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Phénoménologie de la dette des Etats

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La dette des états a souvent les honneurs de la presse. Ces derniers jours, celle dont il est le plus question est la dette Grecque de l’état, des collectivités et institutions publiques dont le montant, comparé au PIB est largement commenté et les perspectives de remboursement âprement débattues. Surtout du fait que la nouvelle majorité et le nouveau gouvernement, n’ont été élus que pour trouver le moyen de ne pas la rembourser et de permettre à la population d’échapper aux mesures de rigueur imposées par le FMI, l’UEM et la BCE, qui ont pris en charge une partie de cette dette. Ces mesures, si elles ne ruinent peut-­être pas le pays, en ruinent au moins l’essentiel de la population.

Il est maintenant largement reconnu que cet endettement ainsi que la situation qui en résulte, sont largement liés à la crise financière de 2008 et aux phénomènes que je décrivais dans mon ouvrage « Crise financière ou de société ? » (1) paru en 2009 aux Editions Bénévent. Dans mon épilogue, j’indiquais :
« Si notre société était fondée sur les valeurs de liberté, égalité, fraternité et avait pour paramètre la vertu morale, la crise analysée ne serait qu’une crise financière, un épiphénomène social. Si les véritables fondements de la société sont la compétition, la concurrence, la quête du pouvoir, de la domination en imposant la soumission, que le principal paramètre est la monnaie, que les riches, la richesse sont admirables, la pauvreté blâmable, les pauvres et les miséreux méprisables, alors cette crise n’est pas seulement une crise financière, mais une très grave crise de société. »

Six ans plus tard, je ne suis pas tenté de modifier un mot de ce constat. Non pas pour le plaisir de prétendre : je vous l’avais bien dit, ce qui présenterait peu d’intérêt. Mais plutôt pour rappeler que des mesures susceptibles d’apporter des solutions ont été proposées à l’époque, par d’autres et par moi, et que celles qui ont été prises, consistant à éponger les dettes, blanchir les principaux acteurs et jeter un voile pudique sur le rôle de certaines institutions financières, ne pouvaient avoir d’autre effet que de permettre à la crise de franchir une nouvelle étape.

Sans vouloir revenir sur ce que j’ai expliqué dans le livre précité, il m’est nécessaire de rappeler que bien qu’il soit très souvent question des finances des états, aussi bien dans la presse que dans le débat politique public, leur situation réelle est totalement inconnue et ce même des meilleurs spécialistes de la question. Tout simplement parce que les comptes n’existent pas. Qu’ils ne sont jamais dressés, ni arrêtés. Bien sûr, pour le savoir, il faut connaitre la question. Savoir ce que sont un inventaire, un bilan, un compte de résultat, comment on les dresse, à quoi ils servent. Et ceux qui le savent s’abstiennent de le dire. Ceux qui seraient susceptibles de le dire, ne le sachant ou ne le comprenant généralement pas. Et les quelques voix qui le dénoncent sont inaudibles, car elles ne s’inscrivent pas dans le débat passionné, de la politique-­spectacle, orchestré par les politiques et les journalistes, qui gardent le silence sur ces sujets pour préserver leur intérêt et leur pouvoir.

Toute entreprise, individuelle ou société doit, au moins une fois par an, dresser un bilan, qu’elle adresse à l’administration des finances et dépose au greffe du tribunal dont elle dépend, pour le rendre public. Un bilan est un inventaire chiffré des actifs, c’est-­à-­dire de ce que l’on possède, confronté à un inventaire chiffré du passif, ce que l’on doit. La différence étant le résultat, bénéfice ou perte. L’avantage de cette méthode étant de mesurer l’incidence des recettes et des dépenses sur l’évolution de la situation. Ce qui est impossible autrement. Si l’on dépense 100 Millions d’€uros pour obtenir quelque chose qui n’en vaut finalement que 10, on ne le saura simplement pas. Sauf à comprendre le langage administratif et à savoir (et pouvoir lire), de façon exhaustive, au besoin entre les lignes, les rapports annuels de la Cour des Comptes. (Qui accomplit un travail admirable dans des conditions impossibles.) Rien de tout cela n’existe en comptabilité publique où il n’est question que de « budget », prévisions de dépenses, de « correctif budgétaire », augmentation ou modification d’affectation des fonds.

En principe pour apprécier la situation, la solvabilité d’une personne, on compare son patrimoine et ses dettes, ses revenus et ses dépenses. Pour les états c’est impossible, aucun des chiffres publiés n’est probant. La seule méthode utilisée leur retire toute portée. On ne peut se fier qu’à des « agences de notation », dont de récents scandales ont montré qu’elles savaient sauvegarder les intérêts de leurs clients.

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Ceci n’expliquant pas la phénoménologie de la crise et de la dette des états, mais seulement pourquoi il a été impossible, de l’analyser et d’y remédier.

Il doit être clair pour chacun, aussi bien spécialiste des questions financières, que simple citoyen peu au fait de ces phénomènes, que je ne pourrais décrire l’ensemble des actions et opérations, systèmes et mécanismes, qui ont abouti à la crise. Beaucoup me sont inconnus et me seraient-­ils connus, qu’une vie n’y suffirait pas.

