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50 ans de politiques de recherche et innovation

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50 ans de stratégies publiques de la Recherche et de l’Innovation en France : les trois étapes de l’affaiblissement de la régulation politique.

Voilà ! Les Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, promesse du candidat François Hollande à la Présidence de la République, se sont tenues jusqu’au 26 et 27 novembre dernier, moment de la synthèse effectuée par le Professeur Vincent Berger. Celui-ci a, dans la foulée, écrit un Rapport au Président de la République, lequel demandera au Gouvernement de le traduire en projet de loi qui sera soumis au Parlement au printemps prochain tout ou partie des propositions qu’il contient.

La boucle est presque bouclée,… rondement menée ! Les deux principaux sujets en forme d’objectifs débattus pendant tout l’automne 2012, on les connaît : la réussite des étudiants par l’amélioration de toutes les conditions qui peuvent y contribuer ; le fonctionnement du système d’enseignement supérieur et de recherche, donc simplifié et cohérent, au service d’acteurs requinqués, re-légitimés et coopérants. Il n’y a plus qu’à attendre….

boussoleetfinancement2Ici, nous allons concentrer strictement attention et réflexion sur le sujet de la Recherche et de l’Innovation en formulant d’emblée les questions suivantes. La réforme des systèmes, des dispositifs, des organisations,…, épuise-t-elle toute l’ambition que l’on pourrait nourrir pour ces domaines importants de l’action publique ? Plus précisément, si pragmatisme et réalisme sont nécessaires pour donner à tous les acteurs des environnements bureaucratiques adaptés à leur ouvrage, puisqu’il s’agit de cela, doit-on pour autant dispenser ces domaines d’un cap de la Nation ou bien d’une vision de Société ? Tout ceci n’a peut-être pas échappé aux promoteurs des Assises. Mais, en la matière, la réflexion collective est négligente…

Nation, Société,… Il convient, selon nous, de s’éloigner des sciences administratives ou sociologiques, voire des « management studies », lesquelles ont eu la part (trop) belle dans le pilotage direct ou indirect des politiques publiques de Recherche et d’Innovation depuis 20 ans en France et d’emprunter aux outils – certes, pas bien riches ! – de la science politique contemporaine. Et surtout, surtout, il convient de prendre du recul ! Aussi, invite-t-on le lecteur à explorer avec nous la période 1960-2010, soit les 50 dernières années.

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Cet article va donc tenter le pari d’éclairer cette question de la régulation politique d’ensemble, ou de son absence, dans son rapport aux grands choix publics relatifs aux connaissances, aux savoirs, aux sciences, aux recherches, aux innovations en France dans les 50 dernières années. Il est pensé comme une contribution au débat politique que nous estimons nécessaire et qui appelle, pour le nourrir, d’autres contributions.

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L’organisation des choses – c’est-à-dire les dispositifs ou systèmes qu’on élabore pour leur fonctionnement – renvoie à une logique de type presque machinal, mécanique, apparemment neutre. Pourtant, elle relève de la « gouvernementalité » (au sens que lui donnait Michel Foucault : un mode d’exercice du pouvoir) qui est souhaitée, consciemment ou non, dans le milieu que l’on considère ; autrement dit, elle relève de l’autorité ou du pouvoir au sein du domaine considéré, des équilibres et des responsabilités, associées ou non, entre les intervenants.

Je pars ici de l’hypothèse que le mode d’exercice du pouvoir relève ou bien d’un Pacte transcendé par une garantie politique et passé entre des citoyens, ou bien d’un Contrat travaillé par des dispositifs politiques et passé entre des acteurs, ou encore de l’absence d’un Pacte ou d’un Contrat. De ce point de vue, je souhaite montrer à grands traits qu’en France, dans le dernier demi-siècle, on a cheminé de l’assise d’un Pacte national à l’option d’un Contrat de société vers, enfin, l’affaiblissement de la régulation politique. Et que, toutes choses inégales par ailleurs, cette dynamique a affecté les liens que nous entretenons avec les connaissances, les savoirs, les sciences, les recherches, les innovations, et plus généralement les gestes collectifs ; avec leurs émetteurs et avec leurs récepteurs, également.

