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Intelligences artificielles : Quelles promesses ? Quels défis ? Partie 1

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En mars prochain, un important assureur japonnais remplacera 34 de ses employés par une intelligence artificielle. Cela viendrait à conforter le rapport publié en 2015 par l’Institut de recherche Nomura, prévoyant que près de la moitié des emplois au Japon sera tenue par des robots en 2035. Déjà, aux USA, en mai dernier, un assistant enseignant du Georgia Institute of Technology (Georgia Tech) à Atlanta était remplacé par une intelligence artificielle, au doux nom de Jill Watson (1) … L’intelligence artificielle est partout, comme le démontre la Fondation Télécom dans ses études menées conjointement avec l’Institut Mines-Télécom, dans son dernier nouvel opus des Cahiers de veille avec une grande thématique transversale : les intelligences artificielles. 
Le cahier se termine par un chapitre posant une grande question : « Intelligences artificielles, que ferons-nous d’elles ? », en concluant : « Il est donc grand temps de s’interroger tous ensemble sur nos pratiques avec les IA, algorithmiques ou robotiques, bien au-delà du cercle des scientifiques, et de nous interroger sur nous-même. » Est-ce pour y réfléchir que le secrétariat d’Etat chargée du Numérique et de l’Innovation lance ce vendredi 20 janvier « France IA », la stratégie nationale en Intelligence Artificielle ? Le Gouvernement souhaite avant tout mobiliser tous les membres de la communauté IA et fédérer les nombreuses initiatives émergentes en France pour définir une stratégie nationale concertée  et mettre en avant le potentiel de la France dans ces technologies innovantes essentielles pour l’avenir.
 
Les technologies d’intelligence artificielle représentent un potentiel majeur pour la recherche, le développement de nouveaux produits et services et de filières industrielles innovantes, mais posent également de nombreuses questions éthiques, sociales et sociétales. Les cahiers de veille de la Fondation Télécom sont le résultat d’études menées conjointement par des enseignants-chercheurs de l’Institut Mines-Télécom et des experts industriels. Chaque cahier, qui traite d’un sujet spécifique, est confié à des chercheurs de l’Institut qui réunissent autour d’eux des experts reconnus. Tout à la fois complet et concis, le cahier de veille propose un état de l’art technologique, et une analyse tant du marché que des aspects économiques, sociologiques, juridiques et éthiques, en mettant l’accent sur les points les plus cruciaux. Il se conclut sur des perspectives qui sont autant de pistes possibles de travail en commun entre les partenaires de la Fondation Télécom et les équipes de l’Institut. Voici ici la première partie du Cahier n°8 sur les Intelligences Artificielles, rédigée par Aymeric Poulain-Maubant, expert indépendant. 

Intelligence artificielle du 3ème type
 
L’intelligence peut se définir selon deux grandes catégories de facultés. La première intelligence, que nous partageons avec la plupart des espèces animales, est celle qui nous relie au monde extérieur et nous permet de percevoir, d’apprendre, de reconnaître, d’estimer et de décider. Elle est centrale à notre capacité d’adaptation et de survie dans un monde toujours fluctuant et son automatisation a été jusqu’ici le principal moteur de l’Intelligence Artificielle (IA).
Grâce aux progrès constants de la microélectronique, de l’informatique, du traitement du signal, de l’analyse statistique et plus récemment de l’apprentissage profond opérant sur de vastes données, des résultats remarquables ont été obtenus dans l’automatisation des tâches de perception et de décision. Un exemple saisissant de cette IA du premier type en est la voiture autonome dont on ne mettra pas en doute la virtuosité dans son respect des règles de conduite et dans son attention pour les autres.
La seconde intelligence est ailleurs et est propre à chaque individu. Elle englobe les facultés de l’esprit, celles qui nous permettent d’imaginer, d’élaborer, d’inventer et d’espérer. Le seul modèle dont nous disposons pour essayer de reproduire dans une machine les propriétés de cette intelligence créatrice est notre cerveau, dont l’architecture est nettement différente de celle de l’ordinateur classique. Information et processus s’y entremêlent dans un même écheveau de connexions synaptiques, lesquelles se comptent en milliers de milliards.
 
L’IA du deuxième type ne pourra pas faire l’économie de ce parallélisme massif qui pourra cependant et fort heureusement être décomposé à la façon des modules corticaux. Quand les mystères de l’information mentale et de l’organisation corticale auront été complètement levés, dès lors aussi que la microélectronique saura offrir les moyens de contrôler un grand nombre de connexions (disons quelques centaines de millions par module, pas plus), rien n’empêchera de concevoir des cortex artificiels avec plus de modules que n’en contiennent nos cerveaux. Cette IA du troisième type, que certains appellent singularité technologique, sera l’aboutissement d’une alliance détonante entre les neurosciences, l’électronique, le calcul intensif, la datamasse et le principe de diversité.
Claude Berrou, Professeur à Télécom Bretagne
 
De la naissance du terme « Artificial Intelligence » en 1956 aux États-Unis à l’appel de 2015 de scientifiques pour la poursuite d’une IA la plus bénéfique possible pour la Société, la recherche en IA est pleine de promesses, de défis, de polémiques et de grandes questions sociétales.
En 27 pages, ce Cahier de veille définit ce qu’est l’intelligence (rationnelle, naturaliste, systémique, émotionnelle, kinesthésique…) et visite l’histoire de l’IA en posant notamment les deux paradigmes principaux utilisés pour s’attaquer aux défis de l’IA.
Il questionne ensuite les directions pour l’intelligence artificielle en citant trois sujets à traiter à court terme : l’impact sur l’économie, les questions d’éthique et de droit, la robustesse des artefacts (sûreté, fait d’être contrôlables…). Car l’IA est désormais bien présente dans notre quotidien sous l’impulsion des grands groupes de l’internet et des start-up émergentes, avec les bots notamment. Et ces nouvelles formes d’intelligence profitent d’un renouveau avec le Machine learning et l’informatique bio-inspirée que l’auteur explique.