Néanmoins, je puis fournir le schéma des principaux mécanismes. Pour les actions et opérations, ils ont été décrits dans la presse financière et dans des livres, notamment sur la crise de 2008. Pour les systèmes, ils sont expliqués dans les traités d’économie et de finance.

Nous allons partir de deux points opposés. D’une part du déficit chronique des budgets des principaux pays « développés » ou « émergeants », à l’exception (temporaire) de la Chine. D’autre part de la masse des capitaux circulants sur les marchés internationaux. Il existe, entre ces deux systèmes, un lien assurant une évolution inverse. Plus les déficits des états se creusent, en milliers de milliards de dollars, plus la masse des capitaux en mouvement augmente avec des ratios multiplicateurs de plus en plus élevés. (cf. « La crise de la finance globalisée », Anton BRENDER et Florence PISANI Editions La Découverte 2009)

Un certain nombre d’autres facteurs sont à prendre en compte :
-­ Les budgets en constante augmentation face à des PIB plutôt en déflation, mais artificiellement gonflés par des manipulations (productions de l’administration, intégration du travail illicite, voire des activités criminelles qui, bien sûr, ne contribuent en rien à la fiscalité et faussent l’appréciation).
-­ Une concentration accrue des pouvoirs de décision politiques, économiques et financiers entre les mains d’un nombre de personnes de plus en plus réduit.
-­ La concentration de la fortune entre un nombre de plus en plus faible, de personnes de plus en plus riches. Selon Oxfam, « la part du patrimoine mondial détenu par les 1 % les plus riches était passée de 44 % en 2009 à 48 % en 2014, et dépasserait les 50 % en 2016 ».
-­ La constitution de « réserves » financières ou monétaires.
-­ La délégation de gestion.

Il apparait clairement en France, aux USA ou au Japon, dans la plupart des pays et actuellement particulièrement en Grèce, que les dirigeants politiques ne savent pas résoudre les problèmes, dont la solution leur est confiée par les citoyens. Que dans les campagnes électorales, ils promettent de résorber le chômage, d’assurer la pérennité des systèmes sociaux… Qu’arrivés au pouvoir aucun résultat n’est obtenu. Que pour s’efforcer d’y parvenir, ils augmentent les budgets et les fiscalités afin de développer leurs projets et de « s’en donner les moyens ».

Que constatant que leur stratégie est vaine, ils jugent leurs agents et administrations inefficaces, multipliant les remontées, de renseignements, de pouvoir, décourageant les agents en leur retirant toute possibilité d’action réelle sur le terrain. Alors que c’est la méthode qui est mauvaise.

Que ce phénomène se retrouve, avec des différences de nuances, dans les grandes entreprises, où les dirigeants soucieux de concentrer le maximum de pouvoir, afin d’éviter le développement de relations personnelles de confiance envers les salariés qui deviendraient importants, mais voulant attacher une clientèle à une marque ou un logo font, comme dans les banques, des systèmes de chaises musicales ou des plans de carrières fondés sur les voyages, développant un « esprit de corps » au détriment de toute relation extérieure.

Ces comportements entraînent la paupérisation des populations. Paupérisation à laquelle les politiques ne sont pas sensibles, surtout en France, où ils vivent largement « aux frais de la princesse », leurs rémunérations ne représentant souvent qu’une partie de leur « argent de poche ».

Pour l’enrichissement, comme pour la concentration du pouvoir et tous les phénomènes sociaux, ils apparaissent, de la façon la plus exacerbée, au sommet de la pyramide. Elle a été étudiée à ce niveau et il serait long, difficile et coûteux, de poursuivre l’étude à d’autres niveaux. Mais en prenant quelques cas que je connais en exemples, il m’apparait, comme il pourrait apparaitre à nombre d’entre vous, que le même phénomène se manifeste à tous les niveaux de la société, qu’il pourrait même expliquer la situation de certains clochards (SDF ?).

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L’enrichissement de quelques-­uns et la paupérisation du plus grand nombre résultent en grande partie des déséquilibres budgétaires. Ces déséquilibres sont initiés par les politiques et bénéficient à la finance d’abord au moyen de la constitution de réserves.

Pourquoi mettre en cause la constitution de réserves ? Ne sont-­‐elles pas destinées à « assurer l’avenir » ? Les retraites ? En fait le véritable problème ne résulte pas de la constitution de réserves, mais de l’usage fait des fonds réservés, qui nous amène à la question suivante. Il y a tout de même lieu de relever que la constitution de réserve est, en soi, un facteur de déséquilibre et de déficit. Si, comme on l’entend proclamer en permanence, il faut équilibrer les budgets, il devient nécessaire que les recettes et les dépenses soient égales. Si l’on met une partie des recettes en réserve, il n’y en aura plus assez pour financer des dépenses égales. La seule méthode permettant d’assurer les deux étant d’investir les réserves en dépensant les sommes correspondantes, dans des biens qui contribueront à produire des richesses.