A mon sens, trois grandes étapes caractérisent ce cheminement.

Remontons donc aux années 60

degaullelibreLe cap initié par Charles de Gaulle, autrement dit la garantie politique, c’était « La France, par l’indépendance » (cap partiellement préfiguré par l’action de Pierre Mendès France). Tout le dispositif de recherche et d’innovation s’est mis alors à respirer de ce récit national-là et à y préciser sa configuration organisationnelle (CEA, INRA, CNES, CNET,…) : la bombe française, la puissance agricole, l’accès autonome à l’espace, les infrastructures de télécom’ d’intérêt général…. On peut parler à ces époques-là d’un DNRI et de SNRI . Pacte entre l’armée et la nation. Pacte entre le paysan et la nation. Pacte entre la recherche et la nation. Le Pacte, c’est une confiance collective accordée sous forme d’une délégation à la fois intellectuelle, morale et pratique.

savantLa nation s’appuyait alors sur l’autorité de ce que l’on a appelé depuis la technoscience, co-créatrice de marchés d’intérêt général très politiques, et non sur le pouvoir des marchés économiques privés, résiduel dans son « incarnation ». Le couple scientifique-ingénieur, cœur de l’autorité de la technoscience, menait le bal et l’Etat garantissait le projet national. La projection temporelle et spatiale était forte.

Les savoirs des scientifiques et les savoirs faire des ingénieurs étaient attachés au temps long, celui de la nation. Ils étaient diffusés, transmis et attendus comme une source importante de l’émancipation individuelle et collective. Il était prestigieux d’être savant davantage que chercheur, sans doute parce que le prix de « la » science justifiait des gardiens autorisés. L’époque invoquait encore le citoyen et le « public » n’avait pas encore droit à l’existence sémantique dans les domaines de « la » science et de la « recherche-développement ».

financementsciencesAbordons maintenant les années 80

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Le cap initié par François Mitterrand, subsidiaire du cap initié par de Gaulle, fut moins explicite, mais clair néanmoins. Il tenait, lui, davantage d’un projet politique appelant des acteurs à passer Contrat : « La France par l’ouverture à ses entreprises et à l’Europe ». Ce fut le moment d’une transition qui n’a pas dit son nom entre le « faire nation » et le « faire société ». D’une transition entre une confiance déléguée à des autorités et un partage opérationnel du pouvoir. Plus de transcendance imposée mais une recherche de régulation entre les trois principaux « acteurs » des domaines qui nous occupent : la recherche publique civile et de défense, les entreprises et la société dite civile. Autrement dit, cette transition fit de la question du lieu d’articulation entre régulation savante, régulation marchande et régulation citoyenne « la » question tacite la plus importante ; et le choix de ce lieu n’est rien d’autre que politique. Notre DNRI, dans les années 80, a plus ou moins opéré et métabolisé ce « passage ».

Pour l’essentiel, retenons que furent alors mis en place le CIR (la plus grosse incitation fiscale jamais imaginée en France) ; que tous les organismes de recherche se sont affairés autour de la valorisation de la recherche pour faire le lien entre recherche fondamentale, appliquée et les logiques d’innovation des entreprises ; que l’on a défini une politique européenne digne de ce nom ; que furent tenues, enfin, les premières concertations sur la dimension régionale ou territoriale des politiques de recherche.

Le Pacte gaullien autour de la recherche scientifique a commencé alors à perdre ses marques ; l’entrée de notre pays dans le bain des grands marchés de consommation de niveau mondial a pris un poids grandissant. La recherche dite industrielle ou privée a dépassé en valeur monétaire courante la recherche publique. Le couple ingénieur-expert a rapidement capté l’autorité du couple scientifique-ingénieur. Quant à la régulation citoyenne, elle n’est alors qu’émergeante : on parle d’ailleurs en son nom lorsqu’on invoque à longueur de discours « la demande sociale ». Les SNRI peinent désormais à émerger d’un Pacte national qui s’essouffle. Emportées par une « régulation marchande de fait », elles marqueront une intention d’action publique à trois faces, intention :
– encore nationale autour des stratégies initiées par les grands programmes du cap gaullien ;
– subsidiairement européenne (et infranationale aussi, mais en lente émergence),
– de plus en plus accompagnant les stratégies de court et moyen terme des grandes entreprises françaises.
Bref, le récit politique a commencé à se chercher, et la projection en a pâti d’autant.