Naissance de l’Intelligence Artificielle 

 « Question : Vous semblez alors dire que les programmes IA seront quasi identiques aux humains. N’y aura-t-il aucune différence ?
Réponse : Les différences entre les programmes IA et les humains seront probablement plus grandes que les différences entre la plupart des gens. Il est impensable que le « corps » contenant un programme IA ne l’affecte pas profondément. C’est pourquoi, à moins que son corps ne soit une réplique étonnamment fidèle du corps humain, (et pourquoi le serait-il ?), il aurait probablement des vues extrêmement différentes de ce qui est important, de ce qui est intéressant, etc. […] Je pense qu’un programme IA, même si nous pouvions le comprendre, nous paraîtrait assez étrange. C’est d’ailleurs pour cela que le moment où nous aurons affaire à un programme IA, et non pas à un programme simplement « bizarre », nous donnera beaucoup de fil à retordre. »
Douglas Hofstadter, Gödel Escher Bach, 1985  
 
Janvier 2015 : à l’initiative du britannique Stuart Russel, spécialiste en Intelligence Artificielle (IA), une dizaine de chercheurs signent une lettre ouverte appelant leurs collègues à aller au-delà du simple objectif historique de la performance des IA. « Les progrès en Intelligence Artificielle sont tels qu’aujourd’hui il faut concentrer les travaux non seulement sur des IA plus performantes, mais également sur la poursuite d’une IA la plus bénéfique pos- sible pour la Société. […] Nous recommandons une large recherche visant à assurer que les IA soient de plus en plus robustes et bénéfiques ; et que ces systèmes fassent effectivement ce que nous voulons qu’ils fassent. […] Cette re- cherche est nécessairement interdisciplinaire, car elle implique à la fois la Société et l’Intelli- gence Artificielle. Elle s’établit de l’économie au droit et à la philosophie, de la sécurité informa- tique aux méthodes formelles et, bien sûr, au sein des diverses branches de l’IA elle-même. »
 
Le 37e signataire, Elon Musk, s’était ému l’année précédente qu’une intelligence artificielle supérieure non bienveillante envers l’humanité puisse émerger d’ici quelques années, et qu’il était peut-être déjà trop tard pour enrayer ce processus. Musk s’était convaincu de cette menace à la lecture du livre du philosophe Nick Boström, « Super Intelligence ». Quelques chercheurs s’étaient alors réunis à l’issue de la conférence NIPS 2014 pour réfléchir aux impacts que ces positions pouvaient avoir sur leur recherche et s’étaient donné rendez-vous fin 2015.
C’est à cette même époque que Musk et quelques autres entrepreneurs créent Open AI, doté d’un fonds de un milliard de dollars US, pour promouvoir une IA à visage humain. En deux mois les signataires représentent près de 300 groupes de recherche, parmi les principaux chercheurs en IA chez Google, Facebook, Microsoft et d’autres industriels, ainsi que les meilleurs informaticiens, physiciens et philosophes du monde entier.
Ils sont plus de 8600 en juin 2016. Ils ne se contentent pas de souligner l’importance de leur constat et l’occasion à saisir, mais l’accompagnent d’une liste de pistes concrètes de recherche à mettre en œuvre aussitôt. 2016 s’est ainsi ouverte avec une approche et des objectifs nouveaux pour développer les Intelligences Artificielles.

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Il est temps de prendre l’Intelligence Artificielle au sérieux

« Ce n’est plus une simple curiosité pour chercheurs, l’Intelligence Artificielle a maintenant un impact mesurable sur nos vies. » C’est par ces mots que le Wall Street Journal annonce à ses lecteurs fin août 2014 que l’Intelligence Artificielle n’est plus un simple sujet de prospective. Les développements en IA ont été longtemps sous-estimés en raison d’un manque de clarté des définitions, entretenu par une confusion généralisée entre le machine learning, le deep learning, les réseaux de neurones, l’analyse prédictive, et l’analyse et la fouille de données massives. Le cinéma, la littérature et les médias ont souvent égaré la discussion sur l’IA en préférant des histoires fantastiques, de HAL 9000 dans l’Odyssée de l’espace à Terminator et son cortège de peurs.
 
Mais, alors que les chercheurs prennent largement conscience de la nécessité de discuter de l’impact de l’IA sur la société, le grand public découvre dans la presse et les réseaux sociaux des avancées spectaculaires qui racontent une nouvelle histoire, celle d’une technologie qui est déjà parmi eux. Trois ruptures majeures expliquent comment en quelques années un coup de fouet a été donné aux recherches en IA. Ces trois tendances ont fourni une plate-forme d’innovation accessible et bon marché pour les développeurs qui utilisent ces algorithmes comme des commodités de base pour opérer des transitions majeures dans de nombreux secteurs industriels :
•             l’accès à des ressources de calcul parallèle à très bas coût,
•             l’accès facilité à des données massives, pouvant servir d’ensemble d’apprentissage,
•             des algorithmes nouveaux, profitant des deux ruptures précédentes.
 
Défi de l’IA s’il en est, la première victoire d’un programme de go (AlphaGo de Google DeepMind) en octobre 2015 sur un joueur professionnel avait déjà fait sensation. La manière dont le même programme, ayant appris de l’entraînement effectué par la suite avec l’humain perdant, battait ensuite un des meilleurs joueurs mondiaux et obtenait la 4e place au classement de go mondial, achevait de frapper les esprits, d’autant plus qu’il semblait avoir fait montre de créativité pour ce faire. Alors que des voitures autonomes circulent déjà sur les routes et que des logiciels traduisent de mieux en mieux des textes, en temps réel, serions-nous en train de créer ces intelligences qui dépassent l’homme ? Mais de quelle(s) intelligence(s) parlons-nous ?

60 ans d’intelligence artificielle. C’est en août 1956, lors de la conférence de Dartmouth, que l’expression « Artificial Intelligence  » fait son apparition publique pour la première fois. Elle avait été utilisée par les pionniers John McCarthy, Marvin L. Minsky, Nathaniel Rochester et Claude E. Shannon l’été précédent pour proposer ce séminaire. Elle caractérise « la possibilité de produire des programmes qui se conduiraient ou penseraient intelligemment ». Ses ambitions d’alors, et le défi originel de l’Intelligence Artificielle, sont de « chercher à produire, sur un ordinateur, un ensemble de sorties qui serait considéré comme intelligent s’il était produit par un être humain ». L’IA peut se révéler à travers des simulations exactes des processus cognitifs humains, ou bien via des programmes conduisant à des conséquences intelligentes. Elle a été traversée par de nombreuses dualités, entre l’inné et l’acquis, entre les symboles des systèmes experts et les sous-symboles des réseaux de neurones formels, entre la compétence et la performance, qui ont rythmé son histoire. Technologie de la connaissance (nouvelle science de l’ingénieur) mais aussi science générale du traitement de l’information (par l’homme ou par la machine) ou encore théorie de l’homme et des processus cognitifs, cette discipline a eu tour à tour chacune de ces ambitions, ni incompatibles, ni indépendantes. Reliée intimement à un ensemble d’autres disciplines au sein des Sciences Cognitives, elle a eu en 60 ans ses moments de gloire mais aussi ses moments de doute et de recul. Ce sont les AI Winters que Yann LeCun, aujourd’hui responsable des équipes IA au sein de Facebook, et dont les travaux depuis 30 ans ont mené aux avancées spectaculaires d’aujourd’hui, n’hésite jamais à rappeler pour modérer certains enthousiasmes actuels vis-à- vis du large public. Mais parmi les chercheurs, nombreux sont ceux qui estiment, comme John Giannandrea, vice-président de l’ingénierie chez Google et responsable de l’activité machine learning, que « les choses sont en train de prendre une tournure incroyable » et que nous assistons à un véritable AI spring.

