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Post-vérité

Post-vérité : le temps des salades

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La vérité n’est plus ce qu’elle était. Une valeur démonétisée, ringarde, une vertu de looser. L’époque est au mensonge. Non pas le petit mensonge que l’on dit en rougissant. Non le gros mensonge, la grosse contre-vérité, l’hénaurme farce. Nous sommes entrés dans l’ère des salades, celles qui font élire les Trump de tous poils, commettre des Brexit ou envisager les pires scénarios électoraux. Le dictionnaire d’Oxford en a fait le mot de l’année : post-vérité.  Un mot en vogue, symptôme d’une tendance sur laquelle surfent des professionnels que l’on croyait à tort démodés. C’est ainsi que va s’implanter en France en vue des prochaines présidentielles, Breitbart News, le média ultra-droite fondé par l’avatar américain de Goebbels, qui a fait élire Trump et poussé le Royaume Uni hors de l’Europe.
 
Plus c’est gros, mieux ça passe. Le mensonge, la contre-vérité, la fausse-nouvelle sont devenus monnaie courante dans le déroulement des affaires publiques. Le mensonge, tenu pour une simple et acceptable figure de rhétorique, serait même admis comme une manière habile et efficace de communiquer. Raconter un beau bobard équivaudrait à employer une jolie métaphore, pour bien faire passer son message. Qu’importe la vérité.
 
Depuis quelques mois, nous assistons à une montée en puissance spectaculaire de ce phénomène, avec des conséquences majeures pour l’équilibre du monde. La campagne de Donald Trump a été constellée de mensonges, d’approximations, de contre-vérités qui affolaient les compteurs des fast-checkers, ces organismes chargés de rétablir la vérité des chiffres et des faits dans les discours politiques. En vain, le poids du bobard semblait plus fort, la pression uniformément intense. Et Trump fut élu.
La campagne du Brexit fut du même ordre avec son lot de « post-vérités » qui firent basculer, contre toute attente des sondages, l’opinion britannique.
 
Ces deux seuls événements incitèrent les auteurs du dictionnaire de l’université d’Oxford à distinguer le mot « post-vérité » comme mot international de l’année. L’un d’entre eux, Casper Grathwohl déclarait « La fréquence d’utilisation du mot a vraiment augmenté en juin 2016 avec le Brexit et puis à nouveau en juillet, quand Donald Trump a obtenu l’investiture présidentielle du Parti républicain. L’utilisation du terme n’ayant montré aucun signe de ralentissement depuis ces événements, je ne serais pas surpris si la post-vérité devenait l’un des mots définissant le mieux notre époque ». Selon la définition du dictionnaire, on parle de « post-vérité » quand « les faits objectifs ont moins d’influence que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles pour modeler l’opinion publique ».
 
Dans un brillant article publié par The Conversation, l’universitaire Charles Hadji souligne que le discours politique qui se complaît dans la post-vérité joue sur les émotions et les passions. Or, dit-il, celles-ci sont bien le premier moteur de la vie politique. « Le discours raisonnable n’a guère de puissance propre pour mobiliser les citoyens. Pour faire vivre la démocratie, il faut mobiliser les passions. Car une part de rêve est nécessaire au « peuple » pour qu’il s’approprie un projet, et le rende vivant. Certes, le rêve nous installe dans la fiction. Mais Raffaele Simone a montré, dans son ouvrage ‘Si la démocratie fait faillite’, que les citoyens vivant en démocratie ont besoin de tenir pour vraies certaines fictions, s’inscrivant dans une mythologie, laquelle constitue l’un des piliers fondamentaux de la démocratie. »
 
Ainsi, les fables seraient plus appréciées que les faits. Le mensonge aurait plus d’efficacité que la dure et austère vérité. Dès lors, pourquoi tenir rigueur aux auteurs de mensonges ou de propos outranciers ? Non seulement on considère leurs excès comme faisant partie du débat politique « normal », mais, en plus, on croit leurs mensonges. Et non seulement on y croit, mais aussi on les propage. Les réseaux sociaux sont devenus une caisse de résonnance de la post-vérité. Ceux qui relaient une fausse information, un mensonge ou une calomnie ne le font pas nécessairement par pure conviction mais pour signaler leur position. La contre-vérité diffusée sur les réseaux sociaux importe peu, ce qui importe c’est le signal social, les opinions sous-entendues qui sont véhiculées. C’est ainsi que se propagent les sombres rumeurs, les théories du complot, les calomnies les plus viles.
 
Le phénomène est-il si nouveau que cela ? N’est-il lié qu’à la montée des populismes un peu partout dans le monde ? Pas vraiment pour l’universitaire britannique Andrew Calcutt qui soutient que c’est la gauche libérale qui a inventé la « post-vérité » : « Le renversement des valeurs qui a abouti à fustiger l’objectivité est le fait des universitaires, aidés par une foule de professionnels des classes moyennes. Libéraux avoués, le cœur à gauche, ils ont cherché à se libérer de la vérité professée par l’État. À la place, ils ont construit une nouvelle forme de fermeture d’esprit – « la post-vérité ».
Selon lui, il y a plus de 30 ans, les universitaires ont entrepris de discréditer la « vérité » comme l’un des « grands récits » que les gens intelligents ne pouvaient plus croire. En lieu et place de « la vérité », qu’il fallait donc considérer comme naïve et/ou répressive, la nouvelle orthodoxie intellectuelle autorisait seulement l’usage des « vérités » – toujours plurielles, souvent personnalisées, inévitablement relativisées. C’est ainsi que dans les années 1990, des cohortes de journalistes se mirent à rejeter le principe d’objectivité considéré comme rien de plus qu’une manie professionnelle. Les vieux briscards du journalisme qui soutenaient becs et ongles la valeur d’objectivité étant alors accusés de tromper leurs lecteurs, et eux-mêmes.
 
