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Expérience d’une oeuvre visuelle hypnotique au Laboratoire / Paris

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© david Michalek / photo revolving prod

A voir au Laboratoire jusqu’au 6 janvier 2013 ! Figure Studies de l’artiste américain David Michalek : une incroyable oeuvre visuelle tournée à 3000 images par seconde… Un rendez-vous hypnotique dans lequel les corps en mouvement s’imposent dans un ralenti exceptionnel et invitent le regard dans une suspension du temps.

Figure Studies by David Michalek au Laboratoire – Un film réalisé par Revolving Prod.mov

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Ouvert depuis 2007, Le Laboratoire est un lieu d’art et de design aux frontières de la science ; il s’inscrit sous l’égide du réseau international ArtScience Labs, créé par David Edwards (écrivain et professeur à l’Université d’Harvard).

Les expériences exposées au Laboratoire sont issues de la rencontre entre créateurs et scientifiques ; elles sont vouées à des fins éducatives, humanitaires et commerciales lorsque l’innovation est le catalyseur d’un produit.

Pour sa 15e expérience, Le Laboratoire présente Figure Studies de l’artiste américain David Michalek ; une œuvre vidéo dont la capture des images est réalisée à haute vitesse et dont le traitement du mouvement rappelle les célèbres études photographiques d’Eadweard Muybridge et Etienne-Jule Marey sur la locomotion humaine.

David Michalek a filmé des hommes et des femmes en mouvement à une cadence de 3000 images par seconde, ce qui produit un ralenti des corps exceptionnel.

Les sujets filmés sont représentatifs d’un large éventail d’âges et de morphologies, d’origines culturelles et ethniques ; ils sont soient façonnés par l’athlétisme, la danse, le travail physique ou sont tout simplement des corps ordinaires.

Pour le choix des séquences, le biologiste de l’Université d’Harvard, Dan Lieberman, a apporté son concours scientifique en aidant à définir différentes catégories biomécaniques.

Pour Figure Studies, David Michalek s’est inspiré de sa pièce Slow Dancing (2007) qui consiste à filmer cinq secondes de danse à une cadence de 3000 images par seconde ce qui produit un ralenti des corps en mouvement exceptionnel pouvant s’étirer sur une dizaine de minutes. Slow Dancing a déjà été présenté dans 17 grandes villes à travers le monde, en installation intérieure comme en dispositif extérieur monumental.

Figure Studies applique un procédé identique à Slow Dancing mais à une échelle bien plus grande : des corps spécialement façonnés par l’athlétisme, la danse ou le travail physique par exemple, ou des corps ordinaires, en tentant de représenter un large éventail d’âges et de morphologies, mais aussi d’origines ethniques et culturelles.

Chaque sujet réalise une séquence de mouvements à partir de réflexions esthétiques et scientifiques. Sur ce dernier aspect, le biologiste de l’Université d’Harvard, Dan Lieberman a aidé à définir diffé- rentes catégories biomécaniques et a recommandé l’emploi de modes d’exécution explorés pendant les répétitions.

Les réalisations de Muybridge et de Marey ont servi de base de travail pour les répétitions. Les improvisations et les entretiens qui ont été menés avec les sujets ont abouti à de nouvelles gestuelles, pour arriver à une seule idée de mouvement cristallisée en une séquence de cinq secondes. Les vidéos finales, qui présentent généralement des sujets nus, durent environ dix minutes.

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Figure Studies est projeté sur grands écrans. Le visiteur découvre la force attractive de gestes dé- composés par un ralenti de l’image qui, entre fantasmagorie et décryptage scientifique, invite le regard dans une suspension du temps.

davidmichalekConversation Entre David Michalek et David Edwards, fondateur du Laboratoire

David Edwards : Vous m’avez dit cet été à New York que l’observation au ralenti de mouvements du corps apporte une vision totalement nouvelle ; une vision qui procure une sorte de paroxysme esthétique lorsqu’on s’approche de la vitesse de prise de vue de 3 000 images par seconde que vous utilisez dans votre film. Pouvez-vous nous en dire plus ?

David Michalek : En 2006, lorsque j’ai commencé à travailler sur les aspects conceptuels et techniques de Slow Dancing (très voisin, par sa nature, de Figure Studies), j’avais une idée assez arrêtée du niveau de ralenti que je voulais obtenir, sans l’avoir testé avec une caméra haute vitesse. Du coup mes premiers essais, avec un appareil de qualité moyenne, ont eu des résultats très différents de ce que j’avais espéré. Tout d’abord, la cadence de prise de vue permettant d’obtenir le ralenti superfluide des mouvements humains que je recherchais tournait autour de 3 000 images par seconde au lieu des 300 que j’avais imaginées au départ. Ensuite, la séquence de mouvement qui était nécessaire pour produire un film de dix minutes à ce niveau de ralenti s’est révélée incroyablement brève, à peine cinq secondes. Ce qui me semblait bien trop court pour qu’un danseur puisse s’exprimer réellement. J’ai néanmoins poursuivi mon idée en demandant à chaque danseur de créer une séquence d’exactement cinq secondes composée d’un début, d’un milieu et d’une fin. La formule a remarquablement bien marché et a même souligné une qualité propre aux grands danseurs : la manière dont ils mobilisent chacun de leurs membres, à la milliseconde près, avec un degré élevé de « pleine conscience » et de contrôle instinctif.

