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Le Pentagone veut créer une armée d’insectes porteurs de virus génétiquement modifiés

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L’armée américaine étudie la possibilité de créer un nouveau type d’arme biologique. Il s’agirait d’insectes sélectionnés pour transporter un virus génétiquement modifié. L’objectif de ce plan, déployé dans le cadre de la DARPA, l’agence de recherche de l’armée américaine, est de déployer rapidement cette armada si des cultures critiques pour l’alimentation comme le maïs ou le blé venaient à être mises en danger par un fléau naturel, une attaque soudaine par arme biologique ou plus simplement une sécheresse sévère. Le concept prévoit que les virus apportent des modifications génétiques qui protègent les plantes immédiatement, pendant une seule saison de croissance.
 
Ce programme, financé par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), porte pour nom « Insect Allies ». Blake Bextine, le gestionnaire de ce programme affirme que celui-ci est à fins exclusivement pacifiques. Insect Allies a été, dit-il, examiné par des organismes gouvernementaux responsables de la sécurité agricole et comporte de multiples mesures de protection intégrées aux protocoles de recherche, dont le confinement total des insectes. Pour lui donc, aucune crainte à avoir sur ce programme qui, pourtant, a des parfums de science-fiction un tantinet inquiétante.
 
En effet, le moins que l’on puisse dire est que ce concept consistant à diffuser des virus génétiquement modifiés par des insectes pose des questions. Les biotechnologies employées dans le programme ainsi que le mode d’administration peuvent potentiellement être à « double usage ». La DARPA assure vouloir suivre un objectif positif : assurer la sécurité alimentaire.
Dans une interview au Wahington Post qui a révélé ce programme, Blake Bextine assure que « la sécurité alimentaire est à nos yeux une question de sécurité nationale ». Admettons et croyons ce responsable sur parole. Mais rien ne nous interdit de penser que la même technologie pourrait être employée à des fins offensives voire malveillantes.
 

Pucerons, cicadelles et aleurodes enrôlés par l’US Army

Le programme Insect Allies envisage de recruter trois types d’insectes : des pucerons, des cicadelles et des aleurodes. Ceux-ci sont courants dans la nature et propagent régulièrement des virus parmi les plantes. Les progrès récents dans l’édition des gènes et notamment le recours à l’outil CRISPR, permettent aux scientifiques de personnaliser des virus pour atteindre un objectif spécifique sur une plante infectée. Le virus modifié pourrait ainsi activer ou désactiver certains gènes qui, par exemple, contrôlent la croissance de la plante, ce qui pourrait être utile en cas de sécheresse grave et inattendue.
M. Bextine tient à rassurer le public en affirmant qu’il existe de multiples couches de protection pour s’assurer que cette technologie n’a pas d’effets écologiques involontaires. Il précise également que le programme ne cible pas les cellules germinales des plantes et ne transfèrerait donc pas des caractères héréditaires.
 
Compte tenu du caractère explosif de cette innovation, la DARPA insiste sur les côtés positifs de ses recherches. On peut ainsi lire sur le site de l’agence : « La sécurité nationale peut être rapidement menacée par les menaces naturelles qui pèsent sur le système agricole, notamment les agents pathogènes, la sécheresse, les inondations et le gel, mais surtout par les menaces introduites par des acteurs étatiques ou non étatiques. Insect Allies cherche à atténuer l’impact de ces attaques en appliquant des thérapies ciblées aux plantes matures dont les effets s’expriment à des échelles temporelles pertinentes, c’est-à-dire dans une seule saison de croissance. »
 
Des propos destinés à rassurer mais qui ne calment pas l’inquiétude de scientifiques de renom et de juristes qui ont publié ce 2 octobre un article en forme d’alerte dans la revue Science.
Les critiques portent sur la nature même des objectifs poursuivis. Aujourd’hui la DARPA insiste sur son intention de réagir à un événement pour garantir la sécurité alimentaire donc nationale. Mais rien n’interdit d’imaginer que les mêmes technologies ne deviennent une pratique courante pour l’agriculture. Les agriculteurs pourraient alors enrôler des armées d’insectes porteurs de gènes modifiés pour combattre les prédateurs de leurs cultures ou améliorer leur production de plantes.
C’est ce que craint Guy Reeves, co-auteur de l’article de Science et spécialiste de biologie évolutive à l’Institut Max Planck. Pour lui, Insect Allies pourrait devenir un standard pour les agriculteurs. Mais les modifications apportées par ce qu’il appelle « ces agents horizontaux d’altération génétique de l’environnement » – s’étendraient probablement aux champs voisins réservés aux cultures biologiques, non génétiquement modifiées. Il ajoute : « Si cette technologie fonctionne, presque par définition, les gouvernements nationaux ne pourront pas contrôler sa propagation ».
 

