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Cette éponge en chou-fleur qui nous gouverne

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Le Forum Européen de bioéthique réunit cette semaine une centaine de spécialistes du cerveau, et des milliers de participants, avides de mieux saisir comment marche l’organe de la pensée, et l’état des recherches pour sa réparation, sa manipulation, son dopage ou sa modélisation. Enjeux capitaux pour les choix de société qui nous concernent tous.

Construire un cerveau synthétique. C’est l’horizon du projet Human Brain, lancé il y a un an par la Commission européenne comme projet phare (Flagship project) pour un coût d’1,19 milliards d’euros. Sujet majeur abordé par le quatrième Forum européen de bioéthique, consacré cette année au cerveau, et qui s’est ouvert ce lundi 27 janvier 2014 à Strasbourg.
Richard Walker, économiste à Lausanne, a présenté cette quête du « Graal pensant » dans un dialogue vif avec divers spécialistes plus ou moins confiants dans nos capacités à modéliser le cerveau : « Nous ne sommes plus dans l’idée de copier les fonctions du cerveau comme le fait l’intelligence artificielle, mais nous voulons reproduire les processus d’interactions physiologiques des neurones qui constituent l’organe de la pensée, indique Richard Walker, porte parole du projet. Aujourd’hui nous disposons d’un modèle cellulaire – dit « in silico » – sorte de circuit de 30 000 neurones qui peut évoluer par l’expérience »

Le projet Human brain poursuit deux objectifs : d’une part, il vise à fournir un outil de test des molécules à l’industrie pharmaceutique. Il est prévu de pouvoir observer sur ce « cerveau in silico » l’effet de substances candidates (en cocktail souvent) pour cerner comment elles peuvent modifier des synapses (espace d’interaction entre neurones). Cela peut permettre d’éliminer les produits inefficaces et de garder ceux qui agissent sur les bons « leviers ». Le défi ici est de trouver des moyens médicamenteux pour intervenir avant que le cerveau soit détérioré (on sait par exemple que les symptômes d’Alzheimer surviennent seulement quand la moitié des neurones du cortex ont été détruits).
D’autre part, à revoir l’approche informatique.

Prévenir les maladies, fonder une autre informatique

Le second but est d’inventer de nouvelles machines informatiques inspirées du cerveau. Car on se rend bien compte que l’approche purement logique qui mise sur la puissance de calcul ne parvient pas à répondre aux besoins pratiques comme la reconnaissance visuelle ou la traduction automatique. « Le cerveau d’un enfant de quatre ans sait très bien distinguer un chat d’un chien même si les animaux prennent toutes sortes de couleurs ou de formes différentes, souligne Richard Walker. Cette performance ne sera jamais atteinte en continuant à augmenter les puissances de calcul ; il faut inventer une autre informatique qui mime les stratégies physiologiques de traitements stochastiques et parallèles et qui inscrivent l’expérience en permanence dans le système ». L’enjeu est ici l’automatisation de tâches complexes encore inaccessibles aux machines.

Cette mobilisation scientifique et technique est aussi sociale, tant les incidences pour nos sociétés sont conséquentes. En effet, on peut s’interroger sur ce soutien public massif à l’industrie pharmaceutique qui n’abonde aucunement l’effort financier de recherche. On peut aussi s’interroger sur notre besoin de poursuivre le mouvement de remplacement généralisé des humains par des automates….

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Le volet « Ethique et société » du programme est sensé prendre en charge ces questions avec, notamment au Danemark, la mobilisation du spécialiste du dialogue sociétal Lars Klûver du Bureau danois des technologies. On s’étonne toutefois que l’exercice soit confié en France au neurobiologiste Jean Pierre Changeux, qui ne dispose d’aucun organe de dialogue avec la société civile. « Ce Forum européen de Strasbourg est justement une opportunité pour aborder ces préoccupations », argumente Richard Walker.

Il n’a pas tort tant ce Forum fait salle comble et passionne encore et toujours depuis quatre ans qu’il se tient, chaque année, sur des thèmes brûlants d’actualité (fin de vie et vieillissement ; procréation : la famille en chantier ; le corps humain en pièces détachées). Et les fondateurs, le Professeur Israël Nisand et Nadia Aubin ont à cœur de faire vivre à la fois les controverses et l’écoute, pour « saisir la portée morale et philosophique des nouvelles techniques biomédicales » Et les expériences artistiques (théâtre, musique, danse, cinéma…) y ont toute leur place pour leur portée symbolique et poétique, indispensable à la médiation.

En intitulant le quatrième Forum européen de bioéthique (jusqu’au 1er février) « Connaître le cerveau, maîtriser les comportements », les organisateurs ont voulu embrasser large. On passe de tables rondes ciblées sur les outils de manipulation du cerveau, à des rendez-vous centrés sur « la psyché qui rend malade », « crimes et responsabilité », « démences et déclin ». Il n’est pas question ici de considérer la boule de viande cérébrale, cette « éponge en chou-fleur », hors culture, hors histoire. Ainsi, l’on n’a pas peur de confronter la question « comment guérir par l’esprit ?» et de faire interagir des théologiens, des médecins et des défenseurs de « thérapies laïques » comme Jean-Gérard Bloch qui enseigne la réduction du stress par la « pleine conscience ». Ce dernier anime depuis quatre ans des programmes de gestion du stress par la méditation de la pleine conscience au sein de l’IFPCM (Institut Français Pleine Conscience-Mindfulness) pour tout public et au sein des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg au service de rhumatologie pour les patients et les soignants.

Les neurosciences, cette machine à innocenter…

Le Forum témoigne ainsi que l’on sort enfin des oppositions stériles – sur fond de conflit entre psychiatres et psychanalystes – qui ont absorbé les énergies depuis plus de cinquante ans. « Il y a une aberration à opposer psychique et somatique », insiste le psychiatre et psychanalyste Gérard Pommier qui participe au Forum. Nous constatons tous qu’il y a des traces somatiques en nous qui sont liées à notre psychisme et à notre culture. Le langage pré-éxiste au cerveau. Regardez : un bébé n’apprend pas à parler tout seul ! De même l’amour n’est pas le fruit des hormones, c’est une alchimie culturelle entre le masculin et le féminin ». Avec son livre « Comment les neurosciences démontre la psychanalyse » (Flammarion, 2004), Gérard Pommier a montré comment les neurosciences sont une machine à innocenter, à inventer des causalités. « Le moteur des visions déterministes c’est la culpabilité, affirme-t-il. Pourtant aucun support organique des maladies mentales n’a jamais été trouvé, comme le concède l’Association psychiatrique américaine ». Et Gérard Pommier de conclure : « Ce besoin d’éviter les responsabilités, couplé à la logique économique des grands laboratoires aboutit à des croisades comme celle du classement des maladies mentales qu’on appelle DSM ».

L’association psychiatrique américaine est ainsi en train de mettre en place la cinquième mouture ou « DSM5 » qui fait entrer dans le domaine pathologique des états de fragilité passagère et normale (deuil par exemple) et va produire une inflation diagnostique. Sujet qui fait bondir Gérard Pommier, qui soutient l’initiative Stop DSM et son manifeste publié en 2011, qui fait écho au barrage initié aux Etats Unis par l’association américaine de psychologie (13 500 signatures). L’enjeu est la médicalisation croissante des problèmes sociaux. Car le « DSM5 » prévoit des catégories prédictives recensant à l’avance de supposés troubles futurs. Le « syndrome de risque psychotique » par exemple devrait permettre de mettre sous anti-hallucinatoires bon nombre d’adolescents jugés « originaux », pour le plus grand bonheur …des industries pharmaceutiques.

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