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Vers la fusion homme-machine

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fusionhommemachineDu Minitel à l’Internet mobile, la technologie a bouleversé en quelques décennies nos modes de communication. Une évolution qui tend à faire disparaître la frontière entre monde réel et monde virtuel. Le futurologue Joël de Rosnay décrypte les enjeux de l’inéluctable fusion entre l’homme et la machine.

Télex, Minitel, modem… Difficile de ne pas esquisser un sourire en songeant à ces engins d’un autre âge, fossiles de la préhistoire d’Internet.

En 2010, l’homme peut lire les nouvelles sur son « smartphone » et Montaigne sur une tablette électronique. Demain, il n’aura même plus besoin de cliquer sur un bouton. Grâce à la réalité augmentée, les couloirs du métro et les façades des monuments seront équipés de capteurs et autres nanotechnologies de pointe permettant de nous envoyer des informations.

Pranav Mistry va même plus loin. Cet ingénieur indien vient peut-être d’inventer l’ordinateur du futur. Son nom ? Sixth Sense. D’après le chercheur du Massachusetts Institute of Technology, le moindre objet qui nous entoure est une interface potentielle. Pour prendre une photo, il suffira par exemple de cadrer l’image avec ses doigts. Un petit appareil fixé sur notre tête et un logiciel intégré au téléphone feront le reste.

Au fil des découvertes, la frontière entre matériel et immatériel va disparaître. L’informatique, le numérique et les biotechnologies forcent les portes de notre monde physique. Au risque de pousser l’homme à renoncer à une part de sa liberté.

Aujourd’hui, des géants de l’informatique peu scrupuleux stockent des mois durant la moindre de vos recherches sur le Web. D’ici dix ans, des puces RFID (Radio Frequency IDentification) placées un peu partout dans notre environnement feront de la « traçabilité » l’une des grandes peurs du XXIe siècle. À chaque nouvelle avancée technologique plane le spectre de Big Brother. À tort. Toujours plus intelligente et autonome, la machine n’en reste pas moins une créature de l’homme, et non une créature « humaine ». La menace ne vient pas du progrès technique, mais de l’usage que l’homme fera de ces nouveaux outils.

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Pour le futurologue Joël de Rosnay, grâce aux avancées de la science et de la technologie, nous sommes en train de façonner une sorte de « cerveau planétaire » dont nous serons les neurones… L’hypothèse peut sembler vertigineuse. Pourtant, à y regarder de plus près, elle n’a rien d’extravagant. La fusion entre le monde réel et le monde virtuel est en marche. Pour le meilleur et pour le pire.

« Un Web en symbiose avec notre cerveau et notre corps ». Le futurologue français en est persuadé. D’ici 2060, l’homme devrait entrer en symbiose avec le cerveau planétaire, le mystérieux « cybionte ».

U & R : En 1975, dans Le Macroscope, vous annoncez que l’homme va participer à la création d’un cerveau planétaire. Trente-cinq ans plus tard, ce cerveau a-t-il vu le jour ?

J. de Rosnay : Le cerveau planétaire est en cours de construction. Des interfaces de plus en plus étroites se créent entre l’homme et les machines. Avec l’apparition du téléphone, de la télévision et du cinéma, l’homme a extériorisé plusieurs de ses sens. Il s’est entouré d’un nuage de prothèses électroniques ou mécaniques pour parler, écouter, voir et même se déplacer. Avec le numérique, nous assistons à la convergence de ces prothèses. Elles fusionnent, se connectent entre elles. C’est pourquoi je préfère parler d’« unimédia » plutôt que de « multimédia ». Ces évolutions montrent que nous sommes en train de construire une sorte de « cerveau planétaire ». Pour symboliser l’émergence de ce macro-organisme, j’ai proposé au début des années 1990 le terme de « cybionte », contraction des mots cybernétique et biologie. Le cybionte va favoriser l’émergence d’un nouvel homme : « l’homme symbiotique ».

À quoi va ressembler cet « homme symbiotique » ?

