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économie de l'innovation

Rencontre avec Alain Laraby, auteur du « Facteur de production invisible »

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Alain Laraby vient de publier chez UP’, un ouvrage intitulé « Le facteur de production invisible ». Ce livre est l’édition papier de l’article qui, dans UP’ Magazine, a suscité un grand retentissement sur le web. 
Nous connaissons Alain Laraby et ses travaux depuis quelques années, et partageons son environnement de pensée non pas contre les main stream, mais ce qui leur est adjacent, sécant, divergent, parallèle, et de surcroît polyphonique, tant il rend compte de cet esprit en liberté : à la fois créateur, politique et poétique, médiateur et exigeant dans une profonde fréquentation des lois, bienveillant, ironique et lucide. UP’ est  heureux de présenter ici les idées et l’homme.  
 

 Qu’est-ce qui a suscité ce récent travail de publication ?
 

C’est le sentiment de plus en plus vif dans mes activités de voir à quel point la France a pris du  retard du point de vue des mentalités. Tout donne l’impression que ce pays a perdu la faculté de générer l’innovation.  
 
Des exemples ?
 
Trois expériences personnelles sont pour moi éloquentes.
Lorsque j’étais assistant parlementaire, j’avais proposé à certains élus de réaliser une étude comparative des législations de divers pays pour apprécier la pertinence d’un projet de réforme. On m’a dit qu’on n’en voyait pas l’intérêt. 
Solicitor à Londres, j’avais découvert l’efficacité des procédures de settlements out of court, assorties de sanctions financières en cas de refus de négociation. J’avais écrit un article sur le Code de procédure anglais, avec des exemples concrets à l’appui. Je l’ai adressé à une revue juridique française connue qui n’a même pas pris soin de me répondre, comme si ce pays n’avait rien à apprendre d’autrui alors que les procédures, notamment de médiation, patinent en restant dans le formalisme et les vœux pieux.
 
Lorsque j’ai travaillé plus tard comme diplomate au Quai d’Orsay, j’ai découvert, là encore, combien un Ministère, en principe ouvert au monde, est resté imperméable aux nouveaux modes de raisonnement. Je pense en particulier aux méthodes de négociation à l’américaine ainsi qu’à la théorie des jeux dont plus de douze auteurs ont  reçu le prix Nobel. Indifférence complète, avec implicitement le sentiment : « on est chez nous et on sait tout », et on sait tout d’autant plus qu’on vient d’une certaine école qui fait croire aux diplômés qu’ils ont acquis la fibre d’un créateur.  Les contractuels m’ont semblé plus au fait des choses du monde que les fonctionnaires fiers de leur formatage. L’uniformité de pensée produit des erreurs et des blocages. 
 

Qu’en avez-vous induit ?
 
Rien au début, sinon un soupir. Puis, une réflexion sur les causes de l’inadaptation française à l’innovation. Dans cet article, j’en ai retenu une, immatérielle, que j’ai appelée le facteur de production invisible.

 
 Pouvez-vous développer ?
 
Tout le monde connaît les facteurs de production traditionnels comme le capital et le travail. Le facteur de production invisible n’est pas, à mon sens, à la marge de ces facteurs. Il en est, au contraire, au centre, mais on ne le voit pas ou, du moins, on ne le prend pas au sérieux. Par facteur de production invisible, j’entends non seulement la confiance dans une entreprise, mais aussi, et surtout, le brassage des profils et des expériences. Ce facteur est un facteur de réussite qui s’impose aussi bien dans l’entreprise privée que dans l’administration publique. Rien de tel qu’un tel brassage pour chercher ensemble à dénouer des erreurs et à trouver des solutions qui sont impensables autrement.
La philosophie française d’après-guerre avait perçu la nécessité d’agencements différents, mais son hostilité au marché n’a guère profité à l’économie. Le facteur de production invisible entre, à côté du progrès technique, dans le résidu qui explique la croissance. Sans lui, même le progrès technique n’en peut mais.

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Ce résidu est de l’invisible ?
 
Mon approche n’est ni sociologique ni économique.  Elle ne porte pas sur du factuel, du mesurable, mais sur de l’impalpable, du virtuel qui a des effets réels.  Elle répond à une intuition que d’autres partagent, notamment Scott E.Page qui a publié en 2007 un livre aux Etats-Unis intitulé « The Difference ou How the power of diversity creates better groups, firms, schools and society ». L’approche est qualitative, mais elle n’exclut pas les mathématiques, notamment la combinatoire et l’emploi des probabilités. J’ai ajouté à cette réflexion mes propres figures dont une surface de Riemann. L’œil peut percevoir le cheminement de l’innovation dans les organisations qui tirent profit des agencements multiples où l’éphémère et l’inattendu créent plus que de la productivité : des étincelles de dynamique ! 
 
