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Comment développer au mieux le marché du livre numérique ?

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Les acteurs de la chaîne du livre à l’ère du numérique  : pour identifier les moyens de développer en France le livre numérique en préservant la chaîne de valeur du livre et la diversité éditoriale de l’édition française, le Centre d’analyse stratégique a réalisé en partenariat avec le Centre national du livre une série de 3 notes d’analyse accompagnées de propositions, centrées chacune sur l’un des acteurs de la chaîne du livre : les auteurs et les éditeurs (I), les librairies (II), les bibliothèques publiques (III). En voici le contenu.

I – Les auteurs et les éditeurs – Comment développer au mieux le marché du livre numérique ?

La progression du marché français semble tributaire de trois principaux facteurs : des liseuses offrant interopérabilité et bon rapport qualité-prix, une offre numérique large et enrichie, un prix des ouvrages suffisamment attractif pour les lecteurs et rémunérateur pour les acteurs de la chaîne du livre.

Assurer l’interopérabilité des supports de lecture

Pendant longtemps le prix élevé et la qualité médiocre des liseuses et des tablettes numériques limitaient de fait l’essor du marché. Cependant, l’offre de supports de lecture électroniques s’est développée ces trois dernières années, ce qui se traduit par des ventes record lors du dernier semestre 2011.

Les différents modèles de livre numérique se sont développés en intégrant des formats de fichier qui ne sont pas disponibles sur toutes les plates-formes de vente en ligne. Ainsi, il n’est pas possible pour un possesseur de Kindle d’acheter des titres en format ePub. Un possesseur de Kobo ne pourra pas non plus acquérir des titres par le biais de la librairie en ligne d’Amazon. Seuls les ouvrages libres de droits, c’est-à-dire publiés 70 ans au moins après la mort de l’auteur, peuvent être téléchargés depuis n’importe quelle plate-forme vers l’ensemble des modèles de liseuses et tablettes.

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Cette obligation de rester tributaire d’une plate-forme spécifique semble à l’évidence contraire à l’exercice d’une libre concurrence. Faute d’un libre transfert d’une tablette à l’autre, il est de surcroît impossible de donner ou de prêter l’un de ses ouvrages au format numérique. Ces pratiques sont pourtant courantes et très appréciées des lecteurs qui cultivent par ce moyen une réelle sociabilité autour du livre.

L’interopérabilité entre les différents formats de livres numériques est l’une des principales revendications de la Fédération des éditeurs européens qui regroupe le Syndicat national de l’édition et l’ensemble de ses homologues européens.

Proposition 1 : Réunir éditeurs et distributeurs de livres numériques afin de créer une réelle interopérabilité des fichiers entre les différents modèles de tablettes et de liseuses.

reunirFixer une juste décote des livres numériques :  le prix est évidemment un critère essentiel pour inciter les lecteurs à acheter des livres numériques. L’essor du marché américain repose pour une large part sur l’attractivité de l’offre proposée par Amazon avec des fichiers vendus 9,90 dollars pour des œuvres qui coûtent 20 ou 25 dollars en version papier. En l’état actuel des choses, une politique commerciale aussi agressive ne peut avoir d’équivalent en France : la loi du 26 mai 2011 sur le prix unique du livre numérique impose à l’éditeur, comme pour le livre papier, de fixer pour chaque livre un prix de vente public, que tous les revendeurs doivent respecter, sans possibilité d’offrir une remise qui, si elle était adoptée par certains acteurs du web, pourrait être assimilée à une pratique de dumping. Les lecteurs n’en attendent pas moins une réelle décote de la version numérique d’un livre par rapport à sa version papier. Plusieurs études d’opinion révèlent que le prix attendu pour la version numérique d’un livre est de 40 % moins cher, ce que confirme un récent rapport remis au ministère de la Culture.

Or,  la plupart des livres numériques disponibles sur le marché français ont un prix de vente inférieur de « seulement » 20 % à 35 % par rapport à leur équivalent papier. Pour inciter les éditeurs à pratiquer des prix plus attractifs, tout en empêchant le lancement d’une spirale illimitée à la baