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Diesel : expérimentation par Volkswagen sur des humains. Retour de la «banalité du mal»?

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C’est le New York Times qui l’annonce : « Une officine créée par Volkswagen a payé des chercheurs pour faire respirer des vapeurs de diesel à un groupe de singes, dans le but de prouver leur innocuité. » La controverse a éclaté après que des rapports aient révélé que les constructeurs automobiles allemands ont collaboré à ces expériences menées sous la direction de scientifiques et de médecins, dans lesquelles non seulement des singes mais aussi des humains ont été intentionnellement exposés à des vapeurs toxiques de diesel. Un scandale qui en dit long sur l’éthique perdue de certains scientifiques entrés en collusion intime avec la grande industrie.

10 singes et 1 coccinelle

La collusion entre les intérêts marchands et des autorités scientifiques sollicitées pour en justifier les abus ne date pas d’hier. Il a pris récemment dans les médias une intensité nouvelle.
Les expériences secrètes, qui se sont déroulées aux Etats-Unis et en Allemagne, faisaient partie d’une initiative de recherche sur le « diesel propre » financée par Volkswagen, le plus grand constructeur automobile du monde, avec BMW et Daimler. L’information a été publié à la suite d’un reportage paru dans le New York Times qui décrivait en détail une expérience antérieurement inconnue, commandée par le Groupe de recherche européen sur l’environnement et la santé dans le secteur des transports (EUGT), un institut de recherche aujourd’hui dissous et financé par ces trois constructeurs automobiles.
 
EUGT a choisi l’Institut de recherche respiratoire Lovelace d’Albuquerque (LRRI) (Nouveau-Mexique) pour mener une expérience qui pouvait montrer ostensiblement à quel point les vapeurs de diesel étaient inoffensives … en forçant un groupe de singes à inhaler les gaz d’échappement pendant quatre heures. Afin de contrôler le niveau de pollution de dioxyde d’azote (NO2) de véhicules diesel, des animaux, 10 singes macaques cynomolgus, ont été maintenus dans des chambres dans lesquelles un véhicule Volkswagen Beetle, installé sur un tapis roulant, émettait des gaz d’échappement. Les petits singes ont dû inhaler les vapeurs produites avant d’être anesthésiés et intubés, puis de se faire laver les poumons afin d’examiner leurs bronches. Résultat ? Les contrôles de la pollution n’ont détecté aucune production de NO2- alors qu’en utilisation régulière sur la route, les moteurs émettaient des vapeurs de diesel à des niveaux qui ne respectaient pas les normes d’émissions.

… et des hommes

Le Groupe de recherche EUGT n’a pas seulement effectué des tests d’émissions avec des singes, mais également avec des êtres humains. C’est ce que révèle un quotidien allemand, le Süddeutsche Zeitung.
Le rapport, publié sous forme de rapport d’activité pour les années 2012 à 2015, indique que l’association de recherche, sur recommandation de son conseil consultatif, a mené une « étude à court terme sur l’inhalation de dioxyde d’azote chez des personnes en bonne santé ».
Il faut rappeler que c’est ce gaz, le dioxyde d’azote, qui avait été mesuré dans des tests qui se sont avérés truqués par VW aux Etats-Unis pendant des années afin de se conformer officiellement aux valeurs limites légales pour les véhicules diesel.
L’étude commandée par l’EUGT a été réalisée par l’Université d’Aix-la-Chapelle en Allemagne entre 2013 et 2014. L’expérience consistait à faire inhaler, pendant plusieurs heures, à vingt-cinq jeunes adultes sains des concentrations variables de dioxyde d’azote.
 
