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Le surhomme, un rêve de l’homme diminué

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Dans les années 70, les Sex Pistols chantaient : « I’m an antichrist, don’t know what I want, but I know how to get it… » Cette phrase décrit parfaitement ce qui nous arrive aujourd’hui. Notre monde regorge de moyens (« je sais comment l’obtenir »), mais il ne sait quelle fin poursuivre (« Je ne sais pas ce que je veux »). 
Dans le cadre des séminaires de recherche du Collège des Bernardins, Olivier Rey nous propose ici une réflexion pour chercher, élaborer et transmettre des messages d’espérance pour l’avenir de l’homme, fondés sur la connaissance de la sagesse et la compréhension du monde d’aujourd’hui.
 
Les développements impressionnants de la recherche biologique ont fourni à l’homme une capacité d’intervention inédite sur le vivant y compris en sa propre corporéité. Plus encore, ils ont entraîné une dramatisation du débat éthique puisqu’ils conduisent à remettre en cause l’identité de la personne et les valeurs fondatrices des sociétés humaines.
Un tel déploiement de connaissances scientifiques et de leurs applications provoque nos sociétés à une réflexion morale destinée à fonder humainement une régulation juridique et budgétaire. Par-delà une biomédecine mécaniciste qui ne trouverait en elle que ses propres aspirations et légitimations, ce département s’attache à déceler les enjeux anthropologiques et éthiques de la recherche et de la pratique médicale. Le dialogue rationnel qu’il instaure s’enrichit par l’examen des aspects spirituels des questions en débat.

Éloignement entre les fins et les moyens

L’éloignement entre les fins et les moyens est devenu abyssal. Dans l’idéal, le clivage entre fin et moyen n’a pas cours. Mais l’humanité suppose une certaine dissociation entre l’ordre des fins et celui des moyens. C’est parce que les êtres peuvent prendre distance par rapport à la fin qu’ils poursuivent qu’ils sont également à même d’élaborer les moyens qui leur permettront ensuite d’atteindre ces fins. Parce qu’ils sont capables de développer des moyens pour eux-mêmes, qu’ils sont à même de poursuivre de nouvelles fins. Mais une authentique culture humaine permet de dépasser cette dissociation pour l’intégrer dans un tout.
L’humanité véritable (Gunther Anders, L’obsolescence de l’homme) commence « là où les moyens aussi bien que les fins sont à ce point aussi bien imprégnés du style même des us et coutume que devant les fragments de vie ou du monde, on ne peut reconnaître (et on ne se le demande même plus) s’il s’agit de moyens ou de fins. Là où le chemin qui mène à la fontaine rafraîchit autant que l’eau qu’on y boit. »

La technique ne se développe plus selon des fins

Cette dissociation entre fin et moyen est particulièrement mise en œuvre à l’intérieur de la technique. La technique s’est autonomisée, et elle ne se développe plus selon des fins, mais selon ses propres possibilités de croissance. Puis elle réclame des fins pour les nouveaux moyens qu’elle engendre.
Jacques Ellul avait décrit cela (Le système technicien, 1979) : « Nous avons l’habitude logique et scolaire de considérer que l’on commence par poser des problèmes avant d’arriver à la solution. Dans la réalité technique, il faut inverser l’ordre. […] La solution précède le problème. Dans ces conditions il n’y a nulle par de place pour insérer une finalité quelconque. » On raconte l’histoire à l’envers en faisant croire que l’on a construit des avions car comme Icare on voulait voler, alors que l’on a construit des avions après avoir créé des moteurs si puissants que la voiture n’épuisait pas leur puissance.

