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Emmanuel Macron

Le courage de l’audace

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Qu’on les appelle crises, révolutions, innovations, progrès ou régressions, les mutations forment convulsivement la réalité de notre monde. Ce qui les rend singulières c’est la vitesse à laquelle elles se propagent. L’élection d’Emmanuel Macron en est une, singulière. Ces « temps qui changent » nous conduisent à reforger en permanence nos schémas intellectuels ; ils nous obligent à réélaborer nos manières de penser. Ils font émerger de nouvelles problématiques, de nouvelles valeurs, de nouveaux objets, de nouveaux enjeux, de nouveaux mots. Politique en est un, plus que tout autre appelé à être transfiguré. Un défi audacieux à relever.
 
Au cours de ces vingt dernières années, un leitmotiv revenait sans cesse : la politique n’en finit pas de finir. Ô certes, la politique n’a jamais cessé d’occuper les esprits, sous des formes de plus en plus variées. Malgré la déception et la défiance, le politique était toujours présent, toujours là, sous forme d’un « immémorial ». Paul Ricœur, le maître en philosophie du nouveau président de la République écrivait que « le politique est à la fois la réalité la plus proche, constitutive à chaque instant du vivre-ensemble actuel, et le plus dissimulé et en ce sens toujours oublié. » Même dans l’absence, même dans l’oubli, le politique est là car il participe d’un savoir primitif des hommes.
 
Avec l’élection chamboule-tout d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, le politique s’est trouvé pris dans un moment crucial de sa métamorphose : la déconstruction. Quant à la politique, celle des mauvais-coucheurs, des grincheux, ou plus simplement des désabusés de la politique, elle donne l’impression d’arriver au bout de sa course. « La politique apparaît à la fois pour nous comme une sorte de résidu gênant, qu’il faudrait idéalement éliminer, et comme une dimension tragiquement manquante, une grandeur qui fait cruellement défaut. » écrivait Pierre Rosanvallon.

L’expulsion du Paradis

Il est vrai que l’inconscience de ses acteurs de la nécessité de se ressaisir, de se recréer, a contribué à favoriser l’émergence de pratiques qui n’étaient rien d’autre que des fuites devant la réalité. La plus courante fut celle de l’enfermement dans une caste : celle de l’élite dirigeante. Cette caste protégeait dans sa forteresse les symboles du pouvoir politique. Elle possédait sa langue – de bois –, ses codes de connivence, ses coutumes de cour et ses grands prêtres économico-médiatiques. Dans l’enfermement de son Versailles, elle s’éloignait progressivement du peuple et de ses représentants, et s’offusquait de n’être point comprise ; d’être alternativement si mal-aimée. 
L’autre fuite fut celle des populismes de toutes natures, dont le jeu pervers était de traduire la réalité complexe en simplifications abusives ; ils jouaient avec le feu des passions, indifférents aux conséquences qui creuseraient, à nouveau le lit des vieilles tentations totalitaires. Malgré cette funeste perspective, les hommes politiques admettaient difficilement que leurs jours étaient comptés. « La politique et ses institutions accueillent tranquillement les mauvais présages au sujet de leur avenir, comme si elles jouissaient d’une immunité théorique et pratique » écrivait Daniel Inerrarity. Mais leur expulsion d’un tel paradis était imminente.
 
Longtemps, les politiques prétendaient, avec arrogance, avoir le contrôle des choses. Ils éprouvaient la nécessité d’arborer le statut prééminent du politique, cette forme ancienne certes symbolique mais héritée en droite ligne du religieux, se plaçant comme opérateur d’une unité surplombante et forcée. Quand bien même voulaient-ils pratiquer une politique « normale », le poids des habitudes revenait, porté, certes, par les quémandeurs insistant d’affirmation d’un sacro-saint statut présidentiel.
Car, dans l’esprit de la plupart de nos contemporains, la politique est définie comme un art : celui qui consiste à gouverner une partie significative de la réalité sociale dans l’océan des relations humaines et des imaginaires. Gouverner est alors volontiers conçu comme l’exercice consistant à piloter habilement un mobile doté d’une mécanique sophistiquée et rassurante. Le pilote est le leader, le chef, le guide ; c’est lui qui sait la route, la carte des vents et des marées, qui connaît les secrets des portulans. C’est sur lui que se focalisèrent d’abord les regards des citoyens puis les myriades d’yeux électroniques des caméras de télévision. Auréolé de lumière et de pouvoir, le politique est un héros qui montre la voie et trace la route. Or rien n’est plus faux que cette métaphore qui n’a produit que confusion et amertume.
 
