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Le migrant connecté

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Le migrant aujourd’hui n’est plus un déraciné ? « Ici et maintenant », cet attribut majeur de la société globale, cette promesse des technologies de l’information et de communication (qui sont programmées pour produire une téléaction immédiate, une téléprésence instantanée,) questionne plus que jamais la figure du migrant, traditionnellement attaché au « ni ici, ni là-bas ». Il s’agit d’une transformation historique et sociologique complexe, car les TIC ne touchent pas seulement à la communication qui supplée l’absence, mais également à tous les aspects de la vie du migrant.

À commencer par le projet de départ, construit non plus à travers les récits d’anciens qui reviennent au pays, mais souvent après une bonne recherche sur Google. Les migrants passent d’abord la frontière informatique – « par l’écran » comme ils le disent – bien avant de franchir la frontière géographique. Les centres d’enfermement pour les sans-papiers ne sont pas seulement des prisons physiques mais ont également des murs numériques, à l’image du SIS (Schengen Information System) ou d’autres fichiers d’enregistrement des étrangers. Les passeurs, eux aussi se sont adaptés à cet environnement digital, et proposent des solutions de passage « par l’écran » et des stratagèmes pour « être (ou redevenir) propre » dans l’ordinateur.
À l’arrivée dans le pays de destination, le téléphone mobile est devenu un impératif pour trouver un travail mais aussi pour « rester connecté » et rassurer la famille restée sur place. On note que le téléphone mobile a apporté un assouplissement incontestable des contraintes spécifiques rencontrées par une population migrante sans papiers et souvent sans domicile fixe. Son accès généralisé est devenu particulièrement significatif.
Dans les sociétés d’accueil, ce support technique a généré l’apparition de différents mécanismes d’intégration sociale spontanés, multiples et individuels qui ont suppléé d’une manière informelle au dispositif de l’intégration institutionnelle. Les conversations par Skype et les plateformes sociales telles que Facebook, RenRen ou VKontakte sont entrés dans le quotidien des migrants et transformé le lien à distance : désormais il ne s’agit plus d’une brève communication épisodique, mais d’une manière de vivre ensemble à distance.

Un environnement particulièrement pertinent pour le migrant

Un autre changement majeur intervenu depuis les années 80 dans le domaine des diasporas tient à la multiplication des communautés en dispersion dans l’espace physique et à leurs nouvelles formes de regroupement, d’action et d’occupation des territoires numériques . D’autant plus que le web, inter relationnel, interactif et transnational par essence, est un environnement particulièrement pertinent pour les diasporas. Il a d’ailleurs été immédiatement investi par les diasporas. Instrument majeur de circulation de l’information et de liberté d’expression, l’Internet offre aux communautés dispersées un nouveau lieu de communication alternative, de représentation et d’action qui permet le développement d’expressions identitaires diverses.
Comme le signalent les premières recherches, les chercheurs et ingénieurs migrants sont à l’origine de l’occupation du web par des groupes diasporiques. Ces réseaux de personnes hautement qualifiées (basées à l’extérieur de leur pays et se réclamant d’un lieu originaire identitaire) ont joué de leurs compétences techniques et scientifiques comme de leur dispersion planétaire pour s’installer sur la Toile. Partant souvent du simple projet de construire «a successful Net-based business model», leurs sites sont devenus de vrais catalyseurs et des incubateurs pour diverses diasporas : ce qui était à l’origine un réseau personnel de relations est devenu par la suite une entreprise à caractère ethnique, un parti politique ou une association, etc.

Les réseaux de migrants hautement qualifiés, désormais appelés « knowledge diasporas », font également évoluer les politiques de développement : la circulation des connaissances via un matching académique est de plus en plus mise en avant, au détriment du rapatriement du migrant. Ainsi, au cours des dix dernières années, des dizaines de sites de rencontres fondés sur une base ethnique sont apparus. Ce web matrimonial des migrants donne naissance à une forme inédite de regroupement familial et de commerce ethnique, posant l’égalité « faire du commerce » = « faire du réseau » = « naviguer, bouger, migrer » .

L’accessibilité, facteur d’autonomie

Toujours dans le domaine de l’économie des migrants, on note des changements majeurs dans le domaine de rémittences. En lançant en 2005 lors du congrès de Barcelone le programme « Global Money Transfer Pilot Uses Mobile To Benefit Migrant Workers And The Unbanked », l’Association GSM a opéré une mutation radicale dans le champ des transferts d’argent des migrants. Ce programme est né d’un constat empirique : si les migrants et leurs familles sont bien connectés via les réseaux mobiles qui couvrent plus de 80% de la population du monde, ils sont peu bancarisés.
Depuis ce programme, de multiples projets ont été lancés à l’initiative de certains pays, comme les Philippines, où le transfert d’argent par téléphone, devenu une politique d’Etat, a entraîné la naissance de nombreuses entreprises innovantes.