Je pars de l’idée qu’une décomposition aussi étendue du mouvement peut avoir une résonance profonde (que je qualifierai de paroxysme esthétique), notamment lorsqu’on utilise le vocabulaire gestuel que nous appelons « danse ». La qualité émotionnelle qui s’en dégage peut toucher les gens de manière intime. Au début, ils sont parfois gênés par cette extrême lenteur, mais la gêne peut se transformer, au fil de la vision, en une attention hypnotique qui fait perdre toute notion du temps qui passe. Cet effet semble d’autant plus fort que la pièce est projetée sur grand écran. Cela vient probablement de la possibilité qu’a ainsi le spectateur de se déplacer dans et autour de l’image, et de porter son regard sur tous les éléments, aussi réduits soient-ils, qui la composent.

Je pense que cette attention hypnotique ne relève plus du seul ressenti et qu’elle touche à quelque chose de vivant en chaque spectateur, à une conscience et une connaissance de son corps qui sont à la fois utilitaires et spirituelles, fonctionnelles et signifiantes, physiques et métaphysiques, selon les cas. « une décomposition aussi étendue du mouvement peut avoir une résonance profonde que je qualifierais de paroxysme esthétique »

 

davidmichalek3David Edwards : Outre la dimension proprement scientifique, Figure Studies a exigé un très gros travail technique ; pourriez-vous nous en parler ? Par ailleurs, le fait d’associer plusieurs domaines de création vous a-t-il appris quelque chose sur la pratique artistique ?

David Michalek : Les Figure Studies n’ont pas exigé une technicité supérieure à celle de bien des films de fiction. On peut néanmoins être surpris de voir le degré de spécialisation technique qu’il a fallu mettre en œuvre pour réaliser un objet visuel aux contours relativement limités : la captation d’un corps en mouvement qui se détache sur un fond noir. La prise de vue à haute vitesse, par exemple, nécessite une très grande quantité de lumière et le concours d’un technicien sachant tirer le meilleur parti possible de la lumière et de la puissance électrique disponibles. La personne qui a joué le rôle sans doute le plus important a été en ce sens le directeur technique, Manu Sawkar. Manu a participé à toute la phase de production des images pour assurer l’intégration de tous les éléments techniques. Mais la majeure partie de son travail a commencé une fois le tournage terminé, en organisant et coordonnant les différentes étapes de postproduction – une dizaine au total. Pour cela, il a développé une procédure de traitement des fichiers informatiques à l’aide de logiciels et d’appareils conçus spécialement. Sa formation de chercheur en informatique a pour cela été cruciale.

Concernant la pratique artistique, j’aurais plutôt tendance à ne pas la séparer du savoir-faire technique. Pour moi, ce sont deux domaines à la fois exigeants et porteurs de la véritable signification de ce qu’est la technologie : technique + connaissance (Platon n’aurait probablement pas vu de diffé- rence entre l’informaticien admirant la conception d’un superbe logiciel et l’artiste attiré par sa vision formelle). En ce sens, l’artiste ne se distingue pas du commun des mortels, et toute personne est un artiste en puissance si elle tient compte du fait que l’art exige un niveau particulier de profondeur et de contemplation dans le champ d’activité qu’on s’est choisi. Ce que j’entends par contemplation, c’est l’élévation du niveau de référence entre empirique et réfléchi, entre simple perception et regard actif. Ce type de regard, ce que saint Augustin appelle l’ingenium, correspond au terme sanscrit de « contrôleur interne » ; l’Esprit immanent considéré comme conscience tout autant artistique, morale que spéculative. Cela dit, j’essaie de m’entourer d’artistes venus de tous les horizons liés à mon travail.

davidmichalek2David Edwards : Nous nous sommes rencontrés sur le campus d’Harvard pendant la présentation, particulièrement bien accueillie, de séquences de Slow Dancing. Vous avez évoqué alors votre fascination esthétique et votre curiosité scientifique pour l’exploration de la décomposition au ralenti des mouvements du corps humain. En préparant vos nouvelles Figure Studies pour Le Laboratoire, vous avez eu de nombreux échanges avec des scientifiques, dont le chercheur en biologie Dan Lieberman. Quel enseignement en avez-vous tiré et comment ces personnes ont-elles contribué à façonner votre nouvelle œuvre ?

David Michalek : Mes conversations avec Dan Lieberman ont vite montré que les images à très haute définition que je réalise habituellement ne lui seraient pas d’un grand intérêt pour son travail de recherche et que le niveau de ralenti propre à mes pièces ne conviendrait pas nécessairement à ses analyses du mouvement (le niveau de ralenti approprié dépendant en grande partie de l’objet de chaque étude).

