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Comment sauver la biodiversité ?

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En juillet dernier, il y a tout juste un an, le groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES) dressait un tableau glaçant du déclin des espèces et de la biodiversité à travers la planète, qui menace la survie de l’humanité même. Dans la foulée, le président Emmanuel Macron annonçait une série d’actions en faveur de la biodiversité. Mais un an après la présentation en grande pompe par le gouvernement de son plan pour préserver la biodiversité, un bilan a minima a été présenté ce 2 juillet, des ONG jugeant les avancées insuffisantes. D’autant que l’IPBES a publié en mai dernier sa dernière évaluation : elle est on ne peut plus alarmante : 1 million d’espèces sur 8 en voie d’extinction, 2 millions en grand danger, de nombreux services rendus par la biodiversité qui déclinent fortement.
 
Le 4 juillet 2018, Edouard Philippe et Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique, présentaient quatre-vingt-dix actions pour s’attaquer à la disparition accélérée des espèces et des espaces naturels à cause des activités humaines. « Nous sommes bien décidés à prendre cet enjeu à bras le corps », promettait alors le Premier ministre. Les mesures présentées balayaient un vaste champ : lutter contre l’étalement urbain avec un objectif de zéro artificialisation nette des sols (sans échéance fixée), éviter tout rejet de plastique en mer d’ici 2025, chercher des alternatives aux produits phytosanitaires, rémunérer les agriculteurs pour qu’ils restaurent des zones de refuge pour la nature, végétaliser les villes, inciter les entreprises à réduire leur impact sur la biodiversité, développer des aires protégées, mieux protéger les espèces menacées, sensibiliser les citoyens aux enjeux de protection de la nature et la défendre à l’échelle internationale…

LIRE DANS UP : Le gouvernement se met à l’écologie et oublie la biodiversité

90 % des mesures ont été engagées, selon le ministère. Ce plan, pensé pour la période 2018-2021, préfigure la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité pour la prochaine décennie. Le ministère rappelle les annonces présidentielles de porter la part des aires marines et terrestres protégées à 30 % du territoire d’ici 2022 (contre 20 % actuellement), dont un tiers « protégées en pleine naturalité », ou encore de lutter contre le gaspillage alimentaire au niveau « des écoles, des restaurateurs et des distributeurs ». En France, près d’un tiers de la nourriture est gaspillée. Emmanuel Macron avait aussi répété l’objectif de sortir du glyphosate en 2021 et de réduire les produits phytosanitaires de 50 % en France d’ici 2025, un objectif resté vœu pieux par le passé.
 

« Changement de société »

La création en 2020 de l’Office français de la biodiversité (OFB) s’inscrit aussi dans cette démarche, fait valoir le ministère. « C’est déjà une bonne chose qu’on ait un plan au niveau national », juge Bernard Cressens, président de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) France. « On va dans le bon sens mais on ne va pas assez vite », ajoute-t-il, prônant « un changement de société ».
 
Quatorze ONG de défense de l’environnement ont une toute autre lecture que le ministère. Elles ont évalué 80 des mesures : moins de 20 % sont jugées abouties et bénéficient d’un « smiley » vert pour satisfaisant, 55 % d’un orange « pas satisfaisant » et un peu plus de 25 % d’un rouge « inacceptable »… « Notre groupe (…) n’a pas été sollicité pour travailler avec le ministère sur ce plan biodiversité comme il conviendrait », a regretté Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Les sources d’insatisfaction sont diverses. Pour la LPO, les modalités de la nouvelle gestion des espèces chassables ne vont pas dans le bon sens. « La France a le chic pour inverser les concepts : la gestion adaptative devient « comment on peut faire quand une espèce va mal pour continuer à prélever » », a ironisé Allain Bougrain-Dubourg auprès de l’AFP. En France, des espèces vulnérables peuvent être chassées, comme la tourterelle des bois. « Il y a une vingtaine d’évolutions du droit de l’environnement qui fragilisent le droit lui-même », a dénoncé pour sa part Jean-David Abel, de France nature environnement (FNE). S’il salue les promesses du gouvernement d’agrandir les aires protégées, il regrette « des intentions mais pas de moyens ».
 

