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biotechnologies et OGM

Clash sur les biotechs : les nouvelles techniques génétiques génèrent-elles des OGM ?

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Le Haut conseil des biotechnologies est en crise : les associations ont quitté son conseil économique, éthique et social (CEES).  Le torchon brûle au sujet de la qualification des nouvelles techniques génétiques de sélection des plantes : sont-elles des OGM ou pas ? Car la pression européenne est forte : les semenciers ont besoin de savoir si leurs produits vont devoir ou pas se plier aux réglementations OGM jugées lourdes et coûteuses. Décryptage d’un dossier sous haute tension.
 
Le spectre des OGM revient avec le risque croissant d’un nouveau dialogue de sourds. La démission le 5 février d’Yves Bertheau, membre du Comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies (HCB) puis la décision des huit associations (Amis de la Terre, Confédération Paysanne, Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, France Nature Environnement, Greenpeace, Réseau Semences Paysannes, Union Nationale de l’Apiculture Française) de suspendre leur participation au conseil économique, éthique et social (CEES) le 22 février dernier témoignent d’un profond malaise.

Des recettes de « cuisine génétique » à qualifier

L’affaire couve depuis des années avec la montée en puissance de nouveaux procédés d’intervention sur le génome des plantes, mais aussi des animaux. L’explosion des nouvelles techniques de sélection des plantes (NPBT) ressemble à un foisonnement de recettes de cuisine aux noms barbares (qui désignent des sigles anglais) loin d’être stabilisées mélangées à des techniques plus classiques comme le greffage ou les rétro-croisements, mais faisant intervenir des composantes issues de modifications génétiques comme un porte greffe OGM. Il s’agit toujours soit d’éteindre des gènes, de les activer, de les muter, ou de les répliquer, offrant ainsi de nouvelles modalités de modification des génomes.
Dans ce maquis complexe, figure l’édition de gènes de l’approche Crispr/cas9 que tous les médias ont présenté au grand public depuis un an….mais aussi ses techniques cousines, SDN, ZFN, MN, TALEN, ou même la mutagenèse dirigée par oligonucléotides, l’extinction de gène par interférence ARN, ou l’agroinfiltration…
 
 
Ces interventions fabriquent-elles oui ou non des OGM ? Telle est la question redoutable posée par les semenciers – et la France est le premier producteur mondial de graines – qui ont besoin de savoir s’ils seront ou non soumis à la législation OGM (jugée lourde et coûteuse par eux) s’ils recourent à ces nouvelles techniques. Ranger la « boite à outils » en qualifiant d’OGM ou non OGM chaque produit des diverses techniques devient donc … une urgence. Ceci d’autant plus que certains pays comme les USA les exemptent d’évaluation alors que la Nouvelle Zélande les fera étiqueter, comme le Canada qui les considère comme de nouveaux aliments, posant ainsi le problème de l’application du protocole de Cartagène sur la circulation internationale des LMO (OGM vivants).

Corps à corps politique à propos du statut des nouvelles plantes

C’est au cœur de l’Europe que cette question sera tranchée. La Commission européenne a lancé dès 2007 un groupe de travail dédié aux NPBT, s’inspirant des travaux pionniers menés aux Pays-Bas au sein du COGEM (équivalent hollandais du HCB). « La Commission a de nombreux dossiers à gérer, reconnaît Christine Noiville, présidente du HCB. Elle sait que le sujet est difficile, n’ose pas annoncer son échéancier. Cela nous confronte donc à un agenda fluctuant ». Le groupe de travail européen n’a rien publié et pourtant  en septembre, la Commission a annoncé une prise de position à très court terme. Car les lobbys sont à pied d’oeuvre.
Pourtant à ce jour, les deux Directions compétentes, celles de l’environnement et de la consommation, n’annoncent aucune prise de position rapide, alors que cette urgence était mise en avant lors de la présentation des travaux du Groupe de travail du Comité scientifique . « Il faut bien voir que la Commission n’est pas décisionnaire, souligne la juriste Christine Noiville. C’est la Cour de Justice européenne qui pourra seule trancher, si elle est saisie par un industriel, une association, ou par l’effet d’une question préjudicielle sur la qualification OGM ».
 
