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L’homme dans son environnement numérique I / 1ère partie – Culture

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Nous sommes plongés dans un monde numérique. Ceci transforme profondément nos modes de vie, nos relations à autrui, notre rapport à la connaissance. De nouvelles questions émergent, sur le plan sociétal, économique, technologique, juridique

Fin 2012, dans le prestigieux hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, des acteurs de l’entreprise, de l’enseignement supérieur et de la recherche et des pouvoirs publics, des responsables socio‐économiques et des étudiants ont partagé ces questions et ont échangé à l’occasion d’un grand débat centré sur trois thèmes sociétaux de la vie de tous les jours : la culture : «l’homme connecté sait-il tout ?», la santé : «que sait le patient – que sait le médecin ? », la ville : «comment la ville s’ouvre-t-elle au citoyen numérique ?».

delevoye« Aborder la question de l’Homme – au sens général, bien sûr de l’être humain, de l’homme et de la femme – dans son environnement numérique, c’est tout à la fois contribuer à informer nos concitoyens sur ce que j’appellerai l’impératif numérique et ne pas rejeter les apports décisifs d’une avancée révolutionnaire à bien des titres » commence par déclarer Jean‐Paul Delevoye, Président du Conseil économique, social et environnemental. 

« Je viens de prononcer le mot « révolutionnaire ». Oui, nous vivons une véritable révolution. Comme nous n’en voyons pas encore les tenants et les aboutissants, nous qualifions la situation actuelle de « crise ». En réalité, c’est plutôt d’une grande ou d’une profonde mutation que nous devrions parler, sous le double impact de l’énergie et, bien sûr, du numérique. Le futur n’est plus la projection du passé, comme ce pouvait être le cas au cours du siècle dernier – je pense au Plan soviétique ou à la futurologie d’Alvin Toffler, par exemple, qui dessinaient, l’un comme l’autre, un avenir tracé à l’avance –, non, le futur aujourd’hui remet en cause le passé. Nous changeons d’ère, et nous commençons à le savoir. Nous prenons conscience de la nécessaire adaptation de la société, de ses structures, de ses leaders. Nous comprenons de mieux en mieux la nécessité d’incuber l’innovation et d’encourager la prise de risque. Le numérique bouleverse nos structures sociales comme nos structures mentales, nos représentations, notre rapport au temps, à l’espace, à l’autre, jusqu’à la construction de notre identité. La troisième communauté mondiale après la Chine et l’Inde n’est‐elle pas facebook, qui a dépassé le milliard d’utilisateurs en septembre 2012 ?
Cette révolution donne parfois le vertige : on m’expliquait récemment que mon i phone possédait une puissance de calcul deux fois supérieure à celle utilisée par les ordinateurs de la NASA en 1970 pour la mission Apollo 13 ! Plus important, elle touche tous les domaines. » poursuit-il.(…)

Et de conclure : « Je voudrais souligner que le monde numérique accompagne autant qu’il initie, facilite autant qu’il produit de nouvelles pratiques. Celles‐ci reposent sur trois piliers :
• La diffusion de l’information (mais quid de sa hiérarchisation, de sa compréhension ?)
• L’émergence de l’individu dans sa capacité de choix et d’expression (mais quid de sa capacité d’écoute ? quid du lien collectif ?)
• La structuration d’une société par le réseau plus que par le pouvoir, le statut ou la hiérarchie, une société plus horizontale que verticale, une société plus à réguler qu’à contrôler.

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La fin d’un monde n’est pas la fin du monde. Entrons de plein pied dans cette nouvelle ère ! Avec sagacité, mais surtout avec enthousiasme.

Première partie / Culture : « L’homme connecté sait-il tout ? »

rubypascal Les technologies de reconnaissance visuelle, nouveaux moyens d’accès et de découverte du patrimoine numérisé, par Pascal Ruby, président-directeur général de Xedix. (Synthèse réalisée par Hélène Héron, Ingénieur‐Elève du Corps desMines, InstitutMines‐Télécom)

La problématique  »L’homme connecté sait‐il tout?  » débouche sur deux angles d’étude :

• le comportement de l’homme connecté : que faisons‐nous quand nous sommes connectés ? Que voulons‐nous savoir ?
• l’accès au savoir : quels sont nos moyens d’accès au savoir ? Comment les nouvelles technologies peuvent‐elles nous aider ?