Happé par la force des regards, égaré dans des espaces complexes, compressé par l’urgence du temps et la perte de la durée, c’est le courage du politique qui s’estompait et disparaissait dans la confusion du monde. Tragique disparition alors que le courage, de Platon à Hannah Arendt est non seulement la vertu politique fondamentale mais aussi la condition immatérielle du gouvernement politique. Seul le courage permet de véritablement commencer une action, de « s’insérer dans le monde et commencer une histoire » . Son défaut laisse la victoire au comportement sur l’action, à l’opinion sur la pensée.

Le courage d’innover

Avoir l’audace de retrouver le courage politique c’est faire œuvre créative ; c’est réinventer le sens du mot gouverner et lui donner une autre valeur que celle dont l’illusion héroïque l’a affublé. Quelle prétention pathétique que celle du politique de vouloir, dans l’océan de la complexité moderne, piloter le navire de la société, de le gouverner vers le bon cap. Dans cette image, la seule vérité qui garde un sens est celle de progression.
L’inventeur du mouvement « En Marche » semble l’avoir bien compris : la société avance, les hommes avancent, le monde aussi. Mais ils n’avancent pas de la servitude vers la liberté ou de la barbarie vers le « Progrès » ; non, ils vont de la complexité vers une complexité plus grande encore. La politique n’est alors plus seulement une question de modernisation, de réforme, voire même de révolution technologique ou sociale ; la question n’est pas de savoir comment se mettre en marche en tête, plus vite. La question se pose plutôt en termes d’actions créatives, capables d’articuler les tensions engendrées par une multitude de mouvements contradictoires.
 
Notre époque n’est décidément plus celle où l’on pouvait simplifier le réel en le forçant dans des concepts d’opposition tels que réformiste/conservateur, ou droite/gauche. Cette belle binarité qui distinguait, pour un temps, le bon cap du mauvais, ne fonctionne plus. Nous sommes embarqués sur une mer grossie de la coexistence de mouvements et de forces, qui ne sont pas réductibles à un courant dominant qui indiquerait le sens. Le politique nouveau doit avoir le courage de descendre des hauteurs de sa vigie, pour sentir mieux la mer, les frémissements des vagues et les sautes des vents. « Dans la mer de la complexité moderne, après le désenchantement du monde qui nous a privés de compas, des instruments, des routes et des valeurs utilisables, depuis qu’il n’y a plus de havre ou de fin à atteindre, il faut naviguer à vue. » écrivait le philosophe italien Franco Volpi.
 
Naviguer à vue ne veut pas dire naviguer au hasard, au gré du caprice des éléments, au jour le jour.  Cela veut dire, au contraire, gouverner courageusement face au monde, face au réel, l’esprit lucide et les sens en alerte. Cela veut dire agir et faire agir, ici et maintenant, sur le local et l’humain, pour atteindre un résultat global, valable pour la totalité. Cela veut dire écouter mais aussi entendre. Cela veut dire voir mais aussi faire voir. Cela veut dire sentir et comprendre le sens. Cela veut dire co-créer et insuffler une volonté dans tous les corps de la société. Cela veut dire éduquer à la responsabilité citoyenne de chacun, de l’enfant à la firme mondiale. Cela veut dire avoir le courage de changer de route si la vague est trop haute, pour atteindre mieux le futur commun possible. Cela veut dire être confiant dans l’intelligence des hommes avant de prétendre mériter leur confiance. Ce défi de l’audace, c’est, pour le nouveau président, celui de disposer de l’énergie nécessaire pour réconcilier les français, les rendre optimistes et confiants, en eux-mêmes d’abord.
 
Gérard Ayache, Directeur de la publication
 

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