Qu’est-ce que l’intelligence ?

Dans son Introduction aux Sciences Cognitives en 1992, Michel Imbert préfère prudemment « décrire ce qui fait tout être que l’on s’accorde à reconnaître comme intelligent ». Sa définition a l’avantage de cerner les résultats observables qui caractérisent un processus intelligent, plutôt que d’en expliquer les mécanismes qui l’ont permis, dont beaucoup ne sont toujours pas compris.
Notre définition de l’intelligence ne cesse en effet d’évoluer. Nous nous interrogeons encore aujourd’hui sur la manière dont nous apprenons, sur la place de l’émotion dans le raisonnement, sur la place du rêve dans le renforcement des apprentissages. Pour comprendre ce que l’on peut attendre d’une intelligence artificielle, et pour mieux en éviter les nombreux mythes, il faut sans doute d’abord s’accorder sur différentes formes d’intelligence, plutôt que définir une unique notion d’intelligence.
 
 
De nombreuses formes d’intelligence
 
Mesurer et comparer l’intelligence des êtres humains est un exercice délicat. L’intelligence se développe au sein d’un environnement et d’une culture, elle se manifeste différemment selon le genre, l’âge, les expériences, les connaissances. Elle désigne tour à tour la faculté de comprendre, la faculté de raisonner et de décider, la faculté de s’adapter, l’adresse et l’habilité, la somme des connaissances et celle des compétences, sans oublier la réussite à des examens.
L’intelligence est en réalité multiple et multi- forme. La littérature en recense souvent plus d’une dizaine. Explorons-en quelques-unes en commençant par celles qui ont été très tôt reproduites par des artefacts.
 
Première d’entre elles, l’intelligence rationnelle (la logique) est celle qui a été la plus mesurée depuis le fameux test de Binet, précurseur du Quotient Intellectuel. Elle rassemble les compétences de calcul, d’analyse, de logique, et de raisonnement par déduction ou induction, parfaites pour résoudre des problèmes mathématiques, des jeux, prendre des décisions. Cette intelligence mathématique a naturellement été la première à être implémentée dans des programmes, et notamment à travers des systèmes experts. On peut y ajouter l’intelligence naturaliste qui consiste à savoir classer des objets, et définir des catégories. Modéliser une situation, manipuler cette modélisation et y tester des hypothèses et leurs limites, est un ensemble de processus qui a également été rapidement mécanisé. Chez l’humain il s’agit de l’intelligence systémique. Couplées à l’intelligence organisationnelle, celle qui permet d’assembler des informations disparates, et à l’intelligence stratégique, celle qui comprend l’optimisation des ressources, des moyens, du temps et de l’espace et permet de prendre les décisions, toutes ces formes d’intelligence sont un premier groupe qui permet par exemple de planifier une série d’actions pour atteindre un but.
 
L’intelligence créative est le plus souvent ignorée par les tests. L’aptitude à la créativité est pourtant un des critères les plus souvent cités à notre époque pour déterminer le degré d’intelligence d’un artefact.
 
L’intelligence littéraire, celle des mots, du sens, permet d’élaborer des raisonnements traduits dans des discours, de suivre et d’effectuer des conversations, de traduire et de manipuler des concepts abstraits.
L’intelligence émotionnelle, qui dispose de son propre quotient également, permet d’observer les émotions, en soi ou sur les autres, les interpréter, les canaliser pour les décharger de la conscience de l’individu.
Que ce soit pour l’intelligence naturelle ou artificielle, le rôle et l’importance des émotions a été longtemps méconnu ou ignoré. On sait à présent depuis António R. Damásio qu’émotions et raisonnement sont fortement liés. Les émotions renseignent sur l’état du corps, qui est l’interface entre le lieu de l’intelligence et l’environnement qui la motive et où elle s’exerce. L’intelligence kinesthésique est également liée au corps : c’est elle qui permet la coordination des mouvements, leur force, leur précision.
 
Avec l’intelligence émotionnelle et l’intelligence spatiale (le sens de l’orientation), elle permet d’appréhender sa place dans le monde, ce qu’on peut y faire ou ne pas faire, et comment le faire. On y ajoutera l’intelligence situationnelle qui consiste à savoir s’adapter et survivre dans un environnement inconnu, voire hostile. Ce troisième groupe apporte les capacités à percevoir et agir à bon escient sur le monde.
 
Les caractères de l’intelligence sont le produit de l’évolution et de l’interaction avec le monde. Ils sont aussi activés par les interactions avec ses semblables, notamment pour certaines formes d’apprentissage, par imitation – l’intelligence est du reste souvent renvoyée à la capacité d’apprendre. L’intelligence sociale révèle des humains à l’aise au contact d’autrui, tandis que l’intelligence au collectif caractérise ceux qui mettent leur ego de côté pour un objectif commun supérieur. La dualité isolé / collectif a nourri un fort courant des sciences cognitives, celui du paradigme de la fourmilière. Il s’agit de faire coopérer des agents cognitifs minimaux de manière à obtenir un comportement global qualifié d’intelligent, qu’aucun agent isolé n’aurait pu effectuer seul.
 
Des intelligences moins répandues existent également. Leur maîtrise apporte un plus à leurs bénéficiaires. Ainsi l’intelligence pluri-sensorielle fait utiliser simultanément l’ensemble de ses sens pour percevoir le monde d’une manière différente. On retrouve cette aptitude implémentée par exemple dans les objets connectés et notamment la fusion de capteurs.
 
Enfin, l’intelligence temporelle offre pour sa part un sens aigu de l’axe du temps. Les concepts de soi, de passé et de futur étant reliés au sein de la conscience primaire, et l’absence de conscience d’ordre supérieur empêchant de planifier le futur (en se servant de la mémoire à long terme), l’étude des personnes qui possèdent cette intelligence temporelle permettrait d’en savoir plus sur une autre notion qui pose question : la conscience. Car la conscience, et notamment la conscience de soi, est une condition nécessaire pour aller plus loin que les premiers stades du développement intellectuel d’un être vivant. Celle-ci n’est d’ailleurs pas limitée aux êtres humains, et de nombreux animaux passent le test du miroir, y compris des insectes. Les chercheurs prennent ainsi conscience que la cognition animale a été longtemps sous- estimée (pour leur absence supposée de langage) et doit être source d’inspiration pour nos artefacts. Comme l’est l’idée que le siège de l’intelligence ne réside pas uniquement dans le cerveau (humain), et que des processus cognitifs ont lieu également dans des neurones de la peau ou, ce qu’on appelle l’intelligence incarnée, dans la morphologie des êtres vivants.
 
L’intelligence des artefacts
Le projet initial d’une IA forte, qui était de reconstruire la manière dont l’homme pensait, puis la dépasser, a fait place au fil des ans à un projet plus modeste d’IA faible, simulation spécialisée de comportements humains considérés comme intelligents, par des méthodes d’ingénieur, sans se soucier de similarité. Deux paradigmes principaux ont été utilisés pour s’attaquer aux défis de l’IA. L’approche classique, à base de manipulation de symboles et de règles, le cognitivisme, a donné rapidement des résutats intéressants pour les problèmes relevant du premier groupe d’intelligences, celle des mathématiques, mais s’est heurtée à la complexité de la traduction automatique, malgré l’arrivée des réseaux sémantiques.
 
L’approche neuro-inspirée, le connexionnisme, avec ses capacités d’apprentissage, s’est attaquée aux problèmes de perception visuelle ou auditive, limitée par la puissance des machines de l’époque. Des approches hybrides, sur des machines parallèles conçues pour, ont permis dans les années 90 des avancées avec l’émergence de comportements intelligents non programmés. Aujourd’hui, la multitude de formes d’intelligence existantes, humaines ou non, étant un fait acquis, ce n’est pas tant vers une superintelligence que vers une nouvelle forme d’intelligence, propre aux artefacts, ne se définissant ni par comparaison ni par extension, que les IA se dirigent.

Ai-je affaire à un être humain ? La question de savoir si les dialogues qu’on exerce à travers une machine sont le fait d’êtres humains qui nous font face, ou bien de robots algorithmiques, ou d’une combinaison des deux, se fait de plus en plus prégnante avec le déploiement des services associés aux messageries instantannées comme Messenger de Facebook, et aux plates-formes de micro- blogging comme Twitter : les bots. L’enjeu est important, car il ne s’agit pas moins de capter les utilisateurs qui passent de plus en plus de temps sur ces outils, et de leur proposer à travers des dialogues intelligents une nouvelle manière d’accéder à l’information et à la consommation. C’est en quelque sorte une architecture nouvelle pour un navigateur internet à l’heure de l’IA, avec comme objectif de simplifier l’interaction avec les services en ligne. Le site d’information Quartz a ainsi déployé en février 2016 un bot avec lequel le lecteur dialogue, plutôt que consulter une longue liste d’articles, afin de se voir proposer des résumés des informations essentielles qui l’intéressent. Suivant Telegram et Kik, Facebook ouvre en avril 2016 son botstore sur Messenger. Pour la plupart, les 900 millions d’utilisateurs mensuels de Messenger pourront y croiser leurs premiers robots conversationnels, à condition que ceux-ci sachent ne pas être trop envahissants et rendent effectivement service. Il faut en effet que l’expérience utilisateur soit parfaite pour que l’adoption soit au rendez- vous. Un bot qui réserverait des billets d’avion sans tenir compte des temps de débarquement et d’embarquement et de contrôle lors des escales serait plus encombrant qu’utile, et desservirait la marque qui le diffuserait. Ces bots, développés pour assister les humains dans des tâches qui leur sont propres, doivent acquérir à terme des connaissances du niveau d’une IA forte, générale (voir ci-dessus), et une personnalité capable de s’adapter à chaque utilisateur, en prenant en compte ses habitudes, sa culture, ses croyances… C’est pourquoi pendant quelques temps encore les bots seront probablement toujours constitués d’équipes mixtes IA & humains. Saura-t-on toujours distinguer la part du bot de celle de l’humain ? http://botpoet.com/ invite à se tester dans un cas particulier : trouver qui d’un humain ou d’une IA a composé un poème.

60 ans de liens entre jeux et IA. Dès 1956, l’IA s’intéresse aux jeux comme source de défis. Arthur Samuel développe un premier programme de jeu de dames qui se forme par apprentissage par renforcement, et bat en 1962 un amateur américain de bon niveau, sur un seul jeu, devenant ainsi la première machine qui bat l’homme de l’histoire. Le jeu de backgammon suit en 1979, avec les mêmes techniques qui font jouer le programme contre lui-même pendant son apprentissage. Il atteint ainsi des niveaux qui sont réputés ne pas pouvoir être enseignés par des humains, tandis que ces derniers apprennent beaucoup en observant les capacités de ces programmes. C’est ainsi que l’on prend conscience que les intelligences artificielles pourraient bien servir à renforcer les intelligences humaines. Et c’est le jeu d’échecs, un jeu dont Claude Shannon avait dit dès 1950 qu’il consistait un bon défi pour la pensée mécanisée, qui tient en haleine chercheurs et joueurs jusqu’en 1997, quand l’ordinateur DeepBlue d’IBM bat le champion mondial Garry Kasparov. Et enfin le jeu de go en 2016, grâce à des techniques d’apprentissage profond, et un système ayant joué des milliers de parties contre lui-même, tombe à son tour. Mais il y a encore beaucoup à apprendre du jeu. Jusqu’à présent, les joueurs ont en effet une connaissance parfaite de tous les éléments du jeu. Il faut maintenant s’intéresser à des jeux à connaissance incomplète, comme le jeu de poker qui devient la prochaine étape à franchir. D’autres types de jeux, comme les robots footballeurs ou les voitures de course autonomes, présentent également de nombreux défis d’IA à relever, beaucoup plus généraux. Le jeu ultime reste ce que Alan Turing appelle en 1950 The imitation game. À l’origine une femme et un homme sont interrogés par une personne (homme ou femme) qui ne les voit pas, et qui doit deviner qui est la femme. L’homme caché doit donc imiter un « comportement féminin ». Turing se demande si un programme pourrait prendre la place de l’homme caché et leurrer l’interrogateur. Aujourd’hui, la question est de savoir quelle proportion d’humains perdrait à ce jeu.