1) Le comportement

L’être humain est entouré d’écrans connectés (smartphones, PC, télévision, tablettes) qui captent 90% de notre temps d’accès aux contenus (d’après des données de Google). Seul 10% reste consacrés aux journaux et à la radio. Chaque terminal a une fonction propre : le téléphone portable pour les activités sociales et l’instantanéité, les ordinateurs pour les tâches productives, et les tablettes pour le divertissement et le shopping. La télévision a une place beaucoup plus centrale.
C’est le contexte (lieu, temps disponible, objectif de la tâche, état d’esprit) qui détermine le terminal utilisé. Dans la plupart des cas, l’usage des terminaux est séquentiel : 90% des interactions commencées sur un terminal se poursuivent sur un autre. Les activités principales sur internet sont l’envoi et la lecture d’emails, les réseaux sociaux et la recherche d’informations.

L’être humain utilise souvent deux écrans à la fois et, dans 80% des cas, les deux activités sont indépendantes (logique  »multitâches »). La télévision constitue l’écran le plus utilisé en même temps qu’un autre terminal. La télévision guide nos recherches : nous cherchons des informations complémentaires sur ce que nous voyons et nous échangeons avec nos contacts sur ce que nous regardons (c’est le concept de « Social TV »). La télévision illustre parfaitement les 20% des cas où l’utilisation de deux écrans se fait pour des activités corrélées.

Dans des situations très diverses, les connexions donnent accès à du  »temps retrouvé ». L’accès aux contenus se fait le plus souvent par les téléphones portables et la recherche est spontanée dans 80% des cas. L’environnement nous fait nous poser des questions et nous amène à aller chercher de l’information. C’est ainsi que presque toutes les recherches de contenus passent à un moment ou à un autre par le mobile.

La personne utilise ce temps retrouvé pour :
• du zapping (peu productif)
• des actions quotidiennes d’organisation (achats en ligne, planification)
• et plus intéressant dans notre cas : des demandes spontanées d’informations

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2) L’accès au savoir

Il faut distinguer les réponses instantanées aux questions soulevées par notre environnement (nous savons ce que nous cherchons et nous pouvons le formuler) et le processus de découverte active (nous ne pouvons pas encore formuler ce que nous allons découvrir).

1er cas : je peux formuler ce que je cherche.  Il peut s’agir d’un prix, d’une date de sortie, etc. La majorité des écrans n’a plus de clavier. L’image constitue un langage universel pour chercher n’importe quand, n’importe où et sur n’importe quel écran. L’accès est bien plus facile par la photographie qui est prise (l’objet) que par une description textuelle sur le clavier. L’application utilisée formule la question, l’image précise l’objet de la question : par exemple, nous photographions un emballage et l’application donne en réponse la couleur de la poubelle à utiliser pour le tri. Cette restitution sous forme de réalité augmentée peut aussi être utilisée dans les musées: Affichage d’une description localisée des détails d’un tableau et surimpression des commentaires postés par nos contacts personnels. Nous recourons ici à des applications qui ont des buts connus.

2ème cas : le savoir n’est pas accessible par le texte.  Les contenus audio et vidéo ne sont pas toujours annotés par du texte en raison des coûts et délais de production et des opportunités d’utilisation. Le recours à Internet permet de trouver des ressources pour transformer une question textuelle en langage visuel. La technologie permet de rebondir d’un mode de recherche (texte) à l’autre (image, son,…)

3ème cas : je ne connais pas ce que je cherche.  Le contenu lui‐même est l’objet de la question et un clavier n’est dans ce cas d’aucune utilité : quel est ce morceau de musique ? Qui est cet intervenant ? Quel est ce bâtiment ? De qui est ce tableau ? … Les technologies de reconnaissance multimédia (reconnaissance visuelle, reconnaissance sonore) créent de nouveaux moyens d’accès à l’information.