Dans le même temps, vers la fin des années 1990, montait en puissance le phénomène des « industries créatives ». La « marque » fut portée au pinacle et tous les moyens pour la construire et la défendre furent jugés valables. Story-telling, branding, communication … devinrent les parangons d’une société où la vérité importait peu face à la construction d’une fiction apte à faire rêver et vendre. Avec le développement des technologies numériques, le phénomène ne fit que s’accentuer et se mit à gagner tous les pans de la « nouvelle économie », y compris ceux, obscurs, de la finance. Peu importait la réalité des faits, ce qui comptait était la « valorisation », le plus souvent établie sur des critères très éloignés de la réalité ; sur des potentiels, c’est-à-dire des rêves.
Le domaine politique ne fut pas en reste. Les spin doctors firent alors leur apparition et déployèrent leur talent à aider les politiques de tous bords à reléguer les faits au second plan pour fabriquer des vérités, générer des images et des émotions. L’épisode de la guerre en Irak est un bon exemple, présent dans toutes les mémoires.
 
C’est ainsi que s’est façonnée la politique moderne :  la bataille d’arguments est privilégiée par rapport à l’établissement d’une plus grande vérité sur une question donnée. Rien d’étonnant alors à ce que l’on assiste à des confrontations sans assises factuelles, à l’émission de messages trompeurs, tronqués, faussés. Peu importe. Ce qui compte désormais, puisque la vérité est relative, c’est d’asséner la sienne. Il n’y a aucun mal à cela, aucune infraction à l’« honnêteté » ou la droiture. Toutes les méthodes deviennent acceptables pour gagner un combat et surtout une élection. Mettre en doute la réalité du réchauffement climatique contre l’avis de milliers de scientifiques du monde entier ne pose aucun problème. Cela n’empêche nullement Donald Trump de gagner les élections. La vérité est superflue pour battre ses rivaux.
 
À ce jeu, des professionnels du mensonge se distinguent singulièrement. Peu connaissent en France Steve Bannon. Celui-ci est le gourou de la post-vérité ; il en a fait une arme de guerre, si ce n’est un art. Ancien banquier chez Goldman Sachs, Bannon prend en 2012 la direction d’un site d’information redoutable : Breitbart News. Ce média s’est fait le chantre du populisme le plus extrême. Une véritable arme de guerre contre l’ « establishement », utilisant toutes les ficelles, mème les plus grosses de la post-vérité. Un site qui de surcroît affiche ostensiblement des positions sexistes, racistes ou homophobes. Le site 20 minutes rapporte quelques perles de ce média qui pèse aujourd’hui 240 millions de pages vues et 37 millions de visiteurs uniques par mois : « Préférez-vous que votre enfant attrape le féminisme ou le cancer ? », « Il n’y pas de discrimination contre les femmes à l’embauche, elles sont juste nulles en entretien », « La contraception rend les femmes moches et folles ».
De curiosité d’extrême droite, le site est devenu une voix tonitruante. À tel point que le magazine Bloomberg qualifie Bannon de « machine la plus dangereuse d’Amérique ». Le journaliste pourtant très conservateur de la chaîne Fox, Glenn Beck, allant jusqu’à le surnommer « Goebbels ».  
 
C’est pourtant cet homme que Donald Trump appela à ses côtés en qualité de directeur de campagne, avec le résultat que l’on sait. Une fois élu, Trump le nomme haut conseiller et chef de la stratégie. Bannon s’apprête à occuper ses bureaux dans l’aile ouest de la Maison blanche dès le 20 janvier prochain.
Mais l’influence de Bannon ne se cantonne pas aux États-Unis. En 2013, Breitbart News s’installe à Londres. Le Point rapporte qu’à sa tête on trouve Raheem Kassam, un activiste britannique de 30 ans qui érige au rang d’idoles Margaret Thatcher et Michael Gove, chef de file avec Boris Johnson des pro-Brexit. Breitbart London fait évidemment campagne en faveur du Brexit. Tout comme Raheem Kassam, qui devient le conseiller principal de Nigel Farage, leader de Ukip, le parti populiste et europhobe britannique. Plus le mouvement pro-Brexit prend de l’ampleur dans le débat, plus les audiences de Breitbart London s’envolent.
 
Avec des méthodes dépourvues de scrupules, un goût sans limite du scandale et de la provocation, Breitbart News sait faire gagner les élections. Son intérêt se porte désormais sur la France en vue de la campagne pour les présidentielles de 2017. Steve Bannon déclarait ainsi au site Radio-Londres : « Nous pensons que la France est l’endroit où il faut être, avec ses jeunes entrepreneurs, les femmes de la famille Le Pen… Marion Maréchal Le Pen est la nouvelle étoile montante. Nous cherchons à ouvrir un Breitbart Paris, voire un Breitbart France ». Alex Marlow, le rédacteur en chef de Breitbart News aux Etats-Unis, a déclaré à Reuters au moment de l’élection de Trump : Breitbart a commencé des entretiens avec des journalistes européens « pour qu’ils rejoignent les sites prévus de Breitbart France et Breitbart Allemagne », rapporte l’agence. L’objectif est d’aider l’élection de politiciens de droite dans ces deux pays européens, où l’opinion anti-immigrants ne cesse d’augmenter. Une aide de poids au regard de l’efficacité des méthodes de post-vérité, néologisme pudique pour ne pas dire manipulation de la vérité et mensonge, dont Breitbart s’est fait, toute honte bue, le maître. Le temps des salades est bien advenu.
 
 

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