fetescienceC’est l’époque où les savoirs scientifiques commencent à être honorés à l’aune de leur utilité économique plus que citoyenne ou politique ; on ressent le besoin de renforcer leur diffusion, alors on crée la « Science en Fête ». Les recherches, elles, commencent à être questionnées de deux points de vue différents : celui de leurs finalités « innovatives », et, dans une moindre mesure, celui de leurs finalités sociales. Mais, au plan plus général des représentations collectives, les savants s’effacent devant les chercheurs ; dans le même temps, les chercheurs sont confondus avec les innovateurs, les inventeurs ou les ingénieurs ; l’aura de « la » connaissance, scientifique surtout, cède devant les services rendus par les connaissances théoriques et pratiques, autrement dit devant les savoirs, savoirs faire et compétences ; enfin, l’exaltation du sentiment national (du projet commun) recule devant les exigences de la sociabilité démocratique et territorialisée (du « vivre-ensemble ») et, du coup, la cité devant l’espace public et le citoyen devant le public.

Années 90 et 2000 enfin, avec deux phases successives

nationeuropeenne* Le cap mitterrandien s’enfonce dans les brumes au cours des années 90, et pas de cap initié par Jacques Chirac… ! Défaut de cap, panne… ? « Faire nation » ? « Faire société » ? La question posée par cette transition ne fut alors ni assumée, ni reniée, et, de fait, pas comprise. Notre pays ne fit aucun choix explicite, il laissa dire et faire. Entre donner un souffle nouveau à la nation française (nation en Europe et dans le monde), asseoir des formes modernes à la société française, concourir à la formation d’une société européenne ou encore viser le « faire nation européenne », les distinctions ne furent pas opérées.

Aussi, les années 90 ont-elles marqué la perte de vigueur du récit national au moment où la volonté d’un projet européen était encore forte : c’est donc le récit d’une Europe dite de la connaissance qui a pris le relais et impose l’orientation décisive.

connaissanceSoyons plus précis parce que la chose est d’importance. En fait, on avance un récit national européen enchâssé dans un discours général et territorialisé sur la connaissance, mais c’est un projet de société européenne appuyé sur les compétences, les savoirs et les territoires qui sera de fait proposé au Sommet de Lisbonne en 2000. Il reste que ce cap… prend rapidement l’eau. Pourquoi ? Parce que les Etats nationaux en Europe ne sont plus promoteurs ni d’un d’Etat européen ni même d’une fédération d’Etats-nations en vue d’une nation européenne. Le pouvoir de la légitimité s’efface devant la puissance de la régulation marchande. Il accompagne seulement le mouvement en « sanctuarisant » comme il le peut la recherche fondamentale (voir la création de l’ERC). Or, cette régulation marchande, excitée par la violence de la compétition économique mondiale, va commencer à s’exercer en imaginant tout au plus de bâtir des « économies de la connaissance » et, à tout le moins, de faire… l’économie des connaissances.

Le couple scientifique-ingénieur est hors-jeu. Le couple ingénieur-expert, lui, n’était que transitoire. Le couple expert-financier a pris le pouvoir. Et pour longtemps. Et lui n’a cure de « la connaissance ». Le pouvoir du technomarché a soumis l’autorité de la technoscience. Je vais expliquer cela.

* Un récit de type économique visant à mobiliser l’espace français comme partie de la société mondiale de marché accompagne les années 2000, aujourd’hui encore ! Fini le cap, mais fini également « le récit national européen enchâssé dans un discours général et territorialisé sur la connaissance » des années 90. Plus de garantie politique ! Au fond, au terme actuel de ce mouvement, il ne s’agit plus désormais ni de « faire nation » ni de « faire société ». C’est le moment d’une nouvelle transition entre le « faire société » et le « faire partie de la société mondiale de marché ».

Le CIR (crédit d’impôt recherche) français, massivement doté, est de plus en plus apprécié des directions financières des grandes entreprises françaises et loué par les entreprises transnationales. Dans ce contexte où la logique d’optimisation fiscale prend de la vigueur, l’injonction managériale à l’excellence faite tous azimuts aux domaines de la recherche publique ne fait guère que relayer le seul souci d’efficacité gestionnaire qu’annonçait la désormais célèbre RGPP (révision générale des politiques publiques). Désormais, tous les regroupements, polarisations et incitations possibles susceptibles d’engendrer des économies d’échelle au sein du DNRI seront favorisés. Pôles de compétitivité en aval. Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) en amont. Sans parler des nombreuses procédures qui les accompagnent (LabEX, IdEX,…). Agence Nationale de la Recherche (ANR). Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES). Bref, la recherche publique devient peu ou prou la variable d’ajustement du système qu’a précisément incarnée la loi de programme pour la Recherche (2006) !

mconnaissanceLa connaissance était l’objet même de la projection prométhéenne sous l’autorité d’un monde à construire. De cela, le technomarché globalisé n’a cure : une action processuelle infinie dans un tourbillon de flux techno-économiques apparemment anomiques, voilà son cahier des charges ! Il lui suffit de « serviliser » les technosciences, pour l’essentiel les savoirs et les pratiques à capacité prescriptive forte ; aussi puise-t-il dans l’économie, la gestion, le droit et le marketing, et relègue-t-il les autres savoirs, surtout les savoirs à capacité dé-normalisatrice (les humanités et les sciences humaines), également les savoirs à capacité descriptive de portée sociale. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’il néglige aussi les sciences elles-mêmes (physique, chimie, biologie) lorsqu’elles ne servent pas directement sa logique.

Bientôt, le paysage pourrait n’être fait que de savoirs en segmentation fonctionnelle, en voie de « destination » et de savoirs faire « agis », ou « embedded » comme on le dit quelquefois. Le chercheur en entreprise y est d’ailleurs de plus en plus introuvable : d’ingénieur, il devient méthodologue, ressource d’expertise, de conseil, voire marketeur. Le chercheur en institution publique, lui, n’en peut mais il est quelquefois « muté » en technicien aux compétences parfois jugées substituables a priori. La régulation citoyenne qui aurait pu s’appuyer sur la régulation savante pour contrebalancer la vision totalisante du technomarché n’a toujours pas de consistance. Enfin, le Public devient un récepteur divisible en particuliers, une sorte d’intégrale de parties identiques, invité alors, partie par partie, à accéder à des savoirs pré-constitués.

Moment de synthèse…

marchandisesEn 50 ans, trois étapes se sont succédées qui ont marqué la gouvernementalité, le mode d’exercice du pouvoir, des domaines de la Recherche et de l’Innovation en France : le gouvernement par la légitimité, le gouvernement par les normes, le gouvernement par l’équivalence monétaire. Cette dynamique traduit l’affaiblissement plus ou moins conscient de la régulation politique. Plus de Pacte national où la légitimité est de fait déléguée à des autorités ! Plus de Contrat politique qui régule par des normes le pouvoir des acteurs d’une société (française ou européenne) ! Vers un management de ressources et d’actions marchandisées au sein d’un espace plus ou moins anomique ?

