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Up’timistes… »Les bonnes idées existent mais nous ne les voyons pas ! »

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Voici une bonne interview parue dans la Tribune (dossier Opinions).

LA TRIBUNE – Dans votre livre, vous faites la différence entre l’innovation et la créativité. Quelle est-elle ?

LUC DE BRABANDERE – Quand on parle du changement, la première chose à faire est de distinguer deux concepts : la perception du monde et la réalité. L’innovation, dans ma vision, c’est le processus par lequel une entreprise change la réalité. La créativité, c’est comment un individu change sa perception des choses. On dit créer ou innover, mais « créativer », cela n’existe pas.
La créativité, ce n’est pas une action, mais une pensée. On peut faire de l’innovation sans créativité : souvent, on innove en copiant les autres, en s’inspirant de ce qui a déjà été fait. On peut avoir de la créativité sans innovation.

Par exemple, Xerox a inventé la souris d’ordinateur, mais ne l’a pas exploitée, ce qui a permis à d’autres de bénéficier de cette innovation. Ma conviction, c’est qu’il nous est impossible de penser sans un cadre prédéfini, sans un modèle mental. L’art de la créativité, c’est de sortir de ce cadre et de créer une nouvelle structure mentale permettant aux idées nouvelles de trouver leur sens.

LT : Dans une économie de la connaissance, il y a donc une prime à ceux qui ont des idées nouvelles ?

LB : Exactement. Le titre anglais de mon livre, Thinking in New Boxes, est assez intraduisible en français. Ce n’est pas seulement « penser dans un nouveau cadre ». Le mot important, c’est boxes. Penser out of the box, que l’on traduit imparfaitement par « penser en dehors du cadre », cela ne veut pas dire penser à l’extérieur de là où je suis, par exemple, mon entreprise, mon secteur. Cela signifie changer la vision que j’en ai.

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LT : On dit pourtant, avec l’économiste Schumpeter, que l’innovation est le moteur de la croissance

LB : C’est là que la philosophie est utile parce qu’elle apporte aux mots la rigueur que les mathématiques réclament des chiffres. Albert Camus a dit que « mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde ». Quand Bic passe du stylo une couleur au stylo quatre couleurs, c’est une innovation sur le marché de l’écriture, mais qui ne change pas fondamentalement le modèle sous-jacent de l’entreprise Bic.

La vraie innovation, celle qui nourrit la croissance, est venue d’une nouvelle vision du monde. Lorsque Bic a décidé que son métier n’était pas seulement les stylos jetables, mais l’univers des objets en plastique jetables. Cela a tout changé : Bic s’est alors mis à produire des briquets et des rasoirs. C’est cela la créativité.

LT : Ce que vous dites, c’est qu’on a tort de mettre le mot « innovation » à toutes les sauces…

LB : Il y a un laisser-aller dans le vocabulaire. Une rupture de modèle passe par la créativité, ou plutôt l’innovation se fait dans la créativité. En plaisantant, je dirais qu’à chaque chute des ventes, Gillette ajoute une lame à ses rasoirs jetables »! Cela améliore sans doute le service rendu aux hommes, mais ce n’est pas une rupture.

L’innovation, c’est faire mieux en restant dans le même business model »; la créativité, c’est quand on se met à penser un système neuf, un nouveau modèle. Dans le mot business model, c’est le deuxième terme le plus important.

LT : Comment penser un modèle différent alors qu’en apparence, tout va bien pour l’entreprise ?

LB : Prenons un exemple : si Philips avait continué à fabriquer des lampes, des machines à café ou des télévisions, cela aurait conduit cette entreprise à l’échec. Ce qui a sauvé Philips de la concurrence chinoise, c’est d’avoir décidé d’ouvrir son marché au secteur de la santé où les moniteurs et l’électronique sont devenus très importants.

Lorsque le patron de Philips a donné cette inflexion stratégique à son entreprise, il a fait de la créativité. Il a pensé Philips différemment. C’est la nouvelle manière dont Philips s’est pensé et projeté dans l’avenir qui a permis de mobiliser les équipes pour lancer un processus d’innovation dans le domaine de la santé.

LT : Vous incitez aussi les dirigeants à penser les extrêmes. Est-ce parce que le monde est devenu imprévisible ?

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LB : Nous avons besoin de nouveaux modèles. Mon métier n’est pas de dire quoi penser, mais comment penser. Les dirigeants que je vois ont des interrogations sur l’avenir de leur modèle économique et se rendent bien compte que le véritable enjeu est de faire la bonne hypothèse sur le futur. Il y a des incertitudes de niveau 1 : ce que nous savons que nous ne savons pas. La vraie incertitude est de niveau 2.