Le transhumanisme et le sentiment d’insuffisance qu’il entretient

C’est ainsi qu’a émergé le transhumanisme, devant le déferlement de technologie innovante : à quoi la faire servir ? Nous sommes tellement suréquipés que créer la demande devient difficile. Reste un lieu scandaleusement inexploité : le corps. Voilà la nouvelle frontière, le nouveau marché à conquérir. Il faut convaincre les humains que leur corps est déficient, qu’ils sont de pauvres choses à améliorer. Or l’individu contemporain est convaincu d’être supérieur à ceux qui l’ont précédés et surtout rongé par un sentiment d’insuffisance.
1) Ce sentiment paradoxal est lié à la technique elle-même. Le langage des choses a changé au cours de ces quatre décennies. Notre monde le plus familier n’est plus construit d’objet fait de mains d’homme et faits pour l’homme. L’artisanat donnait aux choses une « qualité mystérieuse ». Pasolini situe cette rupture des trente glorieuses dans l’effacement de toute trace d’une intervention humaine dans les objets machinofacturés.
Dans l’absence de lien entre l’objet et la personne qui l’a fabriqué, on tient là une des sources de ce que Gunther Anders a appelé la « honte prométhéenne » : le sentiment d’étrangeté et d’infériorité conscient ou inconscient qui s’empare de l’individu devant certaines productions qui, bien que d’origine humaine, n’ont plus rien de commun avec ce qu’un être humain aussi adroit soit-il peut faire.
 
2) Pourtant, il n’y a pas de quoi avoir honte. Une machine, qu’elle quelle soit n’exerce sa fascination qu’à travers une confrontation injuste avec les facultés humaines, car limité au terrain étroit où cette machine excelle, hors duquel elle est sans ressources. Néanmoins, un sentiment d’insuffisance existe, né de ce que Gunther Anders appelle les « âmes multiples », cette habitude contemporaine de l’homme orchestre contemporain qui veut toujours mener plusieurs choses à la fois (et ce grâce à la technique) sans pouvoir se reposer dans une seule, au risque d’être éclaté en une pluralité de fonction séparées (toutes substituables par une machine).
En s’extériorisant dans la technique moderne, une certaine forme de rationalité se met à écraser la personne qu’elle était sensée servir au point que la personne se met pour résister à lorgner du côté de l’animal, en valorisant le domaine pulsionnel. Qui veut trop faire le technicien finit par faire la bête. Le devenir robot fait chanter les mérites du bonobo !

L’homme diminué

La conséquence de cela est que nous sommes diminués, matériellement et spirituellement.
 
1) Diminution matérielle
Quand la technique met en jeu des énergies trop importantes, elle cesse de magnifier les facultés de notre corps, mais elle rend ces facultés inopérantes. Ainsi, Illich a bien montré que la voiture qui est sensé raccourcir les distances a permis d’étendre les distances à parcourir. Mais du coup, il n’est plus possible de marcher pour aller d’un point à un autre car les distances sont trop grandes. Le corps propre devient impotent.
Au fils de telles évolutions le consommateur devient aussi dépendant du marché que le nourrisson vis-à-vis des êtres qui prennent soin de lui. En fait, nous sommes comme dans les services de réanimation : le corps n’est maintenu en vie que par son branchement sur un appareillage high-tech.
 
2) Diminution spirituelle
Un monde désormais nous dépasse. Au début du XXe siècle, Georg Zimmel (1903) faisait déjà ce constat. Le transhumanisme n’est pas si radicalement nouveau. Il faut comprendre la logique d’ensemble et ses racines.
« En tout cas, l’individu est de moins en moins apte à se mesurer à l’envahissement de la culture objective. Il est réduit à être quantité négligeable, un grain de poussière face à une organisation démesurée de choses et de forces qui lui ravisent totalement tous les progrès, toutes les valeurs spirituelles et les valeurs morales et conduisent celles-ci de la forme de la vie subjective à celle d’une vie purement objective. »
Tous ces paradoxes se ramènent à un seul : avec la modernité, les hommes étaient sensés quitter
l’hétéronomie pour l’autonomie, se délivrer de leurs anciennes terreurs et des préjugés d’un autre âge, s’émanciper de leurs tutelles et accéder à la maturité et le résultat est décevant. La modernité a massivement rejeté Dieu, interprété comme une projection castratrice, une illusion dont il fallait se délivrer pour accéder à l’âge adulte.
Cependant, la condition humaine supérieure qui devait résulter d’un dépassement de la foi en Dieu se révèle plutôt une involution, un retour à l’infantilisme et à ses fantasmes de toute puissance. Cf. Chesterton :
« quand les hommes cessent de croire en Dieu, ils ne croient pas en rien, mais en n’importe quoi ».