Cet affaiblissement de la régulation politique trahit-elle, en outre, une dépolitisation qui dessert l’intérêt public et, peut-être même, l’intérêt général ?

donquichotte-picassoLa nation et la société partagent un enjeu commun : créer du « nous ». Mais à l’évidence, il ne s’agit pas du même « nous ». Le « nous national » attend surtout du ciment de l’engagement patient et anonyme pour être partagé, en un mot de la symbolisation. Le « nous social/sociétal » attend surtout de l’efficacité de la communication récurrente entre des individus et des collectifs aptes au partage par l’échange. Les deux mouvements n’offrent pas le même récit et ne fabriquent donc pas les mêmes « nous ». Quant à la société de marché, troisième mouvement, elle ne crée pas de « nous ». Elle les dissout. Aussi, si je devais accentuer le trait – et je vais le faire -, je dirais volontiers que, dans les domaines de la Recherche et de l’Innovation :

– la nation promeut l’auteur, celui qui fait autorité : le savant, le citoyen ; elle cherche l’unité en faisant mine de réparer en permanence une séparation initiale : elle le fait par la connaissance comme co-émergence, donc comme source d’alliance symbolique ; elle se construit dans l’inachèvement et dans la transmission de la connaissance entre générations (nation/connaissance, même racine),…. Bref, la nation se construit par rupture sur du neuf culturel, donc d’emblée incomparable !

– la société promeut l’acteur, celui qui (s’)autorise : le chercheur, le public ; elle cherche la conciliation en organisant les rapports sociaux et territoriaux par la communication de l’information plutôt que par la symbolisation ; elle s’exerce dans l’individualisation de l’accès à l’information, dans la formation de communautés de savoirs plus ou moins pérennes …. Bref, la société se construit en permanence sur la comparabilité culturelle du « déjà-là » entre les territoires sociaux !

– la société de marché promeut l’agent, celui qui agit et est agi : le compétent, le consommateur ; elle cherche l’optimisation de tout ensemble d’actes par la combinaison de ressources efficaces sur un marché, quel qu’il soit. Elle l’obtient de plus en plus par l’algorithmisation de l’information. Bref, la société de marché ne construit rien : elle mélange, simplifie, rend équivalent ; elle engendre substituabilité et dissolution culturelles par voie monétaire ! De fait, où en est-on aujourd’hui ?

entrepreneurLe technomarché globalisé a engagé une compétition encore méconnue entre les logiques entrepreneuriales et les logiques financières lesquelles, dans l’ensemble, combattent celles-là plus qu’elles ne les servent depuis plus de 20 ans. Or, depuis lors, nous avons été bien incapables de comprendre et de considérer ce nouveau paysage dans ses effets indirects, mais bien réels et puissants, sur la configuration de l’innovation et de la recherche, et leurs difficultés, en France et en Europe.

La projection est quasi-absente. Horizon : présent. L’innovation, soit la recherche dite industrielle quand on simplifie à l’extrême son épistémologie, stagne depuis 10 ans en Europe malgré les efforts publics considérables qui ont été consentis pour la stimuler, et les intentions proclamées de cette fameuse stratégie de Lisbonne. La puissance d’agir impressionnante de la finance de marché, laquelle n’assure plus de fonction spéculative utile au développement économique, n’est pas pour rien dans cette difficulté : elle vulnérabilise, à rebours, la marchandisation, l’innovation, la recherche, ou encore la symbolisation et la métabolisation qui les cimentent en amont et en aval,… Normalisés à l’excès, laissés sans connaissance, les actes deviennent alors des agenda économiques d’un éternel présent, autrement dit des choses devant être faites par des agents désormais en proie à une démarche idolâtre, privés de subjectivité et d’associativité.

… et d’ouverture.

Que sont les « possibles politiques », aujourd’hui ?

Donner un souffle nouveau à la nation française en Europe et dans le monde ? Asseoir des formes modernes à la société française ? Concourir à la formation d’une société européenne ? Viser le « faire nation européenne » ? Laisser émerger un espace français de la société (européenne ou mondiale) de marché, ou, enfin, compter sur un espace européen dans la société mondiale de marché ? Ces multiples choix ne sauraient plus désormais se présenter aussi contrastés, mais un certain jeu volontaire du curseur est possible.

