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Conversation libre à l’Assemblée Nationale sur le financement du prototype ou démonstrateur technologique des inventions industrielles et la mise en lumière des Centres Techniques Industriels (CTI) avec Monsieur François Brottes, député de l’IsèrePrésident de la Commission des affaires économiques à l’Assemblée Nationale 

Chez UP’ Magazine, nous faisons du journalisme autrement. Nous sommes tous des spécialistes de l’innovation, des praticiens de l’innovation et des auteurs d’innovations, et nous développons une information libre et solidaire spécialisée.

Je vous propose une petite conversation libre sur l’équité en innovation, selon que l’on est un porteur indépendant d’innovation, c’est-à-dire un auteur indépendant, ou un grand groupe doté d’une politique de R & D et de moyens en conséquence.

Notre entretien a lieu dans le contexte où les conditions et modalités du Crédit Impôt Recherche viennent d’être modifiées.

icon-magazine« Monsieur le Président, comment définissez-vous la politique d’innovation, à la Commission des Affaires Économiques à l’Assemblée Nationale : est-ce un petit sujet parmi d’autres ou un sujet qui a une relative priorité ?

ahiralinnovation4François Brottes :

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« C’est un sujet énorme, puisque l’innovation, c’est la prise en compte de l’évolution des besoins des marchés, de l’évolution des modes de vie, c’est la prise en compte de l’évolution des échanges… L’innovation doit être au cœur d’une préoccupation constante du législateur comme des industriels et de tous les acteurs économiques. C’est le nœud qui fait qu’on est dans la course ou hors course, donc sur la question des brevets, sur la question des certifications, sur la question des plates-formes d’innovation, sur la question du Crédit Impôt Recherche, sur la question du lien entre la recherche publique et les entreprises privées. On travaille en permanence là-dessus, car l’innovation c’est juste vital.

icon-magazineAvez vous déjà débattu à la Commission, de la question de la disparité d’accès au financement du prototype, ou de ce qu’on appelle le démonstrateur technologique industriel ? D’un côté des porteurs solitaires d’innovation brevetée mais ayant parfois un potentiel qui dépasse le milliard d’euros de nouveau marché, de l’autre des grands groupes.

Ce passage de l’invention à l’innovation, c’est à dire le financement du démonstrateur technologique : là, il y a une faille dans le système français, qui fait que nous ne parvenons pas à passer de la phase I de conception, dont on peut assumer seul le financement, à la phase de financement et de réalisation du démonstrateur technologique. C’est une phase dans laquelle le simple créateur rencontre d’immenses difficultés, à cause de cette question du financement, et celle de l’hébergement technologique.

FB : « La aussi, c’est un débat constant. Je reçois continuellement des courriers de personnes qui ont trouvé une idée géniale, un système qui a vocation à conquérir le monde. C’est parfois vrai et c’est parfois faux. Il faut donc monter un ménage à trois entre celui qui a l’idée, celui qui est capable de la développer et qui en a les moyens, et celui qui va l’industrialiser et la commercialiser.

On a dans le pays un certain nombre de plates-formes qui permettent de faire cela. J’ai organisé récemment, et c’est la première fois que cela se faisait à l’Assemblée Nationale, une audition des Centres Techniques Industriels (CTI).

Ces Centres Techniques sont des plates formes d’innovation, qui sont très proches des PME, très pragmatiques, qui travaillent avec des labos de recherche, et ont des partenariats avec la puissance publique. Un patron de très petite entreprise qui a une idée sans trop de moyens passe un partenariat avec ces Centres Techniques, dont le financement est en partie public. Ils sont dans une démarche de partenariat qui vise à développer l’industrialisation. C’est quelque chose qui n’est pas assez connu, alors qu’il y a une cinquantaine de CTI dans le pays, spécialisés par secteurs industriels.

Je les pousse actuellement à se rassembler, à se fédérer pour devenir un guichet unique au service des TPE comme des PME, car trop de PME ou TPE ne savent pas que ces CTI existent.

Côté innovateur ou inventeur, il faut aussi que celui ou celle qui a une idée rentre dans le champ de l’économie réelle. Il faut qu’il ou elle acquière une démarche de responsabilité, se constitue dans une réalité sociale, une personne morale pour nouer des partenariats ; il faut accepter de partager la réalisation.

cealetiJ’ai vu un fabricant de balais qui voulait mettre au point une innovation, entrer en relation avec le LETI, laboratoire du CEA de Grenoble. Ils ont réussi à faire un produit qui a conquis le monde. Il avait frappé à la bonne porte : comme il y a de l’argent public dans ces laboratoires, comme dans les Centres Techniques, çà ne coûte pas 100 % du développement, çà coûte un peu moins.

Là où je partage votre préoccupation, c’est que celui qui a l’idée n’a pas forcément les moyens d’aller chercher du partenariat, parce qu’il n’a pas l’argent. Il faudrait donc un système d’accompagnement financier ou de banque qui accepte de prendre le risque de cette phase de l’innovation, et là il n’y a pas grand-chose.