Dan m’a conseillé de définir plusieurs grandes catégories de mouvement : lancer, lever, porter, monter, marcher, courir et sauter. Il a également suggéré de faire appel à la fois à des spécialistes et à des non-spécialistes de chaque catégorie (par exemple, lancement d’un objet par un joueur de base-ball et par une personne ordinaire). Il a également proposé différentes stratégies de réponse physique à des sollicitations externes, en déplaçant le centre de gravité du corps (par exemple, placer quelqu’un sur un taureau de rodéo mécanique ou inverser la direction d’un tapis roulant) ; là aussi avec la participation de personnes ordinaires et de spécialistes des situations de déséquilibre (professionnels du rodéo et funambules).

Pour les étudiants en biomécanique, tout cela semble élémentaire. Mais, pour moi et pour ma collaboratrice, la danseuse et chorégraphe Jill Johnson, ces notions simples se sont avérées extrêmement précieuses et nous ont fourni des outils très utiles à nos recherches.

David Edwards : On perçoit naturellement votre travail comme la poursuite des recherches pionnières de Muybridge et de Marey. Confirmez-vous cet héritage ? En quoi ce travail expérimental sur l’image est-il nouveau et quels parallèles, divergences et résonances peut-on tirer sur l’exploration artistique et scientifique du corps humain ?

David Michalek : Je travaille dans l’esprit de Muybridge plutôt que dans celui de Marey. Muybridge était un artiste et non pas un savant. Ses images ne relèvent pas de l’analyse scientifique du mouvement tel qu’on l’entend habituellement, et ont une faible valeur scientifique au regard de la biomécanique. Elles représentent pourtant « un trésor d’images figuratives, un rappel de la pratique picturale contemporaine et un recueil d’histoire sociale et de fantaisie érotique », selon l’expression de Marta Braun. Les séquences d’images de Muybridge, ainsi que mes films, peuvent raconter des histoires à l’aide de corps qui se déplacent dans l’espace et de fragments d’existence pouvant évoquer des drames, des joies ou des rêves. Mais le résultat, pour Muybridge comme pour moi, est d’abord un rendu visuel permettant de stimuler le plaisir esthétique, avec accessoirement la mobilisation de vagues notions scientifiques (l’esthétique, dans ce cas, signifie plus un sentiment qu’une compréhension). Marey a quant à lui fait œuvre de savant en réalisant des images spécialement destinées à ses objets d’étude. A ce titre, elles sont précises, analytiques, systématiques… et dénuées de prétention esthétique. Marey ne cherchait pas à représenter la nature mais à découvrir les lois qui la régissent.

« Vivre cette expérience en tant qu’artiste et en tant qu’être humain a été un incroyable bonheur… une sorte de rédemption … »

David Edwards : Vos Figure Studies se penchent donc autant sur les mouvements de danseurs et d’athlètes que sur ceux d’hommes et de femmes ordinaires et de tous âges. Comment cette large panoplie de modèles a-t-elle enrichi votre travail artistique ?

David Michalek : A vrai dire, je ne suis pas sûr que la réaction du public à Figure Studies, ainsi que la mienne d’ailleurs, soient de même nature que celle qu’a connue Slow Dancing, qui, par son objet même, avait quelque chose de séduisant et d’émouvant. Les danseurs qu’on y voit sont les meilleurs exemples aujourd’hui de l’alliance entre qualités athlétiques et qualités esthétiques. Ils sont réputés précisément pour la beauté, à la fois physique et intellectuelle, qu’ils dégagent. Leurs costumes aux tissus chatoyants semblent, dans l’ultra-ralenti, miroiter comme l’eau qui coule (Michel-Ange et le Bernin auraient probablement aimé).

Les Figure Studies, en comparaison, sont très dépouillés. On y voit un éventail bien plus large de caractères humains (dont, là aussi, quelques danseurs). Aucun tissu chatoyant n’attire le regard. Accompagnés par un travail très fouillé d’éclairage et de composition de l’image, les personnages ne sont pourtant pas « objectivés ». Leur nudité n’a rien à voir avec la crudité qu’on lui associe bien souvent. Ce « dévêtissement », comme dirait Muybridge, nous apporte un surcroît de sens, de spiritualité. C’est en tout cas ce qui se dégage de la « performance » de chacun des modèles. On le doit probablement à la sensation de justesse, de liberté et de dignité qu’ils ressentaient pendant le tournage, et au respect que leur montraient tous les membres de l’équipe. « Vivre cette expérience en tant qu’artiste et en tant qu’être humain a été un incroyable bonheur… une sorte de rédemption … ».

(Source : Le Laboratoire – Oct 2012)

davidedwardsLe Laboratoire – 4, rue du Bouloi -75001 Paris (M° Louvre Rivoli / Palais Royal Musée du Louvre)

+33 (0)1 78 09 49 50  info@lelaboratoire.org  www.lelaboratoire.org

Ouvert les vendredi, samedi, dimanche, lundi de midi à 19h

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