4ème cas : le savoir n’est pas formulé dans le texte.  Chaque personne qui annote un contenu tel qu’une image utilise son propre vocabulaire et décrit le contenu à sa façon. L’intérêt de la capacité à rechercher par l’image apparaît ici très clairement pour dépasser la limite des tags manuels. Ainsi une application pour les arts décoratifs capture une œuvre ou l’ambiance qui nous entoure et retourne des archives du patrimoine visuellement compatibles.

L’image est dans ce cas un moyen de découvrir des contenus qui ne sont pas nécessairement accessibles par d’autres moyens.
La technologie peut m’aider à identifier les caractéristiques formelles qui permettent de décrire intégralement les archives numérisées (www.egonomy.net). La technologie peut identifier mes préférences visuelles et m’inviter à converger vers une gamme de contenus qui m’intéresse en combinant technique d’apprentissage et reconnaissance visuelle.

Pour conclure, les hommes sont connectés en permanence et consacrent plus de temps à interagir avec les contenus. Les technologies de reconnaissance multimédia ouvrent de nouvelles voies d’accès au savoir et de découverte informelle. Elles sont complémentaires de l’accès  »encyclopédique » par mot‐clé et leur combinaison (sémantique texte + image) ouvre encore davantage de perspectives.

A propos de Pascal Ruby

Pascal Ruby a fondé XediX en 2009 dans le but de valoriser les contenus multimédias. En trois ans d’une collaboration étroite avec le CEA LIST, XediX a développé une expertise forte dans le domaine de la reconnaissance d’objets ou de personnes dans les images et les vidéos. Ce savoir faire est aujourd’hui utilisé pour la remontée d’informations pertinentes vers les mobiles ou les télévisions connectées et pour la découverte intelligente de grandes bases d’images ou de vidéos. XediX propose ses services en ligne (http://www.senseetive.com). Auparavant, Pascal Ruby avait occupé plusieurs postes chez InStranet, solution logicielle de gestion des connaissances. Pascal Ruby est diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. 

morandpascal– Culture et numérique : de nouveaux comportements pour les individus, par Pascal Morand, directeur général de ESCP Europe (Synthèse réalisée par Hélène Héron, Ingénieur‐Elève du Corps desMines, InstitutMines‐Télécom)

Le terme de  »culture » peut être pris au sens large, anthropologique, se rapportant aux représentations issues des valeurs, des connaissances et de l’histoire structurant un groupe social ; ou au sens strict, désignant alors les connaissances elles‐mêmes, ainsi dans les domaines scientifique ou artistique, en liaison avec le processus de création dont elles sont issues.   L’internet  conduit à une quantité fortement accrue d’informations disponibles, ainsi qu’à un fort potentiel de création. Faut‐il dès lors cultiver l’encyclopédisme, comme le préconisait Rabelais, ou préférer une tête bien faite à une tête bien pleine, en suivant Montaigne.

La révolution numérique

Le numérique donne lieu à une transformation profonde des modes de production, de consommation et d’échange, induisant ainsi une révolution économique et sociale. Il transforme le rapport au travail, aux loisirs et à la consommation, à autrui et à soi‐même, à l’espace et au temps, conduisant ainsi à un bouleversement sociétal et culturel.

Un travailleur libéré ?

La révolution numérique est à la source de la vague contemporaine de mondialisation et est aussi, à l’échelle mondiale, le principal facteur d’accroissement des inégalités. Elle conduit à la fragmentation de la chaîne de valeur dans l’économie et à un profond bouleversement des  »business models » ; générant en conséquence imprévisibilité et anxiété. Les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) représentent parallèlement une source majeure d’épanouissement professionnel et d’affranchissement par rapport aux rigidités organisationnelles en brisant les hiérarchies rigides et en déplaçant les frontières du rapport au travail. La part du travail immatériel augmente et ce type de travail déborde sur notre vie personnelle. Les jeunes générations ont changé leur rapport au travail et à la hiérarchie et aspirent en particulier à rester en contact avec les réseaux sociaux sur leur lieu de travail.

Un consommateur acteur ?