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Un modèle de l’architecture de l’esprit humain. Le General Problem Solver, créé en 1959 par Simon, Shaw et Newell, est une première tentative d’un système artificiel à l’heure de l’IA naissante, proposé pour résoudre n’importe quel problème, en confrontant les objectifs poursuivis et les moyens pour y parvenir. Ce système, qui a eu une grande influence sur l’évolution de l’Intelligence Artificielle et des Sciences Cognitives, résolvait très bien des problèmes simples, mais était limité dès lors que la combinatoire du problème augmentait. Ces travaux, et le livre de Newell & Simon, Human Problem Solving (1972), sont fondateurs du paradigme cognitiviste.

Evaluer l’intelligence

Corollaire de la définition de l’intelligence, la capacité à la mesurer et la quantifier, qu’elle soit naturelle ou artificielle, reste une question ouverte. Développé en 1905 pour détecter les élèves en difficulté, le test de Simon-Binet est une échelle métrique de l’intelligence qui est à l’origine du concept d’âge mental. Il ne doit pas être confondu avec le quotient intellectuel qui est un test psychométrique donnant une indication quantitative standardisée sur la performance intellectuelle, rang d’une personne relativement à la population. Il a lui aussi le défaut de ne pas prendre en compte l’ensemble des différentes formes d’intelligence. De plus, n’étant appliqué qu’aux êtres humains, et selon des principes de mesure qui leur sont propres, il a également contribué à ignorer l’étude des formes d’intelligence exercées par les animaux. L’intelligence artificielle elle-même est encore mesurée en fonction de critères humains, et donc évaluée parcomparaison avec les humains.
 
Dans son article “Computing Machinery and Intelligence“, Alan Turing pose en 1950 la question de la possibilité que des machines puissent penser, ces deux termes restant d’ailleurs à définir. Pour le savoir, il propose que si, lors d’une conversation, une machine arrive à passer pour un être humain auprès d’un interlocuteur, c’est qu’elle est réellement intelligente. Il existe en réalité plusieurs tests de Turing avec des protocoles plus fins. Leurs défauts sont de se limiter à des expériences de communication, et au seul jugement humain, alors que des comportements intelligents peuvent ne pas être associés au langage, ni même être humains.
 
Mieux évaluer l’intelligence
 
Des intelligences artificielles actuelles ont passé le test de Turing, mais des chercheurs s’accordent à dire que ce n’est pas tant la machine qui réussit le test, mais les humains qui échouent, car ils ont fini par ne plus être capables d’identifier les caractéristiques de comportement d’une machine, tant elles sont familières. De plus, de nombreuses expériences de passage du test ne résistent pas à un examen plus approfondi, et révèlent surtout des systèmes conçus avec ruse pour obtenir le label. La communauté de recherche entre aujourd’hui dans une ère de l’après-Turing, enrichissant le test pour que la machine soit évaluée sur de plus nombreux critères et tâches à résoudre.
 
« Imitation Game » de Morten Tyldum avec Benedict Cumberbatch – Janvier 2015

Quelles directions pour l’intelligence artificielle ?

Après avoir exploré un grand nombre de problèmes et d’approches depuis sa création, la recherche en IA s’est intéressée depuis 20 ans à la construction d’agents intelligents, des systèmes percevant et agisssant dans des environnements précis. Dans ce cadre, l’intelligence est définie selon des dimensions statistiques et la notion économique de rationalité : il s’agit de faire des déductions logiques, de planifier correctement et de prendre de bonnes décisions. Cette approche à base de représentations probabilistes et d’apprentissage statistique a eu pour effet une forte fertilisation croisée entre des disciplines comme l’Intelligence Artificielle, l’apprentissage automatique, les statistiques, les neurosciences… La création de cadres conceptuels et de théories communes, la disponibilité de grandes masses de données sur lesquelles apprendre, et la puissance de calcul des machines ont permis l’émergence soudaine de succès remarquables de l’IA. Tous les problèmes anciens ont simultanément subi des avancées majeures : la reconnaissance de la parole, la traduction automatique, le dialogue homme-machine, la classification des contenus d’une image, la marche des robots, les véhicules autonomes… Alors, que proposent les chercheurs pour la suite des événements ?
 
Trois sujets sont à traiter à court terme : l’impact de l’IA sur l’économie, les questions d’éthique et de droit, la robustesse des artefacts. Pour le premier, il s’agit de maximiser les effets bénéfiques sur l’économie tout en minimisant ses effets délétères. Quels vont être les effets sur le marché du travail, et sur la notion même de travail ? Comment des secteurs comme la banque, les assurances, le marketing vont être modifiés par la connaissance extrêmement fine des comportements des clients ? Quelles politiques mener pour atténuer les effets négatifs et quelles nouvelles métriques utiliser pour prendre ces décisions ? Des questions d’éthique et de droit en découlent, notamment pour les véhicules autonomes : quelles décisions peuvent-ils prendre pour minimiser des accidents, et qui endosse les responsabilités ? Quel rôle jouent les informaticiens dans la construction des algorithmes et leurs conséquences, notamment dans le cadre de la surveillance ou de la gestion des données relevant de la vie privée ?
 
Enfin, pour que la société accepte largement les artefacts intelligents, ils doivent être vérifiés (ils font ce qu’ils sont censés faire), valides (ils n’ont pas de comportement ayant des conséquences non souhaitées), sûrs (ils ne sont pas piratables) et contrôlables (ils peuvent être corrigés après leur déploiement).
À long terme, il s’agit de développer des systèmes qui peuvent apprendre de leur expérience – et notamment à partir de peu d’exemples, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui avec l’apprentissage profond – d’une manière semblable aux humains, jusqu’à surpasser les performances humaines dans la majeure partie des tâches cognitives, ce qui aura un impact réellement majeur sur la société humaine.
La nature des IA est à présent claire. Ce sont des formes d’intelligence nouvelles, créées par l’humain et se créant elles-même, accompagnant l’humanité dans son quotidien, de manière bienveillante et bénéfique.

