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santé publique

Retrouver le sommeil, une affaire publique

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Nous avons tous besoin d’une quantité incompressible de sommeil de bonne qualité, en deçà de laquelle la santé et les capacités de travail ou d’apprentissage sont mises en cause. Or les conditions d’un bon sommeil sont largement conditionnées par l’environnement physique, culturel et social. Un rapport publié par Terra Nova en 2016 explore le sommeil sous tous ses aspects : la santé publique et la sécurité (consommations de médicaments, sécurité routière), le travail de nuit, le sommeil des enfants et des adolescents, mais aussi les effets du bruit et de la pollution lumineuse, ou encore les inégalités sociales produites ou révélées par le sommeil. Sept axes de propositions, assorties de recommandations concrètes, répondent au diagnostic formulé dans ce rapport.
 
Comme tant d’autres sujets de société, le sommeil est ordinairement tenu pour anecdotique, relevant de l’intime, des petits plaisirs ou désagréments de la sphère privée. Dans nos sociétés performantes, chacun est, explicitement ou tacitement, invité à faire de son sommeil une variable d’ajustement, quand bien même un « droit au repos » est légalement reconnu aux travailleurs. C’est que l’injonction à la performance a largement débordé la sphère professionnelle pour gagner l’ensemble des activités personnelles (formation, santé, vie familiale, loisirs, développement personnel, engagements associatifs ou politiques). Notre capacité de concentration est sollicitée comme jamais, à tout instant de la journée, par ce qu’on a appelé une « économie de l’attention » qui tire son profit de la réactivité et de l’audience mesurées et tarifées. Les loisirs numériques, la compétition internationale des mégapoles, les réseaux sociaux, la privatisation de l’espace public concourent à faire du sommeil l’ultime frontière à repousser pour parvenir, au nom de la modernité et de la liberté individuelle, à une société fonctionnant à pleine puissance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
 
La politique et la médecine semblent pour l’instant ne faire qu’accompagner ou même favoriser le processus : de nombreux élus locaux ou nationaux se donnent comme programme inéluctable l’effacement de la différence jour/nuit dans les principaux services publics, tandis que les laboratoires comme les médecins offrent aux patients souffrant de troubles un sommeil et une veille artificiels, à force de somnifères ou de stimulants coûteux et délétères.
 
Pour les auteurs de ce rapport, il importe de rappeler que le sommeil n’est pas un besoin à mettre sur le même plan que d’autres désirs façonnés par les circonstances. L’enfant, l’adolescent, le travailleur en horaires décalés, mais aussi toute personne sur le long terme, a besoin d’une quantité incompressible de sommeil de bonne qualité, en deçà de laquelle la santé et les capacités de travail ou d’apprentissage sont mises en cause. Dans de nombreux pays ou grandes villes, le coût associé aux troubles du sommeil peut se chiffrer en milliards d’euros, car qui dit troubles du sommeil dit également troubles de la vigilance et de l’éveil, impliquant risques industriels, accidents du travail ou de la route, inégalités sociales accrues, risques sanitaires.
 
Si la décision de dormir est éminemment personnelle, les conditions d’un bon sommeil sont largement conditionnées par l’environnement physique, culturel et social. Promouvoir des mesures afin de protéger le sommeil, ce n’est pas opposer la passivité à l’activité, la pureté de la nuit à l’impureté du jour, c’est surtout protéger la qualité de présence de chacun dans la société, le respect que chacun porte à autrui, la capacité à se réaliser soi-même, une forme d’égalité devant un besoin physiologique essentiel, et, au-delà d’une écologie du bien-être, le respect des équilibres écologiques fondamentaux sur notre planète.
 
Terra Nova propose de mieux tenir compte des rythmes biologiques des enfants et écoliers en accordant plus de place au repos ; d’offrir aux personnels de santé une véritable formation aux troubles du sommeil ; de communiquer largement auprès du grand public sur l’enjeu de santé public que représente le sommeil ; de limiter l’impact du bruit et de la lumière sur le sommeil de millions de Français, notamment les plus défavorisés ; de faire du respect du sommeil et de l’anticipation des risques de fatigue un élément clé du bien-être et de l’efficacité au travail ; d’accroître l’information et la prévention concernant la somnolence au volant.
Le sommeil est l’une des rares expériences qui nous restent où, sciemment ou non, nous nous abandonnons nous-mêmes au soin d’autrui. Aussi solitaire et privé que ce phénomène puisse paraître, le sommeil n’a pas encore pu être détaché de tout un entrelacs interhumain de soutien et de confiance mutuels, et ceci nonobstant l’état de détérioration dans lequel ces liens se trouvent. Le sommeil permet aussi une sorte de relâchement périodique de l’individuation – un démêlage nocturne de l’enchevêtrement, tissé à mailles plutôt lâches, des subjectivités superficielles que l’on habite et que l’on gère durant la journée. Dans la dépersonnalisation du sommeil se logent un monde en commun, un geste partagé de retrait hors de la calamiteuse nullité et des gaspillages d’une pratique continue 24/7. Le sommeil a beau être par bien des aspects inexploitable et inassimilable, il est cependant loin de former une enclave hors de l’ordre global existant. Si le sommeil a toujours été poreux, empreint des émanations de l’activité éveillée, il est moins protégé que jamais contre les assauts qui le minent et le fragilisent. En dépit des dégradations qu’il subit, le sommeil correspond à la réapparition d’une attente, d’une pause dans nos vies. (…) Le sommeil est une rémission, une relaxe hors de la « continuité constante » des liens qui nous enserrent à l’état éveillé. »
Jonathan Crary, Historien –  « Le capitalisme à l’assaut du sommeil », La Découverte, 2014.
 

Ecouter l’émission La Méthode scientifique de France Culture « A la recherche du sommeil perdu » : Comment marche le sommeil ? Les troubles du sommeil sont-ils un enjeu de santé publique ? Avec Isabelle Arnuff, neurologue, directrice de l’unité des pathologies du sommeil de l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière, elle a publié notamment « Une fenêtre sur les rêves : neurologie et pathologies du sommeil » chez Odile Jacob et Claude Gronfier, neurobiologiste à l’Unité INSERM 846 à Bron et vice-président de la société francophone de chronobiologie. 

 

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