Arme biologique

Par surcroît, selon les auteurs de cet article, le programme Insect Allies pourrait être interprété comme une violation potentielle de la Convention internationale sur les armes biologiques. Il existe, selon eux, un risque important d’utilisation de ce programme à des fins pas seulement pacifiques. D’autant que l’un des éléments clés du programme repose sur l’utilisation d’insectes, ce qui en fait une arme qui pourrait être déployée à bon marché par des acteurs malveillants.
 
Il faut préciser que, depuis l’émergence des nouvelles techniques comme CRISPR qui simplifient et rendent très économiques les manipulations de gènes, les risques biologiques et de bioterrorisme se sont multipliés.
La menace est sérieuse car, selon les experts, il sera quasiment impossible de suivre et surveiller toutes les expérimentations menées dans des laboratoires de fortune, voire dans des garages. Pour Todd Kuiken, spécialiste en génie génétique de l’université de Caroline du nord, cité par la revue du MIT, le danger ne vient pas seulement des vecteurs biologiques habituels comme les virus ou autres agents pathogènes. Il vient aussi d’ « attaques biologiques plus exotiques » comme par exemple un insecte qui aurait été modifié pour éliminer la culture vivrière de base d’un pays.
 
Déjà, en février 2016 le rapport annuel de la CIA sur l’évaluation mondiale des menaces avait étonné plus d’un. Le directeur du renseignement national américain, James Clapper, avait en effet ajouté l’édition de gènes dans la liste des menaces posées par « des armes de destruction massive et leur prolifération ».  CRISPR figurant ainsi aux côtés d’autres menaces plus conventionnelles comme les essais nucléaires nord-coréens, la guerre chimique en Syrie, les nouveaux missiles intercontinentaux russes, etc.
Pour Clapper, CRISPR est une technologie menaçante : « Étant donné la diffusion importante, le coût peu élevé et la rapidité de développement de cette technologie à double usage, son détournement volontaire ou non intentionnel peut avoir des implications d’une grande portée, tant sur le plan économique que sur celui de la sécurité nationale ». Il ajoute : « Le fait que des recherches sur l’édition de gènes soient menées dans des pays qui ont des normes règlementaires ou éthiques différentes de celles en vigueur dans les pays occidentaux, augmente probablement le risque de création de produits ou d’agents biologiques potentiellement dangereux. »

LIRE DANS UP : CRISPR-Cas9 pourrait-il devenir une arme de destruction massive ?

Variole synthétique

Le risque est tel que certaines revues scientifiques hésitent à publier des articles de chercheurs portant sur des manipulations génétiques jugées dangereuses. C’est ce qui s’est passé en début d’année quand deux chercheurs de l’Université de l’Alberta et cofondateurs d’une société pharmaceutique new-yorkaise avaient prétendu être en mesure de faire renaître le virus de la variole. Ce virus avait tué des centaines de millions de personnes avant que l’Organisation mondiale de la santé ne déclare la maladie comme éradiquée en 1980. L’article des deux chercheurs avait été rejeté par deux revues importantes avant d’être publié par PLOS One. Leur article démontre que l’on peut synthétiser un pathogène mortel comme la variole pour un coût d’environ 100 000 $. Ce qui a heurté la communauté scientifique, c’est que cet article donne des explications un peu trop détaillées sur la façon de le faire. Le biochimiste du MIT Kevin Esvelt, par exemple, a écrit le 4 octobre dernier que la menace est si grave que nous ne devrions même pas en parler. Avec les progrès réalisés dans l’assemblage de l’ADN, « tout humain disposant d’une connexion Internet peut accéder aux plans génétiques de virus qui pourraient tuer des millions de personnes. »
 
Décidément, en matière de biotechnologies, les progrès ne cessent d’avancer avec leurs lots d’espoir et d’inquiétude. Il est illusoire de penser que l’on puisse s’opposer au progrès. Toutes les tentatives en la matière ont échoué depuis des siècles. En revanche, on peut espérer de la part des scientifiques, et plus particulièrement de ceux qui participent à des programmes institutionnels comme la DARPA, de ne pas tromper le public sur la nature des risques que leurs travaux pourraient poser. Certes, l’armée de petits insectes dressés pour sauver les cultures et l’alimentation humaine est un joli conte de fées, mais en arrière-plan, les pires cauchemars sont inévitablement là.
 
 
Source : Washington Post
 

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moustique gene drive
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Les organismes génétiquement modifiés par CRISPR passeraient la barrière des espèces. Et c’est une très mauvaise nouvelle.

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