Se profile également un bras de fer entre Commission européenne et Parlement européen à ce sujet car ce dernier ne cesse de prendre des motions contre les importations massives – autorisées par la Commission – de plantes génétiquement modifiées pour l’alimentation du bétail. De même, le Parlement travaille sur un point de fixation majeur, concernant la protection par brevets de semences issues des nouvelles techniques génétiques.

Le Haut conseil des biotechnologies dans le vif des conflits d’intérêts

Pourtant tout ne se jouera pas entre Bruxelles et Strasbourg. C’est pour faire entendre la voix de la France que le HCB s’est autosaisi sur la question des NPBT en 2013, créant un groupe de travail ad-hoc (composition documentée dans les notes du Comité scientifique) comprenant notamment deux membres issus du groupe européen, Jean Christophe Pages et Olivier Le Gall, mais aussi Jean-Jacques Leguay qui ne cache pas ses opinions. Ici commencent des pratiques obscures et jeux d’acteurs complexes. Des auditions ont été menées par ce groupe de travail sans partage des travaux auprès du Comité scientifique du HCB. Des fiches descriptives des techniques ont été réalisées, à l’intention de François Houllier, PDG de l’INRA et coauteur du rapport Agriculture-innovation 2025. Ces fiches insérées dans une note du Groupe de travail devaient servir de base au travail réalisé en 2015 par les deux comités du HCB visant à produire des avis sur les NPBT, en 2016.
 
Mais le Comité scientifique s’est trouvé manipulé car il a du assumer comme sienne la note fournie par le groupe de travail, témoigne le chercheur démissionnaire, Yves Bertheau, chercheur INRA au MNHN. Or ce document ne couvrait même pas toutes les techniques recensées par la Commission européenne, et n’abordait pas les impacts des modifications, au travers d’une réelle évaluation des risques. Quant à la possibilité d’une identification des techniques, d’édition du génome par exemple, à l’origine des produits elle n’était même pas abordée, le groupe de travail se contentant de dire que la modification ciblée ne serait pas discernable, rejetant a priori toute capacité d’identification telle qu’elle est pratiquée dans d’autres domaines. Il y a eu un a priori manifeste pour dire que les produits seront assimilables à des produits naturels.  
 
Par ailleurs, rien ne semble avoir été fait pour explorer les « effets hors cible » des interventions génétiques. En effet, les fiches publiées dans le rapport du Conseil scientifique considèrent uniquement l’effet ciblé (très spécifique d’ailleurs ) alors que les « dégâts collatéraux » qui peuvent exister sont tout juste mentionnés. « Des publications témoignent, par exemple, d’effets pléïotropes des techniques, c’est-à-dire qu’elles ont des répercussions sur d’autres sites, indique Yves Bertheau. Si vous modifiez la régulation d’un gène par exemple, vous touchez aussi souvent le fonctionnement d’autres gènes. De même dans les greffes, on sait que de petits ARN peuvent circuler entre porte-greffe et greffon et éventuellement induire des épimutations ».
En fait, il faut bien réaliser que ces techniques sont immatures, encore en évolution, comme l’indiquent de nombreuses publications qui sortent sur les améliorations nécessaires ou sur les incertitudes,

Incapacité de dire si les modifications ciblées des génomes sont naturelles ou artificielles

Au final, les deux comités du HCB ont publié leurs notes le 4 février 2016 comme une première étape vers deux rapports qui seront finalisés à l’été 2016.
Le texte du Comité scientifique donne la description précise de huit techniques et aborde succinctement les questions de traçabilité. On découvre que pour la plupart des plantes au génome édité, il est possible de détecter la modification ciblée dans le génome mais sans pouvoir dire si celle-ci résulte de modification naturelle, induite par des mutagènes ou d’édition du génome.
 