La production en série laisse la place à la customisation via de nouveaux procédés industriels induits par le numérique (impression 3D…). Par ailleurs, la part de l’internet croît de plus en plus vite dans la distribution, partout dans le monde (30% d’achats de la part des consommateurs en ligne en Chine en 2012, contre 12% en 2010), également sur le marché de l’occasion (en lien avec la crise et les enjeux du développement durable). Le pouvoir d’initiative et la liberté de choix ne sont pas pour autant amplifiés car les internautes sont passifs dans plus de deux tiers de leur usage d’internet. Le rapport des marques à l’internet se transforme. Auparavant, les marques effectuaient un  »marketing digital » en plus de leur publicité classique. Désormais, les deux types de marketing (classique et digital) s’imbriquent complètement avec une part toujours plus grande pour le marketing digital.

Déplacement de la frontière de la solitude

La participation aux réseaux sociaux est forte mais inégale. La fracture numérique est générationnelle : 70% des français utilisent internet mais seulement 25% des retraités. Les mondes virtuel et réel se conjuguent et se confondent : internet devient un complément de vie, notamment via les jeux en ligne. D’autre part, le numérique permet le développement des réseaux de solidarité (aide, soutien aux familles). Le rapport à la solitude est modifié par le temps passé sur le numérique.

L’espace et le temps revisités

L’espace et le temps sont revisités par le numérique qui fait du monde un village. L’internet des objets transfigure le rapport à l’espace quotidien. Le temps réel se généralise. Simultanéité et impatience sont au cœur de la contemporanéité. L’homme est attiré par la vitesse et le mouvement qui représentent la vie en comparaison à l’immobilité associée à la mort. Ce phénomène s’était déjà produit voici un siècle avec notamment l’irruption de l’automobile ; le    numérique lui donne une autre dimension. Cette accélération du temps a un effet centrifuge, laissant sur le côté nombre de citoyens, et provoque par réaction une aspiration à la lenteur.

Le devenir de la création et de la culture

En ce qui concerne la culture « au sens strict », le potentiel de création s’accroit, ainsi que sa démocratisation via des sites internet qui permettent aux artistes de s’exprimer. Tout en faisant corps avec le soubassement culturel, l’expression créative se nourrit d’un métissage amplifié. De nouvelles formes d’expression et de diffusion de la création apparaissent. Ainsi dans le cadre du film participatif  »Life in a day », Ridley Scott appela les internautes à raconter un fragment de leur vie. Le film, plein de vitalité, reflète la diversité culturelle.

Du fordisme à l’immatérialisme

L’homme est entré dans une nouvelle ère technologique, économique et sociale, celle de l’immatérialisme –notion définie sur un plan philosophique par Berkeley ‐ qui succède au fordisme et induira de nouveaux modes de vie et de pensée. L’immatérialisme se propage, muni d’un double visage : l’immatériel de la cognition (multiplication des contenus grâce au numérique, savoir encyclopédique) et l’immatériel de la perception (création, design, communication, branding, etc.), qui renvoie à l’idée développée par Berkeley  selon laquelle il n’est de réalités qu’à travers la manière dont les choses sont perçues. L’immatériel contemporain réunit en permanence ces deux composantes.

A propos de Pascal Morand

Professeur à ESCP Europe, directeur de l’Institut pour l’Innovation et la Compétitivité i7. Diplômé d’HEC, docteur d’Etat en sciences économiques, professeur d’économie à ESCP Europe, spécialiste de l’économie internationale et des relations entre économie et culture, il a été directeur général de l’Institut français de la mode (IFM) de 1987 à 2006 puis directeur général de ESCP Europe de 2006 à 2012. Il a conduit de nombreuses études et missions notamment pour le compte des pouvoirs publics français et européens.

verdierhenriConclusion par Henri Verdier, président du pôle de compétitivité Cap Digital (Synthèse réalisée par Zineddine Alla, Ingénieur‐Elève du Corps des Mines, Institut Mines‐Télécom)

« Je  souhaiterais partager avec vous, en conclusion de cette matinée, quelques réflexions plus axées sur l’économie et la stratégie industrielle. Je suis pourtant très heureux de la dimension sociétale de ces travaux. Il est important de percevoir à quel point une révolution industrielle est non seulement affaire de ruptures scientifiques et techniques, mais aussi de valeurs et aspirations sociales, d’ordre économique, voire même de stratégie d’organisation des institutions et des pouvoirs publics. Un seul exemple : nous ne pourrions comprendre l’Ecole  instituée par Jules Ferry,  avec cet enseignement par groupes de 30 élèves, articulé autour de matières segmentées et de professeurs spécialisés, sans comprendre l’influence du taylorisme qui émerge à cette époque.

