurs intentionnalités. Le désir de méta-information tend à devenir un horizon qui concentre et polymérise toutes les pratiques de l’information. Il se développe dans la multitude informationnelle, dans le prisme confusionnel qu’elle offre, mais il est une voie possible vers plus de clarté et d’intelligence. En expérimentant les différentes formes possibles d’hypothèses et de probabilités, il est en cohérence avec la mécanique complexe des systèmes actuels. Le désir de méta-information ne nie pas les incertitudes ; au contraire il les intègre. Il travaille –à la manière du physicien quantique– des probables et des incertains avec un objectif de connaissance et d’orientation dans l’univers chaotique des représentations du monde.

● Traditionnellement, le journaliste est un réducteur de complexité ; c’est là sa fonction de vulgarisateur, de transmetteur d’informations et de connaissances. Cette noble fonction est ce qui confère le statut très particulier du journaliste dans notre monde occidental. Il bénéficie de privilèges et fonde son identité sur des concepts qui ont la force du mythe et du sacré : l’objectivité, l’indépendance, la liberté de conscience, la Vérité, la Démocratie, etc… Ces mythes forgent l’identité et la clôture fonctionnelle de cette profession (1).

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Comment, dans la profonde mutation hyper-informationnelle que nous venons de décrire, dans laquelle le récepteur de l’information se situe au milieu de l’information, libre de tous ses choix et de toutes ses initiatives, comment le journaliste peut-il encore jouer son rôle ?

Aujourd’hui, le public ne demande plus au journaliste de réduire les complexités du monde pour qu’il puisse mieux les comprendre ; pour deux raisons : 1) il ne lui fait plus confiance, 2) il sait que le monde est désormais trop complexe pour qu’il se satisfasse d’un seul « angle d’attaque », d’une seule interprétation ou d’une opinion manichéenne artificiellement tranchée. Il a une exigence à l’égard du journaliste exactement inverse. Il lui demande de l’aider à lui présenter l’ensemble des contenus, dans leur diversité et dans leur contradiction, de lui montrer le spectre le plus large des interprétations possibles. Il n’attend plus de lui qu’il simplifie la complexité mais au contraire qu’il privilégie les points de vue complexes.

● Cette modification fondamentale du rôle attendu des journalistes les oblige à entreprendre sans tarder une véritable révolution professionnelle. La production d’une information en ligne exige un savoir-faire très différent de celui qui est exigé dans le journalisme classique ; le cyberjournalisme doit apprivoiser la grammaire de la navigation interactive et la rhétorique de l’hypertexte. L’investissement que les journalistes doivent mettre en œuvre est une chance pour eux de réinvestir une nouvelle fonction d’intermédiation ; cet investissement est lourd et ne peut être remplacé par la simple et maladroite transposition du média classique sur le réseau numérique. Cette transmutation exige d’eux non seulement un savoir-faire professionnel mais aussi une compétence quasiment encyclopédique en raison de la nature très particulière de l’écriture hypertextuelle.

Dans ce contexte, les journalistes classiques sont plutôt dépassés ; ils sont marginalisés par de nouveaux venus qui prennent progressivement des positions stratégiques dans le domaine de la fourniture d’information en ligne. Les nouveaux cyberjournalistes sont plus modestes dans leur éthique professionnelle que leurs confrères des médias classiques mais certainement plus adaptés aux attentes de leurs publics et donc davantage en phase avec une éthique plus citoyenne. Le public de ce nouveau journalisme s’informe par clics de souris multiples dans le large éventail offert par ce nouveau média. Il navigue d’un article à un dossier, du commentaire d’un expert à la visite du site d’un acteur de l’actualité, il visionne la vidéo de tel protagoniste de l’actualité et peut acheter, en ligne, le livre de tel autre. Nicolas Pélissier (2) remarque qu’on assiste ainsi à l’émergence d’un journalisme d’un nouveau genre, plus contextuel, plus référentiel, en rupture avec le modèle engagé de la presse française d’opinion.

Le journalisme gagnera-t-il, dans cette transformation, en objectivité ? Le problème est ailleurs puisque les limites de l’objectivité sont reléguées au niveau des sources ; les informations proposées au public sur le réseau sont un choix opéré parmi un vaste ensemble, composé lui-même d’une multitude de subjectivités. Le journaliste propose ce choix, mais il le fait désormais sous le regard du public qui peut vérifier la pertinence et l’honnêteté de cette sélection à tout moment. Le journaliste abandonnant son rôle traditionnel de médiateur, d’expert de l’information, laisse dorénavant au public le soin de construire son propre récit de la réalité.

● Le récit de l’information change ainsi subrepticement. Il n’est plus un récit indiscutable, composé d’une succession de scènes reflétant la linéarité de segments événementiels. Il est désormais hypothèses, possibilités, éventuellement mises en scène, et peut-être fictions. La méta-information actualise une autre configuration de la vérité : celle de la multitude des points de vue possibles. De la sorte, elle met en œuvre des trajectoires individuelles dans un espace collectif.

Cette attitude nouvelle face à l’information ne se manifeste pas uniquement dans le cadre des nouveaux médias numériques mis en réseau. Elle constitue dorénavant notre mode de consommation des médias traditionnels. La façon dont nous regardons la télévision en est profondément modifiée. Nous savons y repérer les moindres effets de mise en scène et de vision ‘monoculaire’ du réel. Nous décryptons de mieux en mieux les moindres tentatives d’influence, les moindres démarcations d’un discours qui se prétendrait objectif. Notre désir de méta-information remodèle la nature de la croyance et de la crédibilité que nous manifestons à l’égard de l’information diffusée par les médias. Les individus apprennent progressivement à ne plus être dupes, même s’ils font preuve, parfois, d’une crédulité désormais volontaire.

● Les consommateurs des médias perfusent les signes qu’ils perçoivent vers un autre espace qu’ils connaissent ou qu’ils savent exister. Ils établissent une profondeur de sens entre espaces. Regarder le journal télévisé renvoie désormais à d’autres dimensions de l’information, d’autres expériences personnelles ou collectives, d’autres médias. La domination univoque des médias traditionnels est en voie d’extinction mais ces médias eux-mêmes ne sont pas amenés à disparaître. Ils s’imbriquent dans les autres espaces, trouvant leur place et leur spécificité. Les consommateurs d’information passent d’un espace informationnel à un autre espace de signification ; il y a perméabilité entre les espaces et fluidité des relations de complémentarité. Cet enrichissement collectif est source de plus de savoir ; il peut aussi être source de plus de confusion. Les réactions des individus prennent le caractère fluctuant et inattendu de tout organisme complexe. Dans le système de méta-information, les individus transhument d’un espace à l’autre, forgeant leur conscience des choses sur un ensemble d’hypothèses, de probabilités et de valeurs et plus seulement sur une sélection d’informations diffusées par ceux qui avaient le privilège exclusif de leur détention.

(1) Cf. Jacques LE BOHEC, Les mythes professionnels des journalistes, L’Harmattan, 2000

(2) Nicolas PELISSIER, Ibid

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