Le dernier rapport sur la biodiversité est alarmant mais il donne des pistes*

L’IPBES rassemble 150 scientifiques experts et biologistes, originaires de 132 pays, capables d’évaluer la situation de la biodiversité ainsi que les mécanismes influençant, en bien ou en mal, son état.
Ce panel d’experts internationaux fonctionne comme le GIEC : il adopte des résolutions quand le degré de connaissances sur une question s’avère suffisant et qu’un consensus sur les conclusions à en tirer existe. Chaque élément de leur rapport – basé sur 15 000 articles scientifiques – est contrôlé, critiqué et validé par des centaines d’évaluateurs. 20 000 commentaires ont ainsi été émis et pris en compte dans le rapport final du 6 mai. Difficile ainsi de trouver une phrase irréfléchie ou mal pesée dans cet ensemble de plus de 1 800 pages.
 
Le premier élément du rapport à avoir été relayé par les médias concerne le nombre hallucinant d’espèces en voie d’extinction (1 million) ou en danger (2 millions) dans les toutes prochaines décennies.
Ces chiffres ont frappé les esprits. Et provoqué parfois l’incompréhension, des voix discordantes se faisant entendre, faute d’expertise scientifique et statistique ou par réaction épidermique au concert des lamentations.
 
Ce sont en fait les mêmes polémiques qui réapparaissent régulièrement sur ce sujet : comment évaluer les pertes sur un ensemble (la biodiversité) en grande partie inconnu ? La spéciation (à savoir l’apparition de nouvelles espèces) ne va-t-elle pas compenser les extinctions ?
 

Une évaluation extrêmement prudente

Les évaluations chiffrées des espèces en danger sont basées sur des méthodes d’analyse statistique, qui prennent en compte des critères standards de l’IUCN, l’Union internationale pour la conservation de la nature. Quand ces méthodes révèlent statistiquement les mêmes tendances pour différentes espèces, ou dans différents écosystèmes, on obtient alors une estimation globale chiffrée réaliste.
 
De la même manière que pour les sondages d’opinion, ces estimations ont un sens seulement si l’échantillon utilisé est représentatif. Dans le cas de l’IPBES, l’évaluation s’avère extrêmement prudente sur cet aspect méthodologique. Une évaluation très réaliste, mais sans doute moins avérée, amènerait en fait de nombreux scientifiques à avancer un chiffre bien supérieur à celui de 2 millions d’espèces en voie d’extinction.
Quant à la spéciation, certes, elle génère de nouvelles espèces parfois très rapidement, mais son taux moyen sur l’ensemble du vivant est incommensurablement plus faible que celui des extinctions (plusieurs milliers de fois plus faibles).
En outre, les spéciations (comme les extinctions) ne sont pas réparties uniformément et ne concernent pas forcément les mêmes groupes d’organismes. Ainsi, si l’on étudie le vivant sous la forme d’un arbre évolutif, dont les ramifications résultent de l’évolution et des spéciations successives, il apparaît vraiment très mal « taillé » en raison des extinctions provoquées par les humains : beaucoup de branches raccourcies, certaines massacrées sur leur plus grande partie, d’autres « simplement » déséquilibrées
 

Un coût terrible pour l’humanité

Au-delà de tous ces chiffres, c’est aussi notre confort et notre survie qui sont directement en jeu. Il ne s’agit pas seulement d’une perte pour les amoureux des papillons et autres girafes – quand bien même on doit s’en émouvoir et y trouver des remèdes.
La biodiversité nous « sert » chaque jour, souvent sans que l’on s’en rende compte. Le rapport de l’IPBES rappelle à ce sujet quelques informations essentielles : 70 % des médicaments contre le cancer sont issus ou inspirés des espèces vivantes ; 75 % des plantes que nous cultivons sont pollinisées par des animaux ; la qualité des sols ou de l’eau dépendent de la biodiversité ; les ravageurs des cultures ou les vecteurs de nombreuses maladies seraient plus destructeurs encore sans antagonistes naturels au sein de la biodiversité.

LIRE DANS UP : 80 % des insectes européens ont disparu en trente ans

L’effondrement de la biodiversité a et aura un coût terrible pour l’humanité. Ce que certains qualifient de catastrophisme ou d’alarmisme n’est en fait rien d’autre que la juste évaluation par l’IPBES du rôle de la biodiversité dans notre vie quotidienne… Et pendant ce temps passé à polémiquer, nombre de services écosystémiques liés aux organismes ou aux milieux se dégradent inexorablement.
 