Un quotidien bercé d’Intelligences Artificielles

 « Le modèle économique pour les 10000 prochaines startup est facile à prédire : prendre X, ajouter de l’IA. Tout ce que nous avons électrifié, nous allons le cognitiser », pouvait-on lire fin 2014 dans Wired. Et effectivement 2015 a été l’année où les intelligences artificielles sont véritablement entrées dans notre quotidien, sous l’impulsion des grands groupes de l’Internet, et des startup se reposant sur les commodités qu’ils ouvraient.
On peut même affirmer que la révolution numérique en cours est en train de libérer et d’augmenter nos capacités cognitives, comme la révolution industrielle a contribué à libérer et augmenter les capacités musculaires des humains, en leur apportant la puissance de la vapeur puis de l’électricité. Et comme pour ces révolutions précédentes, cela ne se fera pas sans une réorganisation du travail, voire de la notion de travail elle-même.
 
Alors que les IA originelles ont été développées pour émuler l’intelligence rationnelle, c’est principalement pour assister notre intelligence émotionnelle et notre intelligence sociale que les IA d’aujourd’hui sont conçues. Il s’agit de faciliter et d’augmenter tous nos processus de communication, qu’ils se fassent entre humains – outils de traduction en temps réel, reconnaissance des visages et des émotions qu’ils portent – ou entre humains et machines. « Take X, Add AI » peut s’entendre au sens littéral du terme : prendre n’importe quel objet, et l’augmenter de capacités intelligentes minimales pour que son utilisation se fasse le plus naturellement possible. Capacités intelligentes qui servent aussi à échanger entre objets connectés ; par exemple, quand le thermostat qui a appris des comportements des utilisateurs de la maison à quelle température régler les pièces selon les heures et les personnes présentes, devient le cœur de la plate-forme de gestion domotique de la maison.
 
Peu à peu, des agents conversationnels généralistes, comme Siri d’Apple, deviennent familiers, même si la reconnaissance du langage naturel reste un vaste sujet de recherche, loin d’être résolu. Familiers, jusqu’à un certain point, car si un objet physique renseigne habituellement sur son usage par sa forme, ou un logiciel par son interface à base d’icônes et de menus, l’interaction avec un agent conversationnel nécessite encore un apprentissage de la part de l’humain, qui ne sait pas toujours quoi attendre de son compagnon virtuel, ce à quoi il saura répondre ou pas, et jusqu’où lui reprocher ses incapacités.
 
La maison est un des enjeux de déploiement de ces IA, un scenario qui nous est déjà connu grâce au cinéma : majordome virtuel ou présence artificielle (comme celui de Mark Zuckerberg). Lors de la conférence pour développeurs Google I/O en mai 2016, a ainsi été dévoilée la nouvelle génération de Google Assistant, un bot qui utilise le contexte des conversations en cours pour apporter une assistance pertinente à la volée, et qui enrichira également Google Home d’une « expérience ambiante allant au-delà des appareils ».
 
 
Pour proposer de tels services, ces assistants doivent écouter en permanence. Mais « faciliter notre quotidien doit se faire tout en respectant notre vie privée », rappelle Rand Hindi, CEO de Snips, un des Innovators Under 35 en France en 2014, qui développe une IA pervasive, apprenant de nos habitudes et interagissant pour nous avec la technologie. Tout l’enjeu est de chiffrer les données personnelles collectées et apprendre à partir de ces données chiffrées.

L’avènement de l’apprentissage machine

Pour mettre en œuvre ces scenarii qui étaient encore futuristes il y a cinq ans, les machines doivent apprendre d’un environnement non prédictible, sur des données de tout type, arrivant massivement, dont la signification brute a été préalablement chiffrée. Algorithmes d’apprentissage et big data, deux des trois piliers de la nouvelle Intelligence Artificielle, sont donc aujourd’hui fortement liés.
Cependant, si on associe de plus en plus souvent l’intelligence naturelle comme artificielle aux capacités d’apprentissage et d’adaptation, cela n’a pas toujours été le cas. Pendant longtemps les problèmes ont été résolus sous forme de manipulations de règles – s’il pleut, prendre un parapluie – et d’arbres de décision où chaque branche est une option de règle. Mais de tels systèmes se sont avérés inefficaces face aux problèmes de reconnaissance de formes et de reconnaissance vocale, pour lesquels les données à comprendre sont complexes, variables, variées, bruitées. Il a fallu imaginer des systèmes capables de s’entraîner sur des bases d’exemples, d’en faire émerger des traits, de généraliser sur des exemples non encore rencontrés et de s’améliorer continuellement avec l’expérience : c’est le machine learning, ou apprentissage automatique, qui comporte aujourd’hui plusieurs dizaines d’algorithmes, que l’on peut classer de différentes manières, ou types d’apprentissage.
 
Les types d’apprentissage
 
L’approche la plus courante est celle de l’apprentissage supervisé : est présenté à un système algorithmique apprenant un (grand) ensemble d’entrées associées à des étiquettes, par exemple des objets avec leur catégorie, et le système ajuste ses paramètres internes – on parle de poids – jusqu’à pouvoir classifier des exemples non encore présentés, faisant ainsi preuve de capacité de généralisation. Les réseaux de neurones sont de tels systèmes. Ils se construisent un modèle interne du monde qui leur est présenté, à base d’extracteurs de caractéristiques et de classifieurs simples.
Cet apprentissage nécessite une intervention extérieure pour que les règles d’apprentissage soient appliquées. Un enseignant fournit des cibles désirées pour chaque motif d’entrée et le système apprenant se modifie en conséquence.
 
A contrario, l’apprentissage non-supervisé se fait sans enseignant guidant le système. Ce dernier doit se forger lui- même ses propres catégories de l’espace des motifs d’entrée, le plus souvent sur des bases statistiques. Entre les deux, l’apprentissage semi-supervisé travaille sur des données dont certaines sont étiquetées et d’autres non, ce qui peut améliorer les qualités de chacune des approches prises indépendamment. Le co- apprentissage est un sous-ensemble de cette classe, à base de classifieurs travaillant sur des caractéristiques différentes et idéalement indépendantes, et communicant sur leurs résultats. L’apprentissage hétéro-associatif apprend à associer des formes de sortie à des motifs présentés en entrée. L’apprentissage auto-associatif permet de reconstituer un motif incomplet présenté en entrée et qui n’a été qu’évoqué.
 