LT : C‘est le fameux « cygne noir » de Nassim Taleb : ce sont les ignorances que nous ignorons qui sont dangereuses. Car alors, aucune prévision n’est possible. Le danger pour un chef d’entreprise, c’est alors de ne rien faire, d’appliquer l’adage populaire qui dit « dans le doute, abstiens-toi ».

LB : Non ! Dans le doute, il faut agir et se confronter à des scénarios extrêmes, inimaginables même. J’ai travaillé avec les dirigeants d’une grande entreprise belge. Je leur ai posé deux questions. « Imaginez qu’en 2025, votre entreprise devienne chinoise… » La réaction immédiate et unanime est alors : « C’est une blague, c’est impossible » Si la question est : « Imaginez qu’en 2025, votre entreprise soit devenue chinoise », l’attitude change, car on se met à chercher les raisons qui ont pu conduire à cette situation.

Et on trouve alors plein de bons arguments rendant un tel scénario possible »! Cela montre qu’il faut apprendre à casser les certitudes. C’est ce principe que je mets tout en haut de mon système, résumé dans une phrase de Francis Bacon : « Il faut obéir aux forces auxquelles on veut commander »…

LT : Vous citez aussi Walt Disney, qui disait « si on peut le rêver, on peut le faire ». C’est un peu optimiste !

LB : Je suis optimiste de raison et de convictions. Comme j’essaie de l’expliquer, les bonnes idées existent, mais souvent nous ne les voyons pas parce que nous ne chaussons pas les bonnes lunettes. Comment se fait-il que Sony, qui a inventé le Walkman, n’ait pas inventé l’iPod et dominé l’industrie numérique comme a su le faire Apple ?

C’est parce que Sony n’a pas su penser d’une autre manière le monde de la musique. De même, aucun des grands acteurs de l’Internet actuel, Google, Amazon, Facebook, n’est né dans de grandes entreprises.

Pourtant Wal-Mart avait tout pour inventer l’e-commerce. Les grands acteurs de la télévision, comme TF1, auraient pu lancer YouTube. Les technologies étaient connues. Mais ce qui a manqué aux grands groupes, c’est la capacité de reconnaître une idée nouvelle et d’en saisir l’importance

LT : Les grands groupes sont donc conservateurs…

LB : Le vrai problème n’est pas de survivre à un échec, mais de survivre à son succès. C‘est pourquoi certains numéros un finissent par tomber de leur piédestal, par arrogance ou aveuglement.

Cela arrive encore de nos jours. Google, créé il y a quinze ans, n’a pas vu venir Facebook il y a dix ans. BlackBerry connaît des difficultés, en partie parce que les dirigeants ont parié sur le clavier alors que le monde du mobile passait au tactile.

LT : Que pensez-vous du courant de l’innovation pessimism aux États- Unis, qui dit que l’innovation a cessé de soutenir la croissance ?

LB : L’innovation est parfois phagocytée par les grands groupes, qui empêchent les jeunes pousses créatives de se développer. Il y a un moment ou la taille devient un problème.

Mais il y a des solutions. Il y a trente ans, IBM, voyant arriver Apple et son ordinateur individuel, a créé une pseudo PME en Floride en donnant à cette équipe l’ordre de ne respecter aucune des règles d’IBM mais de sortir le PC le plus vite possible. L’erreur est la condition du succès. Personne ne dresse la liste des échecs d’Apple avant l’iPhone. Pourtant, elle est longue.

LT : L’Europe a-t-elle encore une chance alors que les États-Unis dominent l’innovation mondiale ?

LB : La créativité et l’innovation ne se résument pas à la technologie, mais existent aussi dans le marketing. L’Europe a des atouts considérables. Le Cappuccino vient d’Italie ; pourtant, c’est l’américain Starbucks qui en vend le plus. Walt Disney, Hollywood, se sont inspirés de la culture européenne. Il y a en Europe plein de bonnes idées. Ce qui manque, ce sont des représentations du monde afin de les réaliser.

©La tribune.fr / Philippe Mabille – Novembre 2013

Luc de Brabandere est senior advisor du Boston Consulting Group./ DR

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« LA BONNE IDÉE EXISTE ! CINQ ÉTAPES ESSENTIELLES POUR LA TROUVER »
De Luc de Brabandere et Alan Iny. Éditions Eyrolles, octobre 2013.
Version française de Thinking in New Boxes, a New Paradigm for Business Creativity,
Éditions Random House, septembre 2013.

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