Pourtant, et c’est le sujet que je souhaiterais aborder avec vous aujourd’hui, même dans ces transformations économiques et sociales globales, il y a des agents moteurs du changement, auxquels dont il faut comprendre les méthodes, les stratégies et les programmes.

Je souhaite donc partager avec vous une réflexion sur la célèbre proclamation de Marc Andreessen : « le logiciel dévore le monde ». Dans un article au Wall Street Journal, le célèbre entrepreneur (créateur de Netscape) et investisseur (cofondateur du fonds Andreessen‐Horowitz) prédisait que la plupart des industries traditionnelles, qui se croient protégées par la dimension matérielle de leur activité, vont être attaquées dans les dix prochaines années par des entreprises du monde numérique, et que cette lutte sera épique. Nous avons de nombreuses raisons de penser qu’il a largement raisons.

Des entreprises issues des métiers du logiciel, et fonctionnant comme des startups de le Silicon Valley, ont ainsi bouleversé en quelques années :
• l’industrie de la musique, le monde de l’édition via son industrialisation progressive ;
• le monde de la publicité, avec l’irruption de nouveaux acteurs qui s’interposent entre annonceurs et clients au sein de la chaîne de valeurs ;
• le secteur du tourisme, de manière plus émergente, via des sites comme TripAdvisor ou des start‐up comme Airn’B, qui organisent le partage de chambres de pair à pair ;
• l’industrie du transport, comme le montre l’irruption de la société Uber, dont le service de taxi haut de gamme est soutenu par une puissante approche «big data» ;
• l’énergie, avec le bouleversement des smartgrids, des réseaux intelligents et contrôlés, de la domotique et de la maison intelligente. La révolution internet du secteur de l’énergie a débuté, avec les mêmes risques de nouveaux monopoles, et peut‐être la nécessité d’invention d’une neutralité énergétique ;
• l’urbanisme, et les smart cities. Il suffit de songer que l’île de Malte a ainsi choisi, il y a six mois, la société IBM pour organiser son réseau de distribution d’eau. La pensée de la ville comme un système cohérent, intégré, fait entrer l’urbanisme dans la philosophie de l’industrie du logiciel ;
• la finance, avec le financement de startups de la Silicon Valley grâce au crowdfunding, c’est‐à‐dire une logique qui se dispense de banques et de capitaux risqueurs pour réaliser un financement direct par les citoyens. Je souligne que ce développement n’est pas sans poser de questions majeures, puisque les banques, assureurs, en mutualisant les risques, organisent d’une certaine façon la paix civile. Un monde de financement direct n’est pas forcément un monde plus pacifique et mieux organisé ;
• Mais j’aurais également pu vous parler du High Frequency trading, qui représente désormais plus de 70 % des transactions de la bourse de New‐York ;
• l’éducation, qui devient désormais un marché haut de gamme, comme le montre le projet coursera, initié par l’université de Stanford et piloté par des créateurs de startups de la Silicon Valley, qui conjugue des cours présentiels et à distance, et qui a recruté plus d’un million d’étudiants en moins de six mois à travers le monde entier ;
• le secteur de la santé, dont une partie entre dans une logique de marché grand public façonnée par  Internet ;
• la défense, avec la mise au point de drones guidés, ou avec les combattants modernes à la pointe d’un réseau de cinquante logisticiens, qui sont des sortes d’ordinateurs évoluant sur le théâtre des opérations ;
• l’art de gouverner, avec une réflexion intense autour de l’ouverture de l’administration telle une plateforme, permettant d’organiser la création ambiante de manière plus participative.