Il arrive à certains de dire : Encore heureux qu’on ait fait mille rencontres dans sa vie ! L’entreprise et  l’administration sont heureuses d’avoir réalisé en elle le mélange en intégrant et en croisant des personnalités au cursus les plus hétérogènes. La liberté d’entreprendre commence par cette faculté inédite d’innover.
Qu’on songe à la diversité de parcours de Jean Monnet qui fut négociant en cognac à l’étranger dès son plus jeune âge, banquier en Californie et en Chine, administrateur auprès des Alliés pendant les deux guerres mondiales, promoteur du Plan à la française, enfin lobbyiste fort efficace pour que l’idée de l’Europe soit sur les rails. Les autorités, privées et publiques, qui ont su utiliser tous ses talents et vécus, n’ont pas eu à s’en plaindre. Elles ont préféré faire appel à cet homme qu’à cultiver la monoculture intellectuelle. Il faut des spécialistes et des diplômés, mais il faut les mêler à des non-experts comme Jean Monnet a su lui-même le faire.

Et maintenant ?    
 
Je viens de finir un autre texte, « Tartufferie et misanthropie économique ».
 

Une présentation en primeur pour les lecteurs de UP’ ?
 
Il s’agit d’un complément du premier texte. Je prolonge ici, non pas la réflexion d’un auteur américain, mais d’un français, l’ancien PDG de Suez et redresseur du Crédit Lyonnais, Jean-Pierre Peyrelevade qui a écrit en 2014 « Histoire d’une névrose. La France et son économie. » Je m’interroge toujours sur les causes qui entravent ce pays, dont certaines sont à nouveau invisibles comme l’incapacité à saisir justement les faits. On préfère en France le beau et ce qui est cohérent, et on passe sous silence l’imperfection du monde.
Ce trait d’esprit, qui permet de briller à la télévision et en salon, est l’effet, me semble-t-il, d’un excès de centralisation. Le centralisme produit du général autant qu’une surfiscalisation. Le goût du général (sous la forme tout est, tous sont, etc) brouille la perception des dirigeants. Le poids inconsidéré de la fiscalité nuit, depuis des lustres, au commerce et à la vitalité du pays. Nous n’avons pas de pétrole, mais des idées. Ce n’est pas mieux. Mieux vaut savoir décrire un fait.
Ce texte se présente sous la forme d’anecdotes plus ou moins théâtralisées. Molière est à l’honneur ainsi que Rimbaud. Une analyse est présentée en annexes, avec ici encore des figures. J’ai appelé l’une d’elles la chanson de « variété » française, variété étant à prendre au sens topologique. C’est de l’humour un peu méchant, malgré moi. En conclusion, je me soigne en faisant trois recommandations pour dépasser la critique facile et enivrante. Ces recommandations seront jetées au panier.

 

Du facteur invisible à ce nouvel opus, qu’est-ce qui vous a conduit à ces positions ?
 
Probablement ma polyculture, étant moi-même au carrefour de plusieurs religions et cultures, héritées mais aussi voulues. Je n’ai cessé toute ma vie de sortir de moi pour devenir moi-même. Comme dit Goethe, il faut plusieurs yeux pour voir (« wir brauchen mehrere Augen um zu sehen »).
Dans les deux textes dont nous avons parlés, j’ai mélangé la culture littéraire et la culture scientifique, le style et la géométrie. J’ai voulu rompre avec les discours d’autisme des gens de lettres qui n’ont cure de la science alors que celle-ci domine largement la pensée d’aujourd’hui. J’ai évité pareillement le discours du savant ou de l’ingénieur qui n’offre que des hiéroglyphes à déchiffrer. Les textes reflètent sans doute aussi d’autres intérêts ainsi que mes séjours à l’étranger, ayant toujours été persuadé qu’il faut voyager, comme tant d’autres l’ont fait dans le passé, pour comprendre le lieu où l’on est né, ses limites et ses qualités. 
 
Comme le conseillait le philosophe Saint-Simon au début du XIXe siècle, il faut avoir connu, non seulement d’autres mœurs, mais aussi d’autres façons de vivre dans sa propre société. J’ajouterai qu’il faut ne pas oublier non plus de cultiver d’autres parties de soi-même, en explorant son subconscient et en pratiquant les arts qui relient le corps et la pensée. Vous créez, en définitive, votre propre chaudron dans lequel va se forger, à petit feu, votre personnalité. Tout le monde sera surpris, vous en premier ! Nous restons, si nous le voulons, alchimistes, en préparant en nous, avec soin, toutes les transmutations possibles… 

 
Propos recueillis par la Rédaction de UP’ Magazine
 
Alain Laraby est médiateur international, accrédité à Londres auprès du London Chartered Institute of Arbitrators et à Paris auprès de l’Association des Médiateurs Européens. Il est par ailleurs consultant et administrateur d’une société étrangère dans le domaine de l’énergie. 
Il est membre du groupe francophone dans le cadre du projet de l’Académie Diplomatique Internationale. Il enseigne la négociation et le lobbying à la lumière de la « théorie des jeux ». Il signe dans diverses revues littéraires, politiques, philosophiques, ainsi que scientifiques.
 
 
 
 
 
 
 

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