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aztecPar exemple, j’ai sur ma commune la société AZTEC, une entreprise qui fabrique des dameuses pour la neige, qui souhaite développer un nouveau concept qui ne pollue pas, assez innovant. Ils n’avaient pas droit au prêt, ils ont trouvé un Business Angel, Marc SIMONCINI pour ne pas le citer, qui accepte de mettre de l’argent pour en gagner ensuite. Il y a comme cela un certain nombre d’acteurs économiques qui acceptent de prendre le risque industriel. Souvent il ya un problème de partage de la propriété de l’idée, qui ne convient pas à celui qui a inventé.

icon-magazineSi l’on revenait sur la nouvelle réforme du Crédit Impôt Recherche ? Elle va moins profiter aux grandes entreprises, mais moins encore aux créateurs. Or, les grandes entreprises bénéficiaient déjà plus facilement que les petits porteurs, tant du CIR que d’ OSEO.

FB : Je connais beaucoup de grandes entreprises qui ne seraient plus en France sans le CIR. C’est un atout de déploiement, elles nous le confirment toutes. Ces grandes entreprises tirent beaucoup d’entreprises en aval. Il ne faut donc pas opposer les grandes et les petites entreprises. Notre tissu industriel est très amarré à ces grands groupes. Si on leur coupe les vivres en CIR, elles quittent la France.

Ce n’était pas le point de vue dominant du groupe socialiste auquel j’appartiens. Mais j’ai plaidé en sens inverse de mon groupe politique, car je sais par expérience que, sans le CIR, les grands groupes seraient partis ailleurs.

adionicsicon-magazinePorteurs d’innovations industrielles, nous rencontrons ce problème du financement du démonstrateur technologique, de la réalisation du prototype et de la R & D. Je vous propose en étude de cas, celui d’ADIONICS, un nouveau processus industriel de dessalement de l’eau de mer, en incubateur à l’Ecole Centrale de Paris. Deux grands groupes s’intéressent actuellement à son projet, comme partenaires, mais le fait d’ouvrir son capital à de grands partenaires ne résout pas son problème de financement du démonstrateur technologique, ni celui de son propre apport financier. Donc l’arrivée d’un grand partenaire ne résout pas toujours le problème de financement du démonstrateur technologique, il peut même l’accentuer. Pour l’auteur de l’innovation. Les banques font une fixation sur le Business Plan en aval, alors que le démonstrateur technologique n’est pas terminé, ni financé. Il n’y a pas de culture du financement amont en France.

florangeFB : Le financement du prototype, c’est aussi le problème de Florange ! Ce n’est pas seulement un problème de créateur d’entreprise, il se pose dans toutes les industries. Je suis d’accord, on n’a pas actuellement « le » dispositif de financement du prototype en France. Il y a des fondations qui peuvent venir défiscaliser, mais on n’a surtout pas l’expertise pour décider, déclencher le financement du démonstrateur technologique. C’est aussi une question culturelle. On n’a pas ce brin de folie des asiatiques ou/et des américains qui n’hésitent pas à se lancer à partir d’une idée, et qui trouvent des mobilisations de moyens tout de suite autour de l’idée. Nous, nous sommes culturellement en défiance, alors qu’on a d’excellents chercheurs ! Mais on est « corps des mines », on a des blocages psychologiques. Il faut donner des gages à tous les étages, et nos banquiers, si on a besoin de rien… on peut aller les voir ! Il y a un problème culturel et le problème n’est pas seulement financier. Mais pour ADIONICS, si deux grands groupes sont mobilisés, ce ne sera pas compliqué de faire un tour de table, y compris avec eux. Payer pour voir, ils savent faire.

icon-magazineLorsque nous entrons en négociation avec un grand groupe, il y a un rapport de force inégal, pas évident dans un moment où tout se joue. Nous sommes en relations fréquentes avec les grands groupes, sollicités par les plates-formes d’innovation, nous pouvons travailler à plein temps pour répondre aux sollicitations de tous ces organismes d’interface pour finalement nous apercevoir qu’ils ne peuvent rien pour nous. Ou bien ils se dérobent quand justement ils pourraient commencer à devenir efficients…

FB : …Des structures qui sont « bouffe crédit » et qui ne servent pas à grand-chose…Il y a effectivement beaucoup de structures grignoteuses de fonds publics qui sont nées, beaucoup d’agences et de gens qui pensent surtout à développer leurs salaires plutôt que l’innovation, et qui auto-consomment l’argent public. Alors que les Centres Techniques Industriels qui sont nourris par les taxes d’apprentissage versées par les entreprises professionnelles ont des comptes à rendre.