Tous ces exemples illustrent cette révolution globale en cours, qui soulève de grandes questions politiques, économiques et sociales,  traitées tout au long de cette journée. Mais ils montrent aussi le besoin de comprendre l’impact de la dimension technologique de cette révolution. Il y a tout d’abord les conséquences de la «loi de Moore», c’est‐à‐dire le fait que la puissance des ordinateurs double tous les 18 mois, et ce, depuis longtemps avant l’invention des microprocesseurs. C’est avant tout une règle d’investissement, tout comme la baisse des prix des ordinateurs, divisés par deux tous les deux ans. Mais cette évolution a des conséquences difficiles à appréhender par notre sens commun : si elle se maintient, l’explosion de puissance de l’informatique ces vingt prochaines années sera 1000 fois supérieure à celle des vingt années précédentes. Il n’y a pas si longtemps, le prix élevé et la rareté des ordinateurs déterminaient l’organisation des entreprises autour des ressources informatiques. Aujourd’hui, chacun possède deux à trois puces sur lui, probablement une dizaine avant dix ans.

La deuxième transformation est Internet en lui‐même. Non seulement le réseau humain interconnecté, mais surtout une infrastructure d’innovation disposant de caractéristiques propres : neutre, ouverte, interopérable et à contrôle par la périphérie. Personne ne peut décider de m’autoriser ou non à délivrer mon service sur internet. Une telle plateforme au service du porteur d’innovation constitue un bien très précieux, dont la préservation est fondamentale.

Il y a par ailleurs un bouleversement complet du paysage stratégique industriel. Il est ainsi possible de faire appel à une main‐d’œuvre qui sait produire pour presque rien, à l’instar de Foxconn et de son million de salariés, qui détient le quasi‐monopole de la production mondiale de l’informatique  grand public. Plus d’un milliard de smartphones sont aujourd’hui en circulation, possédant un GPS, un accéléromètre, une boussole, un écran tactile et une puissance offerte à peu d’informaticiens au cours de l’histoire. On accède à de nouvelles stratégies de financement. On peut se fonder sur le Cloud Computing qui permet aux innovateurs débutants de louer de la puissance de traitement à la demande, sans investir au préalable sur une infrastructure. Le paysage mental, technologique et stratégique  en est bouleversé.

C’est en outre une société assez différente, neuve, et qui se découvre nouvelle à ses propres yeux. Elle prend progressivement conscience de sa puissance en jouant et en expérimentant, dans une joie de découvrir cette puissance d’agir. J’observe ainsi, en France, l’arrivée de nouvelles générations d’entrepreneurs, sortant notamment des grandes écoles, qui ont réussi un incroyable travail. Elles sont mieux préparés, font preuve de davantage d’audace, possèdent une vision mondiale et une maîtrise efficace de l’anglais. Ces transformations auront des conséquences profondes au sein la société française.

Cette révolution est aussi un état d’esprit. Plusieurs travaux d’historiens ont montré à quel point il s’est passé quelque chose d’unique dans la Silicon Valley des années 60 et 70. En ce lieu de rencontre de l’industrie militaire et des mouvements hippies, a émergé ce «creative ethos», alliant créativité et efficacité managériale…
Ce mouvement prend enfin une dimension politique, comme en témoigne par exemple le discours du président Obama à la convention démocrate en 2011, qui développait les thèmes de responsabilité personnelle, d’initiative individuelle, de défi à gagner en faisant confiance à ceux qui rêvent, expérimentent, entreprennent et prennent des risques.
Il ne faut pas pour autant être dupes. Cette évolution comporte aussi des périls. L’industrie du logiciel a par exemple une capacité très forte à s’insérer dans des industries anciennes et à prendre le contrôle des chaînes de valeur. Ainsi, Amazon s’est intégré progressivement au marché en proposant des solutions logistiques ; puis a pris appui sur le data mining afin de mettre en place un moteur de recommandation possédant une connaissance quasi‐parfaite des mouvements de l’opinion : près de 50 % des livres vendus par Amazon le sont grâce à son moteur de recommandation. Des essais progressifs sont en cours pour devenir un éditeur de livres les plus rentables, et sont à l’origine d’une inquiétude croissante quant à l’éventualité d’une prise de position dominante dans l’édition.

Il s’agit aussi d’activités qui, par construction, ont une tendance forte au monopole. Ne serait‐ce que parce que tout nouveau client ajoute de la valeur au service : comme dans les télécommunications, l’utilité individuelle retirée d’un service de croît avec le nombre d’utilisateurs. Il faudra peut‐être réfléchir un jour à une reprise de pouvoir par le champ politique de certaines grandes plateformes numériques.

