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«Il faut empêcher la balkanisation de l’Internet»

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Michael Spence, le prix Nobel d’économie vient de signer une tribune qui nous met en garde sur ce que pourrait devenir Internet. Alors que toute l’économie mondiale est inextricablement liée à Internet et aux technologies numériques, le besoin de réglementation se fait chaque jour plus pressant. Toutefois, selon lui, il faut se garder de mettre en œuvre des réglementations fragmentées, maladroites, lourdes et incohérentes dont les conséquences pour la prospérité pourraient être considérables.
 
L’affaire Facebook-Cambridge Analytica a révélé au monde que des dizaines de millions de profils Facebook ont été récoltées pour servir des objectifs politiques contestables. Cette affaire a produit un retour de bâton contre la plateforme de Mark Zuckerberg en particulier mais aussi des géants de l’internet en général. Cette affaire de fuite des données personnelles n’est qu’un des aspects des risques liés à Internet, pourtant au cœur de la révolution numérique actuelle.
 

Mutation numérique

En effet, la plupart des innovations qui ont remodelé l’économie mondiale au cours des vingt-cinq dernières années reposent sur la connectivité des réseaux. Cette caractéristique a profondément transformé la façon de commercer, de s’informer, de communiquer, d’éduquer, de s’approvisionner, etc.
La connectivité des réseaux est aussi au centre des technologies d’apprentissage machine qui fabriquent l’Intelligence artificielle moderne.
 
Depuis une quinzaine d’années, l’Internet mobile a renforcé cette tendance. Le nombre de personnes connectées à Internet s’est accru spectaculairement, leur permettant de participer plus facilement et rapidement à l’économie numérique et à découvrir de nouveaux champs d’application. La navigation GPS, les plateformes de covoiturage, les systèmes de paiement mobile, les objets connectés… ont désormais un impact considérable sur la vie quotidienne et le travail des gens.
 
Dès l’aube d’Internet et jusqu’à une période récente, on a cru à un Internet ouvert, construit sur des protocoles normalisés mais avec très peu de réglementation. On imaginait qu’ainsi, le web servirait mieux les intérêts des utilisateurs, des communautés, des pays et de l’économie mondiale.
 

Risques numériques

Mais des risques majeurs sont apparus. Michael Spence pointe notamment le monopole des méga-plateformes comme Facebook et Google ; la vulnérabilité aux attaques contre les infrastructures critiques, y compris les systèmes de marchés financiers et les processus électoraux ; et les menaces à la vie privée et à la sécurité des données et de la propriété intellectuelle. Par surcroît, des questions fondamentales ont émergé sur l’impact d’Internet sur les choix politiques, la cohésion sociale, l’engagement des citoyens et le développement de l’enfant.
 
L’auteur fait observer qu’à mesure qu’Internet et les technologies numériques pénètrent plus profondément les économies et les sociétés, ces risques et ces vulnérabilités deviennent plus aigus. Jusqu’à présent, en Occident surtout, la seule façon de gérer ces risques était de laisser aux entreprises qui fournissent ces services l’initiative de s’autoréguler. On s’aperçoit aujourd’hui que ce principe ne fonctionne pas. Dans de nombreux domaines, comme par exemple la chasse aux contenus répréhensibles, les grandes plateformes rechignent à réguler et attendent des directives des tribunaux ou des régulateurs. Combien d’années fallut-il attendre avant que Twitter ne commence à s’intéresser aux comptes incitant au terrorisme ou à la haine raciale ? Quelques fermetures de comptes sont opérées, mais à petites doses.
 
Ce qui semble donc inévitable est que le monde va être obligé de passer d’un Internet ouvert à un Internet soumis à un contrôle plus étendu. Mais, pour Michael Spence, ce processus comporte ses propres risques.
 