Mais quel Dieu ?

Il faut se garder de juger trop vite le mouvement de rejet de Dieu. Il convient d’abord en effet de nous demander quel est le Dieu qui a été rejeté. Dans de nombreux cas, le Dieu rejeté méritait de l’être, en tant qu’il était plutôt figure du diable, un dieu conçu comme un tyran, non pas attaché à faire grandir sa créature mais ne lui accordant que des miettes en échange d’une soumission totale.
Dans la foi des démons, Fabrice Hadjaj cite cette page admirable de St Bernard. « Lucifer, ‘plein de sagesse et parfait en beauté’, a pu connaître d’avance qu’il y aurait un jour des hommes, et aussi qu’ils parviendraient à une gloire égale à la sienne. Mais s’il l’a connu d’avance, il l’a sans aucun doute vu dans le Verbe de Dieu, et, dans sa hargne, il en a conçu de l’envie. C’est ainsi qu’il a projeté d’avoir des sujets, refusant avec dédain d’avoir des compagnons. Les hommes, dit-il, sont faibles et inférieurs par nature : il ne leur sied point d’être mes concitoyens, ni mes égaux dans la gloire (Bernard de Clairvaux, Sermon sur le Cantique, XVII, 5-6).
Le transhumanisme présuppose qu’il y aurait des dominants et des dominés, oubliant que les dominant eux-mêmes seront (sont ?) assujettis à la technique. (Cf. C.S Lewis, L’abolition de l’homme).
La technique du diable est de persuader l’homme que la chaire est par elle-même mauvaise ou du moins, qu’elle n’a rien à voir avec l’esprit. (Cf. Eric Fiat Corps et âme).

Conclusion

Le transhumanisme se donne comme un au-delà de l’humain, mais à bien y regarder on reconnaît toute la part d’en-deçà qui se dissimule derrière ce prétendu au-delà. L’imaginaire transhumaniste, c’est la technique la plus sophistiquée mise au service d’une régression. C’est la promesse que grâce à la technique, nous n’aurons plus à devenir adultes. Pour élaborer cette technique, hommes et femmes ont dû se soumettre à une pure discipline rationnelle, respecter le principe de réalité, mais encore un effort humain pour être libéré !
Mais attention, il ne suffit pas de critiquer les énormes enjeux économiques et le substrat ultralibéral des transhumanistes. Pour que la critique porte, il faut aussi déceler en nous ce qui appelle ce règne et cette fascination pour la technique. Le caractère régressif de la vie au sein de la société de consommation s’accorde à l’imaginaire lui-même régressif caractérisant sous un visage high-tech le transhumanisme. L’un se combine avec l’autre, l’un tire sa force de l’autre dans une combinaison infernale que l’on n’a aucune chance de défaire si l’on ne s’en prend pas simultanément aux deux termes.
Car s’il n’a aucune chance d’aboutir, ce discours transhumaniste produit des effets, à commencer par nous détourner de tâches plus urgentes.
L’humanité, la plus horrible vieille parmi toutes les horribles vieilles, disait Nietzsche, n’existe pas et n’a jamais existé. Ce dont il y a sens à parler, c’est d’une certaine espèce de primates, homo sapiens, caractérisée par la bipédie et la pilosité, d’autre part une divino-humanité avec des créatures formées à l’image de leur créateur avec la vocation que cela implique. Diderot affirme : l’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener (Encyclopédie). Selon moi c’est une définition assez exacte de l’enfer. Au plafond de cet enfer, il y a le trans ou le post humain, mais hors de cet enfer, il n’y a pas de plafond, il y a le ciel.
 
Département d’éthique biomédical en partenariat avec l’Université Paris-Est Marne La Vallée,
Espaces éthiques politiques – Séminaire 2015-2016
« Humanisme, transhumanisme, posthumanisme »
Intervenant : Olivier Rey
Synthèse : Anne Lécu
 

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