Enfin, le développement d’un «Soft Power» doit être pris très au sérieux. Non seulement pour la préservation des langues, mais surtout parce qu’il implique un système de valeur et une mentalité implicites, consubstantiels de cette vague. En recevant ces services globaux, nous recevons aussi des représentations politiques sur ce qu’est un contrat, la vie privée ou une société démocratique…

C’est pourquoi il faut être attentif aux stratégies des acteurs mondiaux de l’innovation et essayer de percevoir quelles seront les prochaines étapes. Il faut d’abord se rendre compte que ce mouvement attaque tous les secteurs industriels, les déconstruit et les reconstruit sans respecter leur intégration verticale. Ainsi, Google, testant sa «Google car» totalement autonome, ne prétend pas tant faire des voitures que redéfinir l’organisation de la filière automobile, en concevant un véritable système d’exploitation de la voiture…

Nous assisterons aussi, en reprenant le titre de l’ouvrage que j’ai coécrit avec Nicolas Colin, de l’avènement d’une économie de la multitude. Celui‐ci est caractérisé par la capacité des acteurs du numérique à proposer de grandes plateformes recueillant et stimulant la créativité collective. Wikipédia, la plus grande encyclopédie de l’histoire de l’humanité, a ainsi travaillé pendant dix ans avec huit salariés. Facebook, avec ses 3500 salariés, sert un milliard d’utilisateurs. Le talent, le contenu, l’intelligence et les échanges sont désormais du côté des utilisateurs.
L’avènement du Big data ensuite, qui sans aller jusqu’à l’empirisme pur, permet de construire des savoirs même en l’absence de savoirs non formalisés. Le développement d’approches de type «machine learning» est ainsi spectaculaire, à l’instar de ce programme de l’hôpital de Montréal qui permet de diagnostiquer une journée avant les pédiatres, les enfants qui auront besoin de soins intensifs. Ce champ est naturellement corrélé avec le domaine de l’intelligence artificielle : Dr Watson, testé dans les hôpitaux américains, est un ordinateur qui accompagne la visite médicale et suggère des diagnostics en interrogeant Internet en langage naturel.

J’insiste enfin sur ce «retour au réel», via l’internet des objets, qui va intégrer tous les objets physiques à nos interactions numériques entre humains, et donc développer exponentiellement le champ des relations possibles. Ce travail sur le monde physique s’intéresse en particulier au corps humain, avec par exemple la mise au point d’exosquelettes pour les personnes âgés. Je pense d’ailleurs que la biomécanique et l’interface entre le monde numérique et le corps produisent des avancées technologiques plus rapides que les biotechnologies.

Ce nouveau monde nous est promis par des innovateurs radicaux, imprégnés de la culture et des méthodes de la Silicon Valley. Nous devons les comprendre et les prendre au sérieux, faute de quoi ils feront passer des secteurs entiers de l’économie sous leur coupe…

A propos de Henri Verdier :

Entrepreneur et président du pôle de compétitivité Cap Digital. Ancien élève de l’École normale supérieure, Henri Verdier fut le directeur général de la société Odile Jacob Multimédia, développant notamment avec Georges Charpak un ensemble de supports pédagogiques pour La main à la pâte. En 2007, il rejoint Lagardère Active comme directeur chargé de l’innovation. En 2009, il rejoint l’Institut Télécom comme directeur de la prospective, en charge de la création du Think Tank « Futur numérique ». Il est cofondateur de la société MFG‐Labs. Membre fondateur du pôle de compétitivité Cap Digital, il en exerça la vice‐présidence de 2006 à 2008, avant d’en être élu président du Conseil d’administration. Il est membre des Comités de la prospective de l’ARCEP et de la CNIL et membre du think tank Futur numérique de l’Institut Mines Telecom.

Suite / Deuxième partie :  Santé – Que sait le patient ? Que sait le médecin ?

Accès à la troisième partie : La Ville – Comment la ville s’ouvre-t-elle au citoyen numérique ?

 

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