L’apprentissage par renforcement est pour sa part un type spécial d’apprentissage supervisé. Très peu d’information est donné au système, et notamment aucune sortie désirée. Un jugement est émis sur les performances du système, à lui de se modifier pour que les jugements reçus soient de plus en plus positifs. Il ressemble en cela à des techniques d’apprentissage réservées aux animaux. Combiné à l’apprentissage pro- fond, il a permis fin 2015 la victoire par AlphaGo contre le champion européen.
 
 
Les succès du deep learning
 
La reconnaissance des formes, et notamment des images, a depuis longtemps été traitée par combinaison de différents extracteurs de caractéristiques et classifieurs apprenants. Ceux-ci sont souvent des réseaux neuronaux – leurs composants principaux modélisent de façon très simplifiée les neurones biologiques – multicouches – la topologie de ces réseaux permet d’identifier des neurones d’entrée, des neurones de sortie et une ou plu- sieurs couches intermédiaires de neurones, reliées par leurs synapses et modifiant leurs poids synaptiques. L’apprentissage profond, ou deep learning, implémente cette idée sur un très grand nombre de couches intermédiaires et un encore plus grand nombre de neurones. C’est ce gigantisme, permis par les capacités de calcul actuelles, qui est au cœur de la très grande majorité des avancées décisives de ces derniers mois.
Le grand avantage de ces architectures profondes est « leur capacité d’apprendre à représenter le monde de manière hiérarchique », comme l’explique Yann LeCun, dont les travaux sur les réseaux convolutifs, « une forme particulière de réseau neuronal multicouche dont l’architecture des connexions est inspirée de celle du cortex visuel des mammifères », a permis dans les années 90 les premiers systèmes de reconnaissance de chèques. Tous les systèmes de reconnaissance vocale actuels mettent en œuvre ce type d’apprentissage aujourd’hui.
 
Les succès du deep learning ne doivent cependant pas donner à croire que toute l’IA s’y réduit aujourd’hui. Pour arriver à des IA générales, loin des IA actuelles qui ne font que savoir très bien jouer au go, ou aux échecs, mais sont incapables sur d’autres tâches, il faut leur permettre de se remémorer, de prédire et de planifier. De nouvelles architectures de réseaux de neurones, les réseaux récurrents à mémoire, sont ainsi conçues, capables par exemple de légender automatiquement des images.
 
Les êtres vivants comprennent, parce qu’ils savent comment fonctionne le monde, car ils y vivent. Cette aptitude à la compréhension du sens commun, comme le souligne Yann LeCun, est la question fondamentale qu’il faut résoudre à présent. L’apprentissage prédictif pourrait être une piste. Il s’agit d’un type d’apprentissage très particulier : on montre au système apprenant une séquence d’événements (les images d’une vidéo, les mots d’une phrase, les comportements d’un utilisateur) et on lui demande de prédire les éléments suivants.

À Télécom ParisTech, Albert Biffet mène des recherches dans le cadre du machine learning on real time. Il s’agit de fouiller des données (datastream mining) arrivant à haute vélocité. Cela peut être par exemple des flux de données de télécommunications. Aucune donnée n’est stockée et il faut s’adapter aux changements en temps réel. Les enjeux actuels sont de permettre du machine learning de ce type dans le cadre de l’Internet des objets, notamment pour permettre à ces objets de prendre de meilleures décisions. Un équilibre est recherché entre avoir plus de données à disposition ou avoir de meilleurs algorithmes pour prendre ces décisions sous contrainte de temps réel. Dans certains cas les flux de données étudiées arrivent de manière distribuée. Quatre types d’algorithmes sont retenus : classification, regression, clustering, et frequent pattern mining. Albert Biffet développe la prochaine génération de modèles et d’algorithmes pour fouiller les données en provenance de ces objets : des algorithmes qui ne cessent jamais d’apprendre, des algorithmes parallèles et distribués sur plusieurs machines, et enfin l’application de l’apprentissage profond à ces flux de données. Ces recherches bénéficient de l’existence de la chaire Machine Learning for Big Data à Télé- com ParisTech, pilotée par Stephan Clémençon, et dont les travaux ont déjà été traités dans le cahier de veille Big Data. Créée en septembre 2013 avec le soutien de la Fondation Télécom, et financée par quatre entreprises partenaires (Safran, PSA Peugeot Citroën, Criteo et BNP Paribas), la chaire produit une recherche mé- thodologique répondant au défi que constitue l’analyse statistique des données massives.

Les formes d’apprentissage
 
Certains mécanismes d’apprentissage, comme ceux liés à la motricité des robots, ne peuvent pas se reposer uniquement sur le big data, comme la plupart des algorithmes d’IA en vogue, car l’adaptation d’un robot à son environnement dépend des robots dans toutes leurs variétés et leurs états, et des environnements dans toutes leurs déclinaisons et variabilités. Il faut alors s’intéresser à des formes d’apprentissage qui mettent en situation dans son environnement le système apprenant. Quand les types d’apprentissage mettent en exergue les processus en jeu, les formes d’apprentissage s’intéressent au contexte, comportemental et environnemental, dans lesquels ils agissent. Elles sont multiples et dépendent du développement cognitif de l’être – ou de l’artefact – observé.
 
L’empreinte et l’habituation sont des apprentissages primaires et irréversibles. La première est acquise brutalement, réalisation de comportements innés. La seconde permet de ne pas considérer comme nouveaux tous les événements qui se présentent. Elle rend possible l’expérience et le raisonnement. L’apprentissage par essai-erreur repose sur les systèmes de valeur, et les récompenses / punitions. Il permet l’acquisition d’automatismes. L’apprentissage par l’action, fortement dépendant de l’environnement, regroupe l’acquisition du savoir-faire par l’entraînement, la recherche active d’informations, la manipulation (d’objets, de modèles…). Il peut avoir comme objet la pensée elle-même (échaffaudage d’hypothèses et vérifications) et permettre ainsi la puissance créatrice.
 
L’apprentissage par observation / imitation décrit des situations où l’apprenant copie le comportement d’un modèle sans que celui-ci ne l’instruise ni ne le corrige. C’est un type d’apprentissage courant dans les premières périodes du développement intellectuel, et plus tard dans les phénomènes de mimétisme. L’apprentissage coactif s’effectue entre des êtres ayant un niveau d’expertise comparable. Toute sa force réside dans la dynamique d’échange entre les deux, à base d’hypothèses, de tests et de critiques.
 