 
Du côté du Comité CEES, on retrouve des argumentaires bien rodés exigeant la traçabilité des nouvelles techniques de sélection des plantes (NPBT), l’information des consommateurs, et demandant des comptes à propos de la protection juridique des techniques et des produits. La référence au « naturel » reste centrale comme au cœur des débats OGM des années 90. On peut lire : « l’utilisation d’un procédé de modification du patrimoine génétique de la plante « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication ou recombinaison naturelle  » n’est pas un simple processus de sélection ». Un accent est mis sur le choix de modèle agricole et la concentration des entreprises détentrices de brevets sur les semences.
 
Certains membres du CEES avancent qu’une distinction serait possible entre produits naturels ou conventionnels et produits issus des NPBT et qu’il serait dès lors possible de mettre en oeuvre une traçabilité, fondée d’après eux sur la recherche des effets non intentionnels ou l’utilisation d’autres techniques de détection. La traçabilité reposera donc sur la possibilité de détecter les modifications ciblées tout en identifiant par d’autres éléments les techniques à l’origine. Certains sont dès lors tentés de s’aligner sur les  pratiques américaines qui ne s’intéressent, au nom de l’équivalence en substance, qu’aux produits (fruits, graines, fourrages…) sans se soucier des moyens utilisés.

Une question éminemment politique

Les organisations Coop de France, FNSEA, GNIS, JA, UFS proposent en annexe du document du CEES un « arbre de décision » qui vise à exempter certaines techniques de la législation OGM (cisgénèse au même locus, SDN1, SDN2, Talens, entre autres), mais d’en soumettre d’autres à la directive 2001/18 (notamment SDN 3 et intragénèse). Le collectif se veut vigilant : « Les décisions qui seront prises concernant les NPBT devront être fondées sur la science et proportionnées aux risques sanitaires et environnementaux réels », des risques non abordés par la note du groupe de travail du Comité scientifique, lit-on en retrouvant des arguments bien connus, depuis son introduction dans les années Reagan de la notion de « sound science » pour éliminer les obstacles : « Le  principe de précaution ne peut être mis en oeuvre que s’il existe des indices clairs de risques pour l’environnement ou la santé ». Problème : la note du groupe de travail du CS est loin d’être scientifiquement solide…
Les documents du CEES sont enrichis par l’avis de deux juristes (Sarah Vanuxem, et Estelle Brosset) interprétant différemment la législation de 2001/ 18/CE, documents qui éclairent bien la complexité de la situation. Les deux femmes se réfèrent à la définition de l’OGM qui figure dans la Directive, soit un organisme où a été « insérée une nouvelle molécule d’ADN recombinant, assimilable à une mutation ».

Peut-on renouveler les termes du débat ?

La crise à laquelle se trouve confrontée le HCB n’est pas la première depuis sa création en 2008 dans la foulée du Grenelle de l’environnement. Elle rappelle celle qui éclata il y a juste quatre ans, en 2012, à propos de la cohabitation des cultures et qui avaient causé le départ des fédérations professionnelles. Celles-ci ne sont d’ailleurs revenues à la table de discussion qu’en 2015, sachant pertinemment que le statut des NPBT allait venir au devant de la scène.
Or les lignes de clivage des années 90, lors des débats sur les OGM, semblent avoir peu évolué… et le risque est grand de repartir sur des dialogues stériles sans questionnement profond des modèles agroalimentaires. Dès 2000, Bernard Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l’agriculture, annonçait le spectre de ces nouvelles techniques génétiques, qu’il jugeait indétectables et interdisant tout suivi.
 