Poursuivons, mais que le lecteur nous autorise dorénavant à tenir un propos plus prescriptif que descriptif, de conviction !

horizon2020A propos de la nouvelle stratégie européenne de la Commission, dite « Horizon 2020 », elle risque d’être d’emblée moribonde si, dans sa dimension R, D et I, elle devait continuer de morigéner les Etats pour une impuissance bien réelle,… mais qu’elle est incapable de qualifier, faute de recourir à une analyse politique de fond ! Or, les politiques publiques de niveau européen ont un seul méta-objectif à poursuivre, mais majeur : promouvoir l’union politique européenne. Dans cette perspective, les politiques de R&I devraient être le laboratoire collectif de ce que nous envisageons derrière cette expression « d’union politique », débat qui est aujourd’hui très insuffisamment controversé ! Voici, pour l’exemple à discuter, les deux axes qui devraient, à notre sens, guider cette union politique :

egalitechances2– viser l’égalité des chances entre tous les Européens et entre tous leurs territoires : cela impliquerait de lutter prioritairement contre la polarisation spatiale toujours croissante des ressources et des richesses de toute nature (cf. la « banane bleue renforcée », espace allant de Rotterdam à Milan en passant par Francfort et Munich qui contraste… avec le reste de l’Europe, futur désert continental !), et pour ce qui concerne notre sujet, de lutter, en particulier, contre la concentration économique des ressources de recherche et surtout d’innovation, véritable insulte à l’avenir des différents peuples, cultures et individus en Europe, et donc machine invisible de désunion politique à venir !

developpementdurable2– viser le long terme (dans la mesure où quasiment tous les acteurs non publics se chargent exclusivement du court et du très court terme) en marquant, y compris à la face du monde, une «nouvelle préférence pour le futur» affirmée dans un modèle de développement durable, humain, moderne et solidaire ! Or, n’est-ce pas le rôle des politiques de R&I (de recherches fondamentales ou finalisées) d’inspirer fortement cette voie et de contribuer à la préfigurer (« en soi » naturellement, mais aussi au sein même de toutes les autres politiques de l’Union Européenne, que les compétences de ces autres politiques soient exclusives, partagées ou simplement d’appui) ?

Nous avons donc encore le choix, à condition de repolitiser nos choix ! Aussi, ne laissons pas les seules forces de l’agenda « choisir » ! Les choix sont à rechercher dans une articulation consciente entre nation, société et société particulière de marché, entre leurs récits respectifs, ou alors dans leur dépassement. La réflexion politique est essentielle pour présenter les caractéristiques d’un arbitrage conscient, durable et démocratiquement débattu entre leurs figures emblématiques, celle de l’auteur, de l’acteur et de l’agent. Les milieux intellectuels de la Recherche ne sont pas sans une responsabilité éminente à éclairer un tel débat.

Aussi, les Assises de L’Enseignement Supérieur et de la Recherche doivent-elles assumer leur prolongation dans une controverse politique relative à ces grands choix publics qui façonnent et orientent l’avenir de nos pays …. !

A propos de Jean-Paul Karsenty

karsentyJean-Paul Karsenty est économiste par formation initiale. Tantôt il se présente comme un prospectiviste, tantôt comme un technocrate, tantôt encore comme un spécialiste des généralités ou des transversalités, c’est selon. C’est dire qu’il fréquente régulièrement plusieurs univers.
En fait, au sein de plusieurs institutions publiques françaises, et pendant plus de 35 ans, il s’est attaché à analyser les enjeux d’intérêt général et à donner forme à des politiques publiques : tant dans leur dimension économique bien sûr, que technique ou stratégique; tant du point de vue de leur anticipation que de leur évaluation. C’est ainsi qu’il a eu à réfléchir aux questions de politique industrielle, d’aménagement du territoire, de transports et d’énergie, de défense et de sécurité, d’éducation et surtout de recherche scientifique et d’innovation.
Il a été notamment le co-fondateur du projet Eureka en 1985, puis le Secrétaire général du Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie (CSRT) entre 1989 et 1996.

En 2005, il a rejoint le Centre Alexandre Koyré de recherche en histoire des sciences et des techniques, puis en 2012 le Centre d’Etudes des Techniques, des Connaissances et des Pratiques (Cetcopra) de l’Université de Paris 1.
Il participe, en outre, à la vie de nombreuses associations d’intérêt général.

 

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