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Sécurité et menace climatique
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Sécurité et menace climatique : deux défis liés

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Les événements semblent se télescoper. D’un côté la COP 21 longtemps attendue et préparée, grand rendez-vous mondial pour l’avenir de notre survie sur cette planète. De l’autre, un monde en état de guerre, avec des théâtres d’opération partout, jusque dans nos rues. Et si cette collision des deux événements n’était pas liée au hasard mais à une réalité que beaucoup nient encore alors qu’elle nous crève les yeux : le climat est intimement lié à la sécurité du monde.
 
Les prophéties ont commencé il y a une petite poignée d’années. L’année 2004 est une charnière. Elle fut l’année où, pour la première fois, le prix Nobel de la Paix était attribué à la militante écologiste kenyane Wangari Maathai, ajoutant dans ce geste la dimension environnementale au concept de paix. Remettant le prix, le président Ole Danbolt Mjoes prononçait une phrase qui posait les jalons d’une nouvelle conception de la sécurité : « La paix sur la terre dépend de notre capacité à préserver notre environnement. » Ce n’était que le début d’une prise de conscience qui irait en s’amplifiant.
 

Le cauchemar climatique du Pentagone

 
La même année voit  la publication d’un article dans le magazine Fortune du 9 février 2004 intitulé : Le cauchemar climatique du Pentagone. Cet article relatait un rapport commandé par le Département américain de la Défense et rédigé par deux experts, Peter Schwartz et Doug Randall de Global Business Network. Ce rapport décrit dans le détail les modalités et les conséquences d’un changement climatique brutal sur la sécurité mondiale. Ce rapport insiste sur l’urgence de ce qui est ordinairement considéré comme un phénomène à long terme, graduel, qui, même s’il est réel, peut être laissé sans regrets politiques ou économiques aux soins des générations futures. Le document, s’appuyant sur de nombreuses études scientifiques –dont certaines présentent un très haut niveau de crédibilité–, décrit une accélération généralisée des effets catastrophiques communément associés aux changements climatiques habituels comme les inondations, sécheresses, tempêtes, raz-de-marée, incendies, épidémies, disparitions d’espèces, famines, etc.
 
 
 
Le message explicite est que l’enchaînement de tels effets pourrait entraîner des conséquences dramatiques pour la sécurité mondiale. Les auteurs concluent leur rapport sur un « monde d’États en guerre ». Les scénarios, décrits comme plausibles, se fondent sur une échéance dont la plus courte est d’une dizaine d’années. Nous y sommes.
 

Le climat, multiplicateur de menaces

 
D’autres prophéties seront prononcées depuis. Toutes convergent pour assurer que  les problèmes climatiques ont et auront une influence de plus en plus forte et visible sur la sécurité des pays, des individus et du monde. Si les modèles théoriques expliquant la relation entre sécurité et climat ne sont pas encore forgés par les milieux académiques, les militaires sont en revanche les premiers à l’avoir compris et à avoir décrété l’état d’urgence climatique. En mai dernier, devant un parterre d’officiers de l’armée américaine le président Obama affirmait : « A travers le monde, le changement climatique augmente les risques d’instabilité et de conflits et le nombre de réfugiés climatiques. Aucune nation n’est épargnée. Ne vous y trompez pas, il aura un impact sur la façon dont notre armée doit défendre notre pays, doit s’organiser, s’entraîner, et protéger ses infrastructures ».

LIRE DANS UP’ : Changement climatique : menace pour la sécurité ou dispute académique ?

En octobre dernier, l’Assemblée parlementaire de l’Otan rajoutait un cran dans la prophétie  en votant une résolution appelant les pays membres de l’alliance à conclure un accord de Paris ambitieux, mais aussi à reconnaître le changement climatique comme un «multiplicateur de menaces» dans leur politique étrangère et de sécurité. Le rapport de la commission des sciences et des technologies de l’Assemblée parlementaire de l’Otan liste les implications du changement climatique pour la sécurité internationale : «Catastrophes naturelles, concurrence accrue pour les ressources naturelles telles que les denrées alimentaires, et pour l’approvisionnement en eau, pression accrue des migrations et impacts toujours plus lourds sur la santé publique
Ces discours vont dans le même sens que le GIEC qui, dans son cinquième rapport sur les impacts du changement climatique, publié il y a un an, assurait que le phénomène allait «accroître indirectement les risques de conflit violent de type guerre civile, violence interethnique et violentes manifestations en exacerbant les facteurs déjà établis, comme la pauvreté et les crises économiques».
 