Après l’Homo sapiens, qui cherche à dominer les espèces vivantes, après l’Homo faber, qui maîtrise outils et machines, après l’Homo economicus, à la fois consommateur et prédateur, l’homme symbiotique va chercher à vivre en harmonie, en symbiose, avec le cerveau planétaire qu’il aura contribué à créer. Ni surhomme ni robot, il sera tel que nous sommes aujourd’hui. Déjà, il « sous-traite » au cybionte en construction ce qui est trop rapide ou trop complexe pour son seul cerveau, la Bourse par exemple.

Internet occupe une place de plus en plus importante dans notre vie. À quoi va ressembler le Web à l’horizon 2050 ?

L’évolution de l’ordinateur relié à Internet est comparable à celle qu’a connue le livre. Ce dernier n’a longtemps existé que sous la forme d’exemplaires uniques de grande taille, présentés sur des tréteaux et attachés au mur. Les moines ont ensuite recopié les manuscrits. Puis l’imprimerie a conduit à la création du « manuel », le livre qui tient dans la main. Grâce à lui, la culture s’est diffusée très largement. De la même manière, dans les années 1970, on se connectait à un ordinateur extérieur par un terminal de télématique. L’ordinateur personnel était fixe, connecté à une prise électrique et à une prise télécom. Avec l’ordinateur portable, l’accès à Internet est devenu mobile. À présent, près de 50 % des connexions à Internet se réalisent à partir de smartphones, les téléphones portables multifonctions. Le vrai changement, qui va intervenir d’ici 2030, sera celui de « l’environnement intelligent ». Aujourd’hui, on dispose de trois écrans plats : ceux de l’ordinateur de bureau, du portable et du smartphone. Demain, on pourra passer derrière ces écrans, miroirs du monde virtuel. On se retrouvera face aux murs d’un amphithéâtre, d’un restaurant ou d’un aéroport. Et ces murs seront eux-mêmes des écrans. Ils seront dotés de puces RFID capables de détecter les objets, de systèmes d’identification des visages, ou de détecteurs de mouvements.

Quelles peuvent être les applications de cet environnement intelligent dans la vie quotidienne ?

Les environnements « cliquables » et la réalité augmentée offrent d’immenses perspectives dans des domaines comme le marketing, le commerce ou la communication institutionnelle. Les smartphones vont devenir des extensions des yeux, des oreilles et des gestes. Prenons l’exemple des campagnes électorales. Actuellement, les affiches des candidats sont souvent collées sur des tableaux et les opposants s’amusent à les tagguer ou les déchirer. Demain, la photo des candidats sera incrustée dans un tableau métallique équipé d’un code-barres circulaire. Quand on pointera son téléphone sur l’affiche, la photo du candidat se mettra à parler pour exposer son programme. Comme le ferait un écran de téléviseur. Autre exemple : la traduction instantanée. Si l’on voyage en Russie ou en Chine et qu’on ne parle pas la langue, il suffira de pointer avec son appareil le nom d’une enseigne pour que le texte soit aussitôt traduit dans sa langue maternelle. On peut imaginer une infinité d’applications de ce type.

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L’homme sera-t-il contraint d’exploiter cet environnement intelligent ?

Bien sûr que non. Les gens pourront choisir de n’utiliser que certaines des possibilités offertes par l’environnement intelligent. Un ouvrier, un chirurgien ou un militaire en auront sans doute besoin dans le cadre de leurs fonctions. Mais chacun pourra également utiliser ces applications pour ses loisirs ou sa vie personnelle. Il n’est pas impossible que seules quelques catégories de personnes y aient recours régulièrement. Un peu comme les astronautes ou les plongeurs aujourd’hui.

Jusqu’où peut aller la coévolution de l’homme et des nouveaux modes de communication et d’information ?

Le Web personnel, qui connecte une personne à des objets communicants, va se transformer progressivement en Web global. L’interaction entre l’homme et la machine va rendre les connexions du cerveau planétaire de plus en plus denses et ramifiées. Si l’on mesure l’évolution future d’Internet en se fondant sur le nombre d’adresses et de favoris dont dispose un ordinateur personnel ou un smartphone, on se rend compte que se dessine à l’horizon 2030-2050 une transition fondamentale. Ce seuil va correspondre à la naissance du Web symbiotique ou « symbionet ». Un Web en symbiose avec notre corps et notre cerveau. Nous allons alors transposer, dans le réseau que nous avons créé, la structure même du cerveau et ses trois formes d’intelligence : connective, collaborative et collective.