Interroger les objectifs

Les nouvelles biotechnologies végétales se situent dans une logique classique d’ « amélioration » par ajouts de fonctions, en ciblant de mieux en mieux le génome pour « faire gagner du temps », un argument avancé en son temps pour les OGM mais non vérifié dans bien des domaines. Il s’agit de conférer un comportement précis (résistance à un agresseur par exemple) et d’ajout d’un gène étranger sans avoir besoin de recourir aux longs et classiques rétrocroisements. Ces approches ont de multiples conséquences socio-économiques (investissements, brevets, contrôles, cohabitations)…qu’il nous faut examiner en terme de coûts pour la collectivité et d’alternatives.
 
Des questions diverses sont à traiter : la référence au « naturel » pourra-t-elle tenir à la fois comme valeur et comme fondement du droit ? Ces techniques – qui font partie intégrante de la biologie de synthèse – sont-elles cohérentes avec les injonctions gouvernementales pour l’agroécologie, l’enrichissement organique des sols (4 pour 1000), la baisse du recours aux phytosanitaires, l’encouragement au biocontrôle ? Comment pourra-t-on aussi concilier la protection prioritaire de la biodiversité et la banalisation des interventions génétiques ?
A ce sujet, le comité scientifique européen sur les risques sanitaires émergents (SCENIHR) a publié en septembre dernier un rapport essentiel sur Les risques pour l’environnement et la biodiversité relatif à la biologie de synthèse.
Face à ces multiples enjeux de fond liés aux transitions vers des pratiques durables, les techniques émergentes d’intervention sur les génomes risquent d’être les révélateurs ou les boucs émissaires des visions divergentes de l’agriculture à venir .
 
Pour Christine Noiville, « on n’échappera pas aux questions qui mettent en cause nos modèles agricoles. Par exemple, la question de l’importation du soja transgénique versus le lancement d’un plan protéines en France avec la luzerne. A ce propos, je souhaite que le HCB remplisse la mission qui lui incombe de débattre sur les brevets, la transparence, les modèles agricoles ».
La présidente du HCB a demandé au Ministère de l’agriculture et au Ministère de l’environnement de l’énergie et de la mer de saisir le HCB afin de guider le travail du Conseil notamment sur trois axes : l’évaluation des risques, la possibilité et les modalités d’une traçabilité, la propriété industrielle notamment les brevets sur les gènes natifs.  Elle projette un horizon de juillet 2016 pour finaliser un avis sur les NPBT. Elle souhaite aussi élargir le cercle du débat comme le HCB a pu le faire lors du colloque consacré à la politique européenne de brevetage des gènes, le 29 avril 2014.
Alors que le HCB planche sur les arguments socio-économiques qui peuvent permettre aux Etats de restreindre les cultures d’OGM (Transposition de la directive (UE) 2015/412 du 11 mars 2015 qui donne possibilité aux États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire), un colloque s’organise sur ce sujet, le 6 octobre 2016.

OGM cachés ?

Du côté de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), Jean-Yves Le Déaut prépare des auditions ciblées sur ces nouvelles biotechnologies végétales. 
 
José Bové
 
Enfin, trois parlementaires européens (Maria Heubuch, de Barthes Staes, José Bové) organisent ce 2 mars au Parlement européen à Bruxelles une rencontre ouverte à tous, intitulée Nouvelle technique de sélection : OGM cachés ?
 
Maria Heubuch
 
« Les questions en jeu sont d’une importance capitale, insiste Christine Noiville. Elles engagent la confiance des consommateurs et les aspirations de citoyens pour de nouveaux modèles agricoles et alimentaires ».
 
Information :
Le HCB a été saisi le 12 octobre 2015, par la ministre en charge de l’environnement, d’une demande relative à un éclairage concernant l’utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte contre les populations de moustiques vecteurs de maladies. L’expertise du HCB sera lancée le 2 mars 2016 par un séminaire de travail ouvert aux membres du Comité scientifique et du Comité économique, éthique et social du HCB, en présence de plusieurs experts mondialement reconnus du domaine, pour faire émerger les questions qui devront être traitées au HCB.
 
 

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