Dans une déclaration, Volkswagen a déclaré qu’il « se distancie clairement de toutes les formes d’abus envers les animaux ». Une déclaration publiée avant que les médias allemands aient produit de nouveaux rapports d’expériences similaires impliquant des participants humains.
« Honteux ! », c’est ainsi que Barbara Hendricks, la ministre allemande de l’Environnement, a décrit les expériences révélées. « Qu’une branche entière de l’industrie ait apparemment essayé d’ignorer les faits scientifiques avec des méthodes aussi effrontées et douteuses rend tout ça encore plus horrible. »
 
Daimler se dit consterné par ce qui s’est passé au nom de l’industrie automobile allemande. « Nous nous distançons expressément de l’étude et de l’EUGT », a déclaré dimanche le constructeur automobile basé à Stuttgart au sujet des essais sur l’homme. « Nous sommes choqués par l’ampleur des études et leur mise en œuvre. » Et il poursuit : « Nous condamnons fermement ces expériences. » Daimler souligne qu’aucune influence n’a été exercée sur le montage expérimental. Le groupe avait « lancé une enquête approfondie sur la façon dont cela aurait pu se produire. L’approche de l’EUGT « est en contradiction avec nos valeurs et nos principes éthiques ».

Collusion entre scientifiques et industriels

Comme l’explique Olivier Petitjean, dans l’Observatoire des multinationales, « depuis des années, une coalition d’intérêts industriels, d’opposants fanatiques à toute forme de régulation gouvernementale et de propagandistes ultra-conservateurs cherche par tous les moyens à mettre en doute le consensus scientifique […] leurs méthodes sont une nouvelle fois utilisées aujourd’hui pour contester les efforts entrepris par des gouvernements ou des collectivités locales pour limiter la pollution automobile. »
 
Comment chercheurs, scientifiques, peuvent-ils participer à un processus de confiscation de la science au service des intérêts privés de grands groupes industriels ? Certains ont ainsi contribué à instaurer l’hégémonie d’une « stratégie du doute » quant aux risques industriels (amiante, plomb, nucléaire, pesticides, etc.) et à leurs conséquences. Comme le dénonce la sociologue Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches à l’Inserm (1), des alliances entre universités, organismes publics de recherche et industries ont assuré depuis des décennies le développement d’une rationalité scientifique dominante, orientée quasi exclusivement vers les besoins d’une croissance financière à très court terme. Le paradoxe est que cet asservissement de la science se fait au nom même d’une science soi-disant souveraine dans ses choix.
 
Pour Geoffrey Pleyers, chercheur au FNRS et spécialiste des mouvements sociaux et de la globalisation, ce jeu d’influence ne se limite pas aux puissants lobbies. « Le jeu d’influence ne s’exerce pas uniquement via les groupes d’intérêts. Plus grave encore, des chercheurs et des scientifiques sont approchés pour apporter du crédit aux intérêts de telle ou telle entreprise. »  

« La banalité du mal »

Il n’en demeure pas moins que malgré toutes les dénégations, les « regrets », les intérêts économiques, un étrange sentiment persiste. Des médecins, dont la vocation est d’aider leur semblable, les soigner, comment ces « scientifiques » peuvent-ils se prêter à des expérimentations aussi inhumaines ?
Dans une autre époque, Hannah Arendt avait proposé une explication aux crimes des nazis et plus particulièrement de leurs médecins dans les camps. Elle parlait de La « Banalité du mal ».  Cette expression recouvrait l’extrême difficulté à juger d’actes aussi insupportables soient-ils, perpétrés par des acteurs si ordinaires, pour des causes incroyablement banales.
 
La « banalité du mal » est un concept philosophique d’une importance sans précédent, car il pose la possibilité de l’inhumain en chacun d’entre nous. Cette possibilité de l’inhumain émerge nécessairement de la nocivité d’un système pervers, et suppose que le crime soit commis dans des circonstances telles, que les « criminels » ne puissent sentir ou savoir qu’ils font le mal. Elle suppose que le système en place ait veillé préalablement à tuer « l’animal politique » en l’homme, entraînant l’individu à perdre toute référence individuelle aux notions de « bien » et de « mal ». Il n’y a aucune culpabilité …
Mais il est difficile de penser que le moindre souffle de culpabilité aura saisi la plus petite parcelle de conscience de ces acteurs tant ils étaient convaincus d’avoir obéi aux « ordres supérieurs », donc à la loi. La banalité du mal se constituant précisément de cette soumission insolite à la loi. Pour les scientifiques de VW, à celle, banale, du marché ?
 
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(1)    Livre « La Science asservie » de Annie THÉBAUD-MONY – Edition La Découverte, 2014
 

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