Les prophéties se réalisent

 
Les prophéties se réalisent. Dans les détails. Un exemple glaçant est celui du rapport remis en 2008 par  le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. L’auteur estimait que le réchauffement agit comme un « multiplicateur de menaces » dans des zones déjà traversées par des tensions sociales, politiques, religieuses ou ethniques.
« Les changements climatiques risquent d’avoir, à l’avenir, des incidences sur la stabilité sociale et politique au Proche-Orient et en Afrique du Nord », détaillait le rapport, qui pointait « les tensions liées à la gestion des ressources hydriques de la vallée du Jourdain et du bassin du Tigre et de l’Euphrate, qui se raréfient » et l’aggravation de ces tensions par l’augmentation des températures.
Il mettait aussi l’accent sur « une augmentation sensible de la population du Maghreb et du Sahel » au cours des prochaines années qui, combinée au changement climatique et à la diminution des surfaces agricoles, pourrait entraîner une « déstabilisation politique » et « accroître les pressions migratoires ».
Le journaliste Stéphane Foucart  du Monde note que « de manière troublante, presque toutes les zones identifiées en 2008 comme les plus sensibles au réchauffement – de la Mésopotamie au Levant en passant par le Yémen, le Sahel et l’Afrique du Nord –, ont basculé sept ans plus tard dans l’instabilité ou le chaos, chaos dont les attentats du 13 novembre sont le monstrueux rejeton ».
 

Syrie : la sécheresse, terreau de Daech

 
Le Tigre et l’Euphrate traversent la Syrie et l’Irak dans une vallée fertile qui a vu naître les premières grandes civilisations. C’est là que serait née l’agriculture. Or aujourd’hui, le pays est sec. Infertile. Une immense sécheresse s’y est abattue depuis 2011. Les scientifiques comme les observateurs y voient, en partie une des causes de l’émergence de Daech et de ses terribles fléaux.  
Une sécheresse causée en partie par l’asséchement des deux fleuves principaux par des barrages construits en amont, en territoire turc, mais aussi par une pluviométrie quasi nulle due au changement climatique.
 
 
La sécheresse en Syrie a ravagé le croissant fertile du nord-est de la Syrie. 85 % du cheptel a disparu, affectant des millions d’habitants. Quatre millions de syriens ont quitté leurs pays en raison de la guerre mais aussi de la sécheresse pour se réfugier principalement en Turquie, en Jordanie et au Liban. Les champs n’étant plus cultivés, les canaux d’irrigations plus entretenus, c’est sept millions de personnes qui ont été déplacées. Les paysans ont dû quitter les campagnes pour vivre misérablement dans les villes et leurs périphéries, déstabilisant des zones déjà sous tension. Et d’où ont précisément débuté, en mars 2011, les premières manifestations contre le régime de Bachar al-Assad.
Le lien entre la sécheresse et le conflit en cours a été établi dans une publication de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. De plus, ce phénomène climatique catastrophique a été amplifié par une gestion erratique des ressources. Un rapport commandé par le G7 pointait que le régime syrien avait choisi de subventionner fortement les cultures de coton et de blé, très consommatrices en eau, encourageant des techniques d’irrigation inefficaces. Le mécontentement de la population étant à son comble, c’est là, dans la faim et l’exaspération que les extrémistes ont puisé leur force. Avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui : fanatisme,  violences terroristes et migrations massives.
 

Sahel, la guerre de l’eau

 
Huit personnes sur dix vivant au Sahel, dépendent des ressources naturelles ; elles sont donc directement vulnérables au changement climatique. La moindre modification du régime pluviométrique crée un moteur diabolique qui s’emballe avec les tensions politiques, ethniques ou sociales.
Les peuples pastoraux sont alors contraints de changer de mode de vie, de se mettre à l’agriculture et à se retrouver en concurrence pour l’eau et la terre avec les fermiers et les pêcheurs déjà établis.
 
 
La région du lac Tchad, qui a perdu 90 % de sa superficie en moins de cinquante ans est la plus touchée. Le rapport intitulé «Sécurité des moyens d’existence : changements climatiques, migrations et conflits au Sahel» commandé par le Programme des Nations unies pour l’environnement indiquait : «les données montrent que les régions affectées par des conflits à large échelle, particulièrement le Tchad et le nord du Niger, ont également été affectées par des changements du climat». Nul doute que la guerre civile au Darfour dans l’ouest du Soudan, ou la prolifération du mouvement terroriste Boko Haram au Nigeria n’aient été exacerbées par les conséquences du changement climatique sur l’accès aux ressources. Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, cité par  Libération note ainsi : « Un cercle vicieux. Les marécages du lac Tchad ont été transformés en «zone de guerre» par Boko Haram »
 