Ces initiatives font coïncider les corridors bancaires et les corridors de communication. Les entretiens conduits par les chercheurs montrent que les technologies de téléphonie mobile permettent une autonomie plébiscitée par les migrants, quelles que soient leurs origines ou leurs traits particuliers.

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Cette pulsion vers l’autonomie est évoquée d’une manière explicite : « être le maître de son avoir ailleurs » ou « donner aux siens mais aussi garder pour soi-même ». En favorisant l’accessibilité des lieux et l’action à distance, les TIC offrent une opportunité sans précédent dans les sociétés des migrants pour développer des stratégies individuelles jusque-là indétectables, car inhibées par le poids des décisions collectives. Le migrant habituellement surexposé aux devoirs de solidarité peut aujourd’hui mieux gérer ses ressources et aussi, implicitement, son rapport aux lieux et aux autres.

Etre présent, le second travail du migrant

Jusqu’à récemment, la définition du migrant faisait référence à une série de ruptures et d’oppositions inhérentes à son destin. Celles-ci ont été constamment mises en avant comme un principe organisateur de toute une réflexion théorique sur les populations en mouvement, comme dans les thèses de la « double absence » affirmant, comme Abdelamaek Sayad , que « la science de l’émigration est une “science de l’absence” et des absents ». Cette citation résume bien l’ethos de tout un siècle de littérature au sujet des migrations.

Ce sentiment d’authenticité perdue et de modernité inachevée fut sans nul doute vrai par le passé. Mais il apparaît que cette vision ne peut plus rendre compte des transformations du rapport des migrants à l’espace et au lien, à une société qui vit à l’heure de la mobilité généralisée, et à un environnement « augmenté » par les technologies de communication et de l’information.

Le déraciné, en tant que figure paradigmatique du monde migrant, s’éloigne et fait place à une autre figure, encore mal définie mais dont on reconnaît qu’elle correspond à celle d’un migrant connecté qui œuvre plutôt dans une logique de présence.
On peut s’accorder avec Christian Licoppe qui, dans la tradition de la pensé pragmatique, propose qu’« être présent, (…) est un travail, qui repose sur des compétences, des dispositions et des dispositifs, des ressources et des contraintes pour affecter et être affecté par les situations ». Et ainsi conclure que pour beaucoup de migrants, l’impératif d’être présents « ici et là-bas » est devenu un deuxième travail. C’est cette transformation précisément qu’apporte avec elle l’âge numérique dans le monde des migrations.

e-diaspora : Comment visualiser une communauté de migrants sur Internet

L’étude e-diaspora a pour but de rendre intelligible une cartographie complète des communautés de migrants. Mais ces dernières, à la différence des cartes classiques, ne représentent pas un territoire réel mais bien virtuel, formé de forums, des sites d’association, de blogs ou de médias communautaires.

– Quels sont les usages des TIC par les migrants ?
Les migrants sont profondément liés aux technologies : hier, vecteurs des innovations technologiques entre les pays – un rôle que remplit aujourd’hui Internet – ils sont à présent des usagers très particuliers des TIC.

– Quelles sont les traces numériques liées aux migrations ?
Soumis à une surveillance et à un contrôle de plus en plus drastiques, les migrants font face depuis une dizaine d’années à la récolte de leurs données personnelles par les pays d’immigration comme les États-Unis ou l’Union Européenne.

– Quelles leçons apprendre des migrants connectés ?
Des forfaits téléphoniques de moins en moins chers, des connexions internet toujours plus rapides, des technologies qui gagnent en efficacité… Indéniablement, l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication permet aux migrants, grâce à ce cordon ombilical virtuel, de garder des liens forts avec leur famille restée dans leur pays d’origine. Mais il serait bien illusoire et limité de n’appréhender ces changements technologiques qu’à l’échelle individuelle !

Dana Diminescu, professeur à Télécom ParisTech 
(Source : digital-society-forum.orange.com)

©Photo de l’américain John Stanmeye, prise sur une plage de Djibouti, lieu de transit des migrants en provenance de la Somalie, de l’Éthiopie ou de l’Érythrépremier, a obtenu le prix du plus prestigieux concours de photojournalisme World Press Photo.  Février 2013.

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