En quoi ce Web symbiotique peut-il être utile à l’homme ?

Le Web symbiotique prendra de plus en plus d’importance dans les décisions qui engagent l’humanité. Un système qui se regarde lui-même de l’extérieur, grâce à des satellites et des capteurs, pourra, par exemple, réguler en temps réel l’environnement dans lequel nous vivons. De nos jours, on détecte souvent trop tard l’arrivée d’une tornade ou d’un tsunami. Grâce aux « sens » dont la Terre est en train de se doter, il sera possible de gérer en temps réel, et dans l’intérêt de tous, certains cycles de l’écosystème. À condition, évidemment, que l’homme parvienne à entrer en symbiose avec le macro-organisme qu’il aura créé.

Quelles dérives menacent l’homme symbiotique de demain ?

L’homme symbiotique pourrait être dominé par le cybionte, devenant une sorte de monstre, un super Big Brother. Une des clés du futur consistera pour l’homme à s’appuyer sur la démarche scientifique pour mieux comprendre d’où il vient et quelle pourrait être son évolution. Et pas seulement à partir des seules règles traditionnelles de la politique, du marché ou de la religion. Il lui faudra aussi comprendre comment la complexité a évolué, de l’origine de la vie jusqu’à nos jours. Et tenter d’utiliser ces mêmes principes pour entrer en symbiose avec le cybionte, sans que celui-ci ne détruise l’identité humaine. Mais les risques de dérives existent. Le pire serait une intrusion dans l’être à son insu. D’ici 10 à 50 ans, il sera techniquement possible d’influencer des émotions à des fins malveillantes. On pourra, par exemple, grâce à une modification invisible et indétectable de l’environnement immédiat, stimuler dans le cerveau d’une personne la sécrétion d’hormones du bien-être ou du plaisir. Et mettre ainsi cette personne en condition pour favoriser la signature d’un important contrat ! Ce risque de détournement paraît encore plus grave que la traçabilité des informations, l’atteinte à la vie privée, le piratage, la désinformation ou la censure, contre lesquels on dispose aujourd’hui de moyens de protection ou de dissuasion.

Le cerveau planétaire en cours de construction sera-t-il indestructible ?

Un virus seul ne suffira pas à le détruire, ni d’ailleurs une cyberattaque ciblée. Le cybionte développe son propre système immunitaire. Plus le système se complexifie, plus son immunité se renforce grâce à une forme numérique de sélection naturelle. Pour le mettre en danger, plusieurs cyberattaques massives, simultanées et concentrées sur les grands nœuds de réseaux seraient nécessaires. En revanche, le risque existe que le système global devienne schizophrène ou bipolaire. D’ailleurs, certains sociologues considèrent déjà qu’Internet pourrait être atteint de maladies mentales !

Vous voulez dire que ce cerveau planétaire sera doté d’une intelligence autonome ?

L’avenir du cerveau planétaire va surtout dépendre de ce que nous en ferons et de la manière dont nous l’utiliserons. Déjà il se comporte de façon semi-autonome. Il favorise l’émergence progressive d’une conscience collective, voire d’une coconscience collective réfléchie. En clair : le système deviendra peut-être capable de se penser lui-même.

Les hommes sont donc en train de créer une nouvelle forme de Dieu ?

Ah, je ne sais pas. Vous employez les grands mots… Je ne suis pas en mesure d’évoquer ce qui se cache derrière un système dont nous serions les neurones ! Si le système peut se penser lui-même : qui est-il ? La question reste ouverte.

Propos recueillis par Blaise Mao et Jérôme Ruskin / Interview pour la revue Usbeck et Rica 

A propos de Joël de Rosnay :

– Chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), de 1967 à 1971.

– Directeur des applications de la recherche à l’Institut Pasteur, de 1975 à 1984.

– Chroniqueur scientifique à Europe 1, de 1987 à 1995.

– Directeur de la prospective et de l’évaluation de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette jusqu’en 2002.

– Cofondateur en 2005 du site de journalisme citoyen AgoraVox.

– Aujourd’hui, Joël de Rosnay est conseiller auprès de la présidente de la Cité des sciences et de l’industrie La Villette Paris et président exécutif de Biotics International, une société de conseil stratégique en nouvelles technologies.

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