La coopération internationale est appelée à la rescousse pour mener à bien cette mission. Mais force est de constater que cette approche a peu de chances de réussir dans le climat actuel de protectionnisme et d’unilatéralisme. Michael Spence pense que même des traités interdisant la cyberguerre ont peu de chances d’aboutir. Quand bien même les États y parviendraient-ils, des acteurs non étatiques continueraient d’agir pour semer le trouble et la destruction.
 
Dans ce contexte, l’auteur affirme que « les nouveaux règlements seront initiés en grande partie par des États individuels, qui devront répondre à des questions difficiles. Qui est responsable de la sécurité des données ? L’État devrait-il avoir accès aux données des utilisateurs et à quelles fins ? Les utilisateurs pourront-ils conserver l’anonymat en ligne ? »
 
Ce sont les États qui mettront en œuvre, chacun pour ses propres intérêts, des arsenaux réglementaires. Nul doute alors que les réponses des pays à ces questions varieront considérablement selon les différences de valeur, de principe et de structure de gouvernance. Michael Spence note ainsi qu’en Chine, les autorités filtrent le contenu jugé incompatible avec les intérêts de l’État alors qu’en Occident, il n’y a pas d’entité ayant le pouvoir légitime de filtrer les contenus, sauf dans des cas extrêmes comme le recours aux discours haineux ou à la pédophilie. L’intérêt des États prime sur toute autre considération mais dans les cas où un large consensus pourrait être obtenu. Tout le monde juge inacceptables les fake news ou l’ingérence étrangère dans les processus électoraux mais aucun accord ne peut être trouvé pour mettre en place des remèdes appropriés.
 

Frontières numériques

C’est ainsi que l’absence de consensus ou de coopération risque de nous conduire à l’installation de frontières numériques nationales. Dans ce monde d’après l’Internet libre, tout serait chamboulé. Non seulement la circulation des données et de l’information serait entravée, mais aussi le commerce, les chaînes d’approvisionnement, et une quantité impressionnante de services et de pratiques quotidiennes qui nous semblaient « naturels » aujourd’hui et qui deviendront exceptionnels. Ce nouveau monde aux frontières numériques existe déjà : en Chine, la plupart des grandes plateformes technologiques américaines n’ont pas droit de cité. En contrepartie, le gouvernement des Etats-Unis, prenant prétexte d’un risque pour la sécurité, a interdit à la société chinoise Huawei de fournir du matériel de réseau ou de téléphonie mobile à des sociétés américaines. Cette initiative américaine ne trouve aucun relai en Europe où Huawei est accepté comme un acteur majeur du continent.
Mais l’Europe elle-même et seule, décide de réglementer fortement la protection des données et de la vie privée. C’est le RGPD qui sera mis en vigueur courant mai. Cette réglementation va inévitablement entraver la circulation des données nécessaires à toutes les applications d’apprentissage machine et de deep learning. Mais cette contrainte n’est pas aussi stratégique pour les européens qu’elle pourrait l’être pour les Chinois ou les Américains. En effet, l’Europe ne dispose pas de méga-plateformes lui permettant de développer de façon concurrentielle des technologies d’apprentissage machine.
 
Pour Michael Spence, « Alors que l’ensemble de l’économie mondiale est inextricablement lié à l’Internet et aux technologies numériques, il est plus important que jamais de renforcer la réglementation. Mais si cette réglementation est fragmentée, maladroite, lourde ou incohérente, les conséquences pour l’intégration économique – et, par conséquent, la prospérité – pourraient être graves. »
Le prix Nobel d’économie appelle alors les décideurs à ne pas tenter de se mettre d’accord sur des détails, ce qui serait une mission impossible, mais au contraire à définir en commun un certain nombre de principes qui serviraient de base à de futurs accords multilatéraux. A minima, si l’on souhaite préserver une économie mondiale ouverte, ceux-ci devraient proscrire en priorité toutes les utilisations abusives des données.
 
L’article Preventing the Balkanization of the Internet, cosigné par Michael Spence et Fred Hu a été publié dans Project Syndicate.
 
 

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