La synthèse de l’IPBES permet de compiler des chiffres terrifiants : la dégradation des terres a aujourd’hui réduit la productivité agricole sur 23 % de la surface terrestre ; les risques de perte de pollinisation sont évalués entre 235 et 577 milliards de dollars en termes de production agricole ; la dégradation des récifs coralliens due au changement climatique – le blanchiment des coraux est lié à l’acidification des océans sous l’effet de l’absorption du gaz carbonique – expose 100 à 300 millions de personnes à des risques d’ouragans ou d’inondation par la mer.
 

Des causes et des remèdes bien identifiés

Le rapport de l’IPBES identifie clairement – par ordre décroissant d’importance – les causes principales du recul de la biodiversité terrestre : les changements d’usages des terres ou des mers, l’exploitation directe, le changement climatique, les pollutions et, enfin, les espèces exotiques envahissantes.
 
Rappelons ici que l’extension des terres agricoles ou d’élevage correspond aujourd’hui à un tiers de la surface des terres émergées ; cela aux dépens des forêts (100 millions d’hectares de forêts tropicales perdus de 1980 à 2000) et des zones humides (ces dernières ont été réduites de 90 % depuis le début de l’époque industrielle), rappelle l’IPBES.
 
Le changement climatique joue pour sa part un rôle croissant ; il exacerbe aussi très souvent les problèmes liés à d’autres facteurs d’influence dans plusieurs types d’écosystèmes. Sur le front des polluants – outre ceux issus de la pollution urbaine et des pesticides –, le plastique (quantité déversée multipliée par 10 depuis 1980) joue un rôle négatif majeur. Enfin, les signalements d’espèces envahissantes ont augmenté de presque de moitié depuis 1980.
 

En attendant les accords de Pékin

L’importance de tous ces facteurs est liée au développement des populations humaines, qui ont doublé en 50 ans ; et à l’activité économique qui a quadruplé sur la même période. Il faut ici signaler le courage de l’IPBES qui prend en compte le facteur démographique humain, un paramètre souvent tabou. De même, l’objectif d’une croissance économique toujours plus forte est épinglé dans le rapport comme un problème majeur.
 
Il apparaît ainsi indispensable que les politiques développées prennent en compte les services écosystémiques et autres contributions de la nature aux personnes. Sur ce point, le rapport de l’IPBES n’est teinté d’aucune réserve ni d’aucune imprécision : les méthodes sont éprouvées et connues par les scientifiques et pourraient être employées sans détour par tous les États volontaires.
 
Soulignons encore qu’il est question de soutenir un développement durable, et non de généraliser un quelconque régime de disette ! Il s’agit de trouver des règles de gestion harmonieuses et raisonnées entre les activités humaines et les écosystèmes. Pour cela, les « sciences de la biodiversité » (écologie, systématique, biologie de l’évolution, etc.) ne doivent plus être considérées comme des variables d’ajustement, des épouvantails ou des éléments cosmétiques de politiques gouvernementales.
 
Au terme de l’assemblée plénière de l’IPBES à Paris en mai dernier, Emmanuel Macron a reçu des membres de la plate-forme et s’est engagé à ce qu’une délégation IPBES s’exprime au G7, ce qui a amené à la signature par les ministres de l’Environnement de la charte de Metz de la biodiversité.
 
L’enjeu est désormais de former une coalition internationale pouvant s’accorder sur des objectifs communs à valider lors de la prochaine réunion internationale sur la biodiversité, attendue en 2020 en Chine.

LIRE DANS UP : Biodiversité : craintes et espoirs avant la prochaine COP15 en Chine

Il nous faut des accords de Pékin comme il y a eu des accords de Paris sur le climat ! Les esprits chagrins ne manqueront pas de signaler que ces derniers ont déjà été remis en question par plusieurs pays et non des moindres. Mais avons-nous d’autres possibilités que d’essayer d’avancer ?
 
* L’auteur du texte qui suit est de Philippe Grandcolas, Directeur de recherche CNRS, publié dans The Conversation, en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités).
 
Sources : AFP, The Conversation
 

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