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Sciences : penser un nouveau contrat social entre science et société

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La culture scientifique est en crise. Depuis plusieurs années, on assiste à une remise en cause croissante de l’universalité, de la valeur culturelle et de l’impact social du travail scientifique. Dans une tribune co-signée par une soixantaine de personnalités, Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), met en garde contre ce phénomène et préconise une meilleure régulation démocratique. Interview.
 
Marcelle Bourbier, Cevipof : La fiabilité des données scientifiques semble de plus en plus contestée par l’opinion publique, pourquoi ?
 
Virginie Tournay : Les sondages révèlent que la science et la culture scientifique sont perçues très positivement par une majorité des Français car elles signifient progrès et mieux-être. En revanche, il y a une défiance vis-à-vis des données et de leur production qui se traduit par une mise en cause de l’universalité, de la valeur culturelle et de l’impact social du travail scientifique. Cette défiance touche les chercheurs et leurs institutions. Elle est à distinguer des contestations qui jalonnent notre modernité industrielle : il y a toujours eu des oppositions aux innovations et il y en aura toujours. En revanche, le discrédit des institutions et du travail scientifique qui se développe ces dernières décennies doit nous alerter.
 
MB : Qu’est-ce qui est à l’origine de ce phénomène ?
 
VT : Les dérives de l’hypermédiatisation et la dérégulation du marché de l’information sont les causes principales de la montée en puissance de discours alter-scientifiques auparavant ultra-minoritaires. De nombreuses analyses, notamment celles de Gérald Bronner, confirment le rôle des médias numériques comme caisse de résonance de contestations souvent minoritaires, mais très actives. Certaines personnalités emblématiques, dont les propos sont contestés par la communauté scientifique, disposent d’une forte autorité dans ces médias. Sur Youtube, des vidéos remettent en cause l’efficacité des chimiothérapies ou établissent un lien de causalité directe entre la consommation de pois chiche et l’augmentation des performances sexuelles… Elles sont visionnées par plusieurs centaines de milliers d’internautes. Cela transforme la façon dont les gens perçoivent les pratiques d’évaluation de l’efficacité des innovations.
 
MB : Ce constat d’une défiance institutionnelle est-il partagé dans la société ?
 
VT : En 2013, Robert Badinter, Jean-Pierre Chevènement, Alain Juppé et Michel Rocard dans La France a besoin de scientifiques techniciens notaient déjà une évolution inquiétante des relations science-société en raison de minorités actives rejetant toute innovation et l’impossibilité de conduire des débats scientifiques contradictoires de façon apaisée. La visibilité croissante des discours anti-vaccination et la décrédibilisation chronique des systèmes d’évaluation du médicament en sont des illustrations. L’expertise scientifique continuellement commentée par les marchands de peur entraîne une paralysie de la prise de décision politique avec pour conséquence un tarissement des recherches en Europe, notamment dans le domaine des biotechnologies. Aujourd’hui, ce constat d’une défiance institutionnelle est partagé par ceux qui font le travail scientifique, ceux qui le régulent et ceux qui le vulgarisent et le diffusent. C’est ce qu’exprime la tribune La culture scientifique est à reconquérir” que j’ai co-signée avec de nombreuses personnalités du monde académique et politique.
 
MB : Vous indiquez que cette défiance est liée à un « populisme précautionniste », que signifie cette expression ?
 
VT : Cette expression, empruntée à Gérald Bronner, renvoie à une disposition mentale qui consiste à surestimer les faibles probabilités : je crois tout ce que je crains. Le terme de populisme correspond à l’expression politique de cette erreur de jugement. Son usage peut affecter l’intérêt général. Par exemple, la peopolisation de la lutte anti-vaccinale analysée par Jocelyn Raude passe par une interprétation maximaliste du principe de précaution. Dans les années 90, la rumeur d’un lien entre les injonctions contre l’hépatite B et la survenue de cas de scléroses en plaque a entraîné l’arrêt de la campagne de vaccination. Le principe d’immunité collective qui sauva des populations entières de la polio ou de la diphtérie des décennies plus tôt fut ainsi mis à mal et fragilisa la couverture vaccinale.
 
MB : La communication des scientifiques participe-t-elle de cette défiance ? Comment la communication scientifique doit-elle s’articuler à la prise de décision politique ?
 
VT : Il convient de réhabiliter la démarche scientifique dans la décision publique sans qu’elle ne la surdétermine. Si les discours des marchands de peur doivent être exclus de la décision politique, les experts n’ont pas à arbitrer la décision politique ni à en juger l’issue. La question des risques sanitaires et environnementaux, des OGM, relève des seuls experts du domaine mais le modèle de notre agriculture doit rester un débat démocratique. L’échec de la communication gouvernementale au moment de la crise H1N1 sur sa politique vaccinale est lié au fait que les prescripteurs et les internautes n’ont pas été touchés. Une communication efficace doit viser ses cibles, préciser les incertitudes scientifiques et dénoncer les incertitudes liées à la négligence ou aux conflits d’intérêts. Une autre tension dans les rapports science-société concerne les prescriptions scientifiques dans la sphère privée. Par exemple, si la scientificité de l’homéopathie est discutable, faut-il en interdire la vente ? Il n’y a pas de réponse simple.
 
MB : Comment penser la démocratisation des affaires scientifiques et techniques ? Une solution pourrait-elle être d’insuffler davantage de démocratie participative ?
 
VT : Pourrions-nous aujourd’hui faire adopter la loi Neuwirth autorisant la pilule contraceptive en 1967 si nous avions les connaissances scientifiques de l’époque ? Des procédures consultatives autour des effets inconnus sur la santé des femmes l’auraient probablement empêchée. Notre culture institutionnelle vise aujourd’hui à verrouiller toute incertitude. Elle a changé bien plus que notre rapport aux technologies émergentes. Pourtant, face aux risques alimentaires ou environnementaux, les gens ne souhaitent pas nécessairement s’engager personnellement et activement dans le débat, mais ils exigent plus de garanties au niveau des expertises produites, ainsi que le montrent les résultats du Baromètre de la confiance politique réalisé par le CEVIPOF. Il faut penser un nouveau contrat social entre science et société.
Cela passe-t-il par une multiplication des instances démocratiques en matière de choix scientifiques et technologiques ? Je crois qu’il faut faire un usage parcimonieux de ce type d’outils. Tout l’enjeu est d’établir la juste frontière entre les interrogations légitimes d’une opinion publique dont l’expression est au fondement de la démocratie, et des demandes inconsidérées ou absurdes. Ainsi, des lanceurs d’alerte ont été nécessaires dans les affaires de l’amiante ou du sang contaminé. Mais que dire de la loi néo-zélandaise imposant au gouvernement de répondre officiellement à toutes les requêtes des citoyens ? Ainsi, en 2014, le premier ministre John Key a dû prouver, avec l’aide d’un médecin et d’un vétérinaire, qu’il n’était pas un extraterrestre !
 
Propos recueillis par Marcelle Bourbier, Cevipof  – ©Sciences Po
 
Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), docteur en sciences politique, est aussi titulaire d’un DEA de biologie cellulaire. Ses recherches touchent aux politiques du vivant, depuis « l’administration » politique du corps biologique jusqu’à la régulation des biotechnologies médicales et agricoles (médecine régénérative, biologie de synthèse et produits du gene editing).
 
Source : Sciences Po

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