L’apprentissage par instruction, a contrario, s’effectue entre deux êtres aux niveaux d’expertise différents. Complétant les apprentissages par action et par observation / imitation, l’expert dirige l’avancée de l’élève en communiquant avec lui. Enfin, une dernière forme d’apprentissage est celle qui consiste à apprendre à apprendre. Le méta-apprentissage permet, en observant ses propres processus d’apprentissage, d’activer les bons mécanismes d’apprentissage pour chaque situation nouvelle, et créer éventuellement de nouveaux mécanismes d’apprentissage.

À Télécom Bretagne, Mai Nguyen élabore des robots adaptatifs, dans le cadre des services d’aide à la personne. L’apprentissage étudié est par exemple l’apprentissage actif par curiosité artificielle. C’est ce que fait un enfant entre 0 et 6 ans qui ne va pas à l’école, et pourtant apprend à se développer. Il joue, en autonomie. C’est l’enfant qui décide, parmi tous les jeux possibles. Les psychologues disent que l’enfant va choisir de manière intuitive la tâche qui va lui permetttre d’apprendre le plus. Chaque enfant a envie de faire des progrès, à sa juste mesure, et choisit des choses à apprendre pour le bien qu’il en tire lui-même. Il dispose pour cela de différentes stratégies d’apprentissage à disposition, par guidage social, ou en autonomie. C’est en s’inspirant de ces observations que la chercheuse imagine des robots capables d’apprendre de leur environnement physique.

L’objectif est celui d’une robotique de service qui se propose de créer des robots intelligents grâce à l’agrégation des meilleurs algorithmes d’IA. Un premier défi consiste à agréger ces algorithmes en un système cohérent et temps réel, sur un système embarqué. Un deuxième défi est de construire des algorithmes pour que le robot puisse interagir physiquement et affectivement avec son environnement physique et ses utilisateurs. Un troisième défi est de permettre au robot d’apprendre des nouvelles tâches qui n’avaient pas été préprogrammées. Il s’agit donc d’aller au-delà des défis les plus connus, où la tâche (unique) ainsi que les cas de test sont définis à l’avance et avec précision. La robotique intelligente bénéficie indéniablement des récentes avancées en IA, mais doit également continuer à trouver de nouveaux paradigmes pour avancer dans les défis qui lui sont propres. Par exemple, quand ces robots sortent d’usine, ils ne sont pas encore terminés, pour pouvoir s’adapter par la suite à leur environnement. Ils nécessitent donc une structure cognitive leur permettant d’apprendre.

LIRE AUSSI DANS UP’ : Convocation de la pyschanalyse dans le monde de l’intelligence artificielle

Vers une informatique neuro-inspirée

Le calcul informatique a connu des développements considérables ces quarante dernières années, grâce aux avancées de la physique et de la microélectronique. L’algorithmique a également progressé, notamment depuis les travaux pionniers de Donald Knuth, mais à un rythme nettement plus lent que celui de la microélectronique. Nos ordinateurs ultrarapides, multi- cœurs et dotés de vastes mémoires sont restés de rudimentaires machines à programmer, non apprenantes, non adaptatives, indifférentes, en un mot inintelligentes.
 
Deux raisons peuvent être données pour expliquer l’échec, provisoire, de l’IA. Tout d’abord, comme l’a expliqué Yann LeCun, trop de scientifiques ont manqué de pragmatisme dans l’élaboration des méthodes qui auraient pu servir aux progrès de l’IA : « il fallait avoir une théorie à toute épreuve, et les résultats empiriques ne comptaient pas. C’est une très mauvaise façon d’aborder un problème d’ingénierie ». Et s’il y a bien un domaine où, en l’état actuel des connaissances, aucune théorie unificatrice ne s’est imposée, c’est celui de l’intelligence, qu’elle soit naturelle ou artificielle. Trop souvent également l’approche descendante – top-down, de la cognition vers les modèles – a été privilégiée au détriment de l’approche bottom-up – des circuits vers la cognition – moins propice à la théorisation.
 
Ensuite et surtout, l’idée d’une Intelligence Artificielle n’a été portée, jusqu’à ce jour, que par des experts de l’informatique (au sens le plus large des sciences de l’information), lesquels ont cru pouvoir se passer d’imiter les seuls modèles disponibles et en ordre de marche : les circuits de notre cerveau. Pourtant, si l’on veut obtenir des machines électroniques des propriétés cognitives supérieures, telles que l’imagination, la création, le jugement, on doit cesser de suivre à la lettre le modèle de la machine informatique conventionnelle ou plutôt essayer de lui trouver un modèle compagnon, le premier se chargeant des gros calculs (ce que le cerveau humain ne sait pas faire) et le second de l’intelligence. Et nous n’avons qu’une seule source d’inspiration pour obtenir cette Intelli- gence Artificielle : notre cortex.
 
Il semble donc impératif, dans un nouvel élan vers l’IA, qu’on appellera plutôt informatique neuro-inspirée, de bien connaître le cerveau dans ses aspects mésoscopiques, c’est-à-dire le codage neural et les circuits neuraux. Cette approche a également l’avantage de répondre à certains verrous actuels du domaine, comme la consommation energétique ou d’autres problématiques liées aux systèmes embarqués.
 

À Télécom Bretagne, Claude Berrou et son équipe cherchent au sein du projet européen Neucod (Neural Coding) à modéliser le cerveau humain par une approche jusque-là inédite : la théorie de l’information. Ils partent du constat que le néocortex, ce « milieu de propagation qui permet à des processus biologiques de passer d’îlots de connaissances à d’autres », possède une structure très proche de celle des décodeurs modernes. Leurs travaux ont permis de développer des codes de représentation et de mémorisation de l’information expliquant sa robustesse et sa pérennité. Tout démarre d’une analogie entre la théorie de l’information de Shannon et le cerveau humain. Cette analogie a permis le développement de mémoires associatives robustes et à grande diversité d’apprentissage, grâce aux travaux de Vincent Gripon. Elle prend en compte un monde qui est réel, riche, complexe, et surtout analogique. La phase de perception revient à du codage de source (enlever la redondance de l’environnement), et celle de mémorisation à du codage de canal (rajouter de la redondance pour rendre le signal plus robuste).

 
(1) http://www.journaldugeek.com/2017/01/06/intelligence-artificielle-dupe-eleves/
 

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