Il faut aller voir ces Centres Techniques Industriels. Ce ne sont pas des grignoteurs de subventions. Ce sont des ingénieurs qui recherchent pour les entreprises jusqu’au démonstrateur finalisé. Ils ont du réseau industriel mobilisable sur un prototype. Ils ont presque 50 ans d’existence, ils doivent se mutualiser, constituer un guichet unique et gagner en interdisciplinarité sur un projet.

icon-magazineIl s’agit là d’un système sain d’économie. Nous abordons le problème d’une économie saine pour l’innovation. Nous, les porteurs d’innovation en solo, il y a un « jeu » du milieu financier de l’innovation, qui consiste à nous isoler, à nous laisser nous épuiser, pour nous faire lâcher notre projet, et le récupérer ensuite par prédation au détriment de l’auteur. Comment les politiques peuvent-ils nous protéger de cette forme de délinquance dans le milieu de l’innovation?

FB : Il m’est arrivé à plusieurs reprises de mettre en relation des porteurs d’innovation et le directeur du CEA, car je ne néglige aucune piste de transition énergétique. Il faut créer des liens d’experts, commencer déjà par un tutorat qui s’instaure avant le financement, qui pousse le créateur dans ses retranchements. Il faut un tutorat scientifique de service publique qui protège tout en amenant le projet et le porteur de projet à maturité. Il faut pour l’inventeur être confronté plusieurs fois.

ilumens1icon-magazineAutre exemple, le projet de plateforme de simulation ILUMENS, un projet prioritaire en Santé Publique. La Société Générale a bloqué son financement à moins 100 000 € en milieu d’année 2012, la réalisation architecturale a été reportée sur 2013, ce qui a entrainé des pertes de chances de conquête de marchés…Comment la Société Générale peut-elle faire cela ? De même, un organisme parisien de développement n’a pas financé le voyage du professeur concepteur du projet sur la Russie, alors qu’il était invité par l’Ambassade de France. Résultat, là encore, il y a eu perte de chances sérieuses de décrocher des marchés…

FB : Cela arrive à des gens très bien, y compris quand on n’est pas en phase d’innovation. Il y a des entreprises qui déposent leur bilan à cause des banques qui disent stop. Dans les banques, il n’y a plus personne qui analyse les risques, ils ont peur, même de leur ombre !

icon-magazineLa City de Londres depuis 2001 n’engage plus des HEC, mais engage des ingénieurs polytechniciens, parce que les banques anglaises ont compris que les commerciaux n’ont pas d’expertise pour dire si un concept est bon, si un projet industriel est juste. Seul un ingénieur peut évaluer le risque en amont.

FB : Il faut des banquiers qui ont de l’empathie pour l’industrie. Il ne faut pas regarder que le business plan. Car si vous n’avez que cette entrée là, vous êtes foutu.

artarterialicon-magazineVous dites spontanément que nous vivons « notre parcours du combattant de l’innovation!  » La tyrannie du Business Plan est abandonnée en Amérique du Nord, justement pour accélérer le développement des innovations. Un médecin chercheur INSERM a installé sa startup à Besançon où il a présenté le storytelling de A.R.T, ARTERIAL REMODELING TECHNOLOGIES sur la plate forme MEDICEN ; il disait « j’ai perdu deux années universitaires, deux années de recherche et une année de guerre institutionnelle ».  Il totalisait cinq années de retard sur un parcours global de douze ans.

FB : Il y a également les freins des corporations, en particulier dans la Santé. Ce domaine a encore d’autres handicaps que l’industrie.

icon-magazineEn tant que politique vous n’hésitez pas à intervenir pour recréer de l’équité. Encouragez-vous tous les élus à faire de même ?

FB : C’est l’éthique même de notre fonction. Nous, députés, nous sommes un guichet unique multiservice et polyvalent. On a cette empathie obligatoire pour celui qui vient nous consulter. Tous les députés le font. Bien sûr, chacun a ses réflexes, selon son expérience professionnelle D’autant que tout le monde n’a pas le goût de l’industrie, mais nous sommes en mission d’intérêt général pour aider le pays à aller mieux. Il ne faut surtout pas « normer » l’initiative de l’élu, il faut lui laisser toute la souplesse.

icone-magazineNous sommes un pays qui a tendance à mettre trop de normes, de clauses, de check listes …Plus la check liste est longue, plus une innovation de rupture a une chance d’être exclue.

FB :  C’est difficile, il y a des truands, il y a de l’argent public, et l’on ajoute des critères pour limiter les truands, et pour justifier la présence de toute une série de gens qui sont là pour assurer le contrôle du contrôle du contrôle, le contrôle coûte plus cher que la subvention, et cela coûte parfois plus cher de demander une subvention que de ne pas la demander.

On est le pays de la Cour des Comptes à tous les étages, le pays qui respecte scrupuleusement toutes les directives européennes. Tous les autres s’assoient dessus ; on n’est pas assez fou en France…

icon-magazineUn immense merci pour votre accueil.

Propos recueillis en exclusivité par Béatrice de Damas pour UP’, Spécialiste en politique d’image, innovation et design stratégique.

Pour aller plus loin :

François Brottes est l‘auteur de la proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie.

Vidéos / Actualités de la commission des affaires économiques à l’Assemblée Nationale

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