Ce que ne font pas les mandataires, gestionnaires de fonds, de pensions ou autres, simplement parce que ce n’est pas leur intérêt. Celui-­ci est de faire apparaitre des plus-­values au terme le plus court possible, d’assurer le plus de mouvements, pour percevoir le plus de commissions. Leur intérêt étant parfaitement opposé à ceux de leur mandataires qui eux, auraient avantage à la plus grande sécurité et à la valorisation à long terme, donc au minimum de mouvement. Si la relation entre les deux est directe, il pourra être assuré une surveillance, un contrôle, fait des reproches, retiré le mandat. Comme il y a toujours plusieurs intermédiaires et que les deux bouts de la chaîne ne peuvent pas se connaitre, la contradiction des intérêts est ignorée (masquée volontairement ?). Comme les intermédiaires ne sont pas responsables des dommages qu’ils causent, car ils sont indirects, le système a assuré sa pérennité et son irresponsabilité. Il peut continuer à faire des ravages impunément.

Comment expliquer que la conjonction du jeu de ces mécanismes aboutit à la crise des dettes des états et particulièrement de celui de la Grèce ?

J’ai souvent lu des développements sur « La théorie du complot », il semble même qu’elle serve à recruter et à justifier des actions terroristes djihadistes. Je ne crois sincèrement pas qu’il existe un complot de grande ampleur. Je suis convaincu que l’explication est beaucoup plus simple. Ceux qui causent ces situations ne se concertent pas. Ce n’est pas nécessaire, il leur suffit d’agir dans le sens que leur dicte leur intérêt. Comme cet objectif est de gagner de l’argent à court terme, en manœuvrant le plus vite possible, des masses de capitaux importantes au gré des nouvelles parues dans les medias, c’est ce qu’ils font. Comme cela se passe dans le domaine international, qu’il n’y existe aucune règle, ni aucune autorité pour les faire respecter s’il en existait, ils ne sont soumis à rien d’autre que ce qu’ils considèrent comme leur intérêt. Selon le titre de Joseph E. STIGLITZ, c’est « Le triomphe de la cupidité ».

Comment la combinaison des effets de ces différents mécanismes aboutit-­elle à la situation actuelle ?
L’absence de tenue de compte de situation empêche de connaître l’incidence réelle des dépenses publiques et donc les effets des politiques menées, autres que ceux recherchés qui font l’objet d’un contrôle.

Ceci a deux conséquences principales :
-­ La multiplication des tâches administratives et le développement de sa hiérarchie, pour essayer de pallier les désordres de la société résultant de l’inefficacité des mesures. La croissance exponentielle des renseignements à traiter sans moyen de sélectionner leur pertinence. Les coûts en résultant.
-­ L’abandon au secteur financier et à la « loi du marché », des fonctions d’arbitrage et de régulation de la finance et de l’économie.

L’internationalisation de la finance, de son contrôle et de celui des économies par un petit nombre d’acteurs, qui exploitent la concurrence fiscale entre les états et l’absence de règlementation internationale a abouti, par la conception d’instruments financiers
« sophistiqués », aux effets multiplicateurs pervers, au gonflement des masses financières dont la taille, sans commune mesure avec les économies « réelle », détermine l’insolvabilité des états.

Les mesures susceptibles de résoudre ce problème sont connues. Elles étaient déjà proposées pour résoudre la crise de 2008. Elles supposent la suppression de l’anonymat et l’obligation pour les créanciers de justifier de l’origine et de la régularité de leurs créances. Toutes celles qui, comme en 2008, tendront à y échapper, n’auront d’autre effet que de permettre à la crise de franchir une nouvelle étape. Qui sera vraisemblablement et à assez court terme, la faillite des états. On pourra alors espérer, que la disparition de ses principaux débiteurs, entrainera la destruction du système financier international actuel. L’espérer seulement.

Marc-Albert Chaigneau, Avocat

(1) « De la révolution à l’inversion » propose un nouveau projet de réforme de la société. Un modèle préférable à la révolution en ce qu’il ne nécessite ni violence, ni destruction, mais seulement l’inversion d’un certain nombre de nos comportements. Inverser les comportements, pour cela inverser les raisonnements, les analyses, les rapports personnels et professionnels en se basant sur le principe de subsidiarité (fondé sur la collaboration, l’entraide – un inversement hiérarchique et fonctionnel, comme seul dépassement possible au schéma primaire de la domination – soumission). Avec De la révolution à l’inversion, l’objectif reste celui qui a été exposé dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en y ajoutant ce qui en est la contrepartie logique et nécessaire, les devoirs et les obligations. Car il ne peut exister de droit s’il n’existe pas, en contrepartie, des obligations équivalentes. A travers cet essai, l’auteur propose des réformes du système social, des services publics…et il nous donne les clefs pour la mise en œuvre d’une véritable démocratie : la démocratie directe, dont beaucoup avaient rêvé, mais à laquelle ils avaient renoncé, la croyant impossible à mettre en œuvre. Il nous montre comment elle serait accessible, mais nous prévient qu’elle ne le sera jamais qu’à des citoyens responsables.

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