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Economie de marché : la prise en otage de la démocratie

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L’économie de marché a apporté, dans les impedimenta de ses conquêtes, un vieux concept né il y a quelques millénaires à l’ombre des oliviers de la Grèce antique : la démocratie. Comme le marché, la démocratie est l’expression d’une liberté : celle de choisir entre plusieurs programmes, celle d’élire des représentants pour faire la loi et pour l’appliquer, celle de les contrôler et d’assurer la justice. Pour émerger, et s’imposer, partout, sur les décombres des idéologies anciennes, le marché a besoin de la démocratie.

La concurrence, le désir de consommation, l’existence d’une monnaie, la protection de la propriété privée, la circulation des biens et des personnes, toutes ces libertés exigent la mise en œuvre de pratiques démocratiques. De ce fait, marché et démocratie forment un couple indissociable. Là où s’installe la démocratie, l’économie planifiée cède le pas devant le marché. L’un ne peut fonctionner sans l’autre.

● Mais, comme dans tout couple, les relations équilibrées ne sont pas éternelles, et l’un finit toujours par emporter l’ascendant sur l’autre. D’autant plus que ce couple s’avère très vite mal assorti. Le marché promeut l’individu, consommateur de produits de plus en plus personnalisés, exigeant une pratique privative. La démocratie suppose au contraire la vie de la collectivité et des services publics. L’un cherche à s’affranchir des frontières nationales pour glisser dans un monde lisse, sans aspérité ; l’autre cherche à définir les limites territoriales de son action. Le premier recherche la satisfaction de l’individu alors que le deuxième membre du couple s’attache à faire accepter par la minorité les décisions de la majorité. L’un a pour ambition la réussite individuelle et creuse les inégalités alors que l’autre est tendu vers l’intérêt de vivre ensemble harmonieusement. L’un veut le laisser-faire, l’autre la régulation.

● Le mécanisme de ce rapport inégal de forces est relativement simple ; il ne tient pas à une force supérieure machiavélique qui tirerait les ficelles, il n’y a pas de deus ex machina. Il y a en revanche des lois naturelles. Un individu est plus souple, plus rapide dans l’exercice de la mutation qu’une masse collective ; le marché donne la primauté à l’individu, à l’initiative privée alors que la démocratie doit mettre en œuvre des processus lourds et complexes pour modifier la trajectoire de l’action. Dans un cas nous sommes en présence d’une physique moléculaire, souple, changeant facilement d’état ; dans l’autre cas, nous avons affaire à une physique lourde, massive, évoluant sur des aires longues. Autre loi, celle de l’espace. Le marché s’affranchit des frontières, des États et des territoires, il traverse par flux de biens, de personnes, d’idées, de modes, la planète tout entière. La démocratie, au contraire, a besoin d’un État-nation pour fonctionner, assis fermement sur un socle territorial et institutionnel.

economiemarche● La suprématie du marché sur la démocratie est aujourd’hui telle que le marché prend la liberté se passer de la démocratie pour fonctionner. L’hypermonde actuel est presque entièrement soumis aux lois du marché, mais la moitié de la planète est encore régie par la dictature ou le totalitarisme. Cet affaiblissement de la démocratie s’opère par le jeu de forces exogènes et endogènes. La pression de l’extérieur est celle des acteurs économiques du marché mondial. De nombreuses entreprises géantes sont aujourd’hui plus puissantes que les États. Ces entreprises sont transnationales ce qui veut dire qu’elles n’ont ni territoire ni localisation ; leur espace est le monde dans lequel les États ne sont que des lieux de passage ou des zones de localisation mises en concurrence.

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La suprématie du marché sur la démocratie réduit progressivement la part de régulation des États-nations forcés de laisser en jachère ou de privatiser des pans entiers de leurs anciennes prérogatives : inégalités économiques grandissantes de leurs citoyens, accès aux services publics, assimilation de leurs minorités, sécurité extérieure. Suprématie qui prend des allures de cynisme quand la crise oblige les États, pris en otage, à financer les pertes des marchés.

● L’affaiblissement de la démocratie provient aussi de forces intérieures à elle-même : elle est minée par la conception de l’individu formalisée par le marché économique. L’Individu est un concept récent. Il se situe dans le contexte de la quête moderne de l’autonomie qui, au-delà des ses aspects politiques, juridiques ou historiques apparents, est déterminée fondamentalement par les processus économiques. Certes, les sociétés de marché reconnaissent l’émancipation de leurs membres plus que tout autre type de société. Mais cette émancipation n’est accordée qu’en fonction des intérêts du marché lui-même ; elle lui accordé des droits en échange d’un seul devoir : participer à la bonne marche des affaires. C’est ainsi que l’individu devient consommateur, usager, travailleur, producteur et perd de plus en plus les dimensions politiques de son individualité comme la culture, la citoyenneté ou la nationalité.

● Associé à une démocratie anémiée, profitant de la grande confusion hyperinformationnelle, le marché sombrant dans l’ubris et la cupidité, illusionne son monde. Malgré les crises, malgré les désastres humains qu’il provoque, le marché demeure encore incontestable, indéniable, clos sur lui-même et sur ses propres forces, seule représentation possible du réel.

Face à cette suprématie, il ne reste plus que deux choix : la révolte, la subversion, ou inventer de formes nouvelles de la démocratie. Celles-ci sont encore à imaginer, à repérer dans les initiatives et les idées qui émergent ça et là, subrepticement et parfois spontanément. Cet enjeu est révolutionnaire. Une révolution qui peut prendre des allures de prise de Bastille ou de Palais d’Hiver, ou, plus vraisemblablement, d’implosion. L’exigence sera alors de nous réapproprier le sens de notre propre histoire et de notre responsabilité. Un enjeu qui n’est pas une utopie mais le seul moyen d’éviter une fin sans gloire.

 

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