Bangladesh, un peuple inondé

 
Le Bangladesh possède 60 % de son territoire à seulement cinq mètres au-dessus du niveau de la mer.
Si le niveau de la mer augmentait d’un mètre, ce qui est prévu avant 2050, le Bangladesh perdrait alors le tiers de son territoire. Un scénario catastrophe pour les 156 millions de Bangladais qui, déjà, se serrent sur une étendue équivalente à un quart de la France…
Le pays est donc fortement sensible aux effets du changement climatique comme les inondations, les tempêtes, l’érosion et la salinisation des sols. Ici aussi, les peuples migrent pour fuir le danger côtier et se réfugient à l’intérieur des terres, vers les centres urbains. Résultats ? Environ 100 000 bangladais viennent, chaque année, grossir les multitudes de sans abri. Les bidonvilles gonflent et les poussées migratoires sont permanentes.
Or le pays est géographiquement une enclave dans l’Inde. La source de conflit est brûlante. Les bangladais reprochent aux indiens les barrages qu’ils ont installés sur la plupart des grands fleuves d’Asie, qui traversent le Bangladesh avant de se jeter dans la mer. Le grand voisin indien voit lui d’un très mauvais œil ces afflux de réfugiés.
 

Le mur entre l’Inde et le Bangladesh. photo : Gaël Turine. Agence VU
 
L’Inde a donc fait construire le plus long mur du monde. Fait de briques ou d’une double clôture de barbelés, il court sur 3200 km à la frontière entre l’Inde et le Bangladesh, coupant des villages en deux. New Delhi a justifié sa construction, légale au regard du droit international, par la lutte contre l’infiltration terroriste, l’immigration clandestine et la contrebande. Chaque jour, des milliers de Bangladais tentent de le passer, et des dizaines d’entre eux périssent chaque année sous les balles des troupes de l’India’s Border Security Forces (BSF).
 
 

Arctique, la glace est rompue

 
La fonte des glaces en Arctique ouvre les convoitises et les risques de conflit. Le changement climatique est le facteur principal de fonte accélérée de la banquise. Cette catastrophe n’est pas vue d’un mauvais œil pour ceux qui ont le court terme pour horizon. En effet, la fonte des glaces ouvre de nouvelles routes maritimes, et donc l’accès à de nouvelles richesses (pêche ou hydrocarbures) jusque-là bien conservées et inaccessibles sous la glace. Les enjeux sont colossaux. Déjà les revendications se font entendre des cinq pays riverains : le Canada, la Russie, les Etats-Unis, le Danemark et la Norvège.  Ces Etats souhaitent tirer profit des nouvelles routes, hyperstratégiques pour le commerce mais aussi des droits économiques exclusifs sur les ressources sous-marines et notamment les gisements pétroliers offshore.
 
 
Un rapport de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) pointait en juin 2014 que l’Arctique est le «théâtre idéal d’une compétition pour l’acquisition des richesses minérales du sous-sol, alors qu’aucune convention internationale n’en fixe le cadre juridique».
 

Et aussi …

 
Le Viet Nam devrait perdre 10% de son territoire à cause du changement climatique. Il faudra déplacer des populations.
 
L’archipel du Tuvalu est menacé de disparition pure et simple.
 
Les actes de piraterie maritime augmentent quand le plancton diminue. C’est ce que dévoile une étude publiée dans le Journal of Development Economics et citée par Le Monde. Le plancton – affecté par le réchauffement – forme le socle de la chaîne alimentaire marine : lorsqu’il vient à manquer, ce sont les pêcheries qui ferment. Les pêcheurs se retrouvent alors avec des bateaux qui ne peuvent plus servir à pêcher. Ils s’adonnent donc à une autre activité : la piraterie…
 
 
En frappant Paris le 13 novembre, Daech a, un temps, remis la conférence sur le climat au second plan. Pour tous ceux, comme ces groupes terroristes, qui prospèrent sur le désespoir des peuples meurtris par les guerres, c’est une victoire.
François Hollande ne s’y est pas trompé en associant dans le même terme « coalition pour la vie »  la coalition contre Daech et celle pour la COP21. Pour le président de la République, la lutte contre le dérèglement climatique et celle contre le terrorisme sont liées : « Mais c’est le même combat ». Pour François Hollande, ce combat est « celui qui consiste d’une part à protéger l’humanité des actions de mort que porte l' »Etat islamique » (Daech), qui frappent, bien plus que la France, l’ensemble du monde. Et d’autre part, à préserver la planète de nos propres inconséquences, qui peuvent être, demain, des sources de conflit et de guerre. Avec la même urgence. » Il résume cette idée d’une formule : «  Le fanatisme qui tue aujourd’hui. Et l’indifférence qui consume notre planète. »

LIRE AUSSI DANS UP’: Hollande – COP21 : « La France veut être à la tête de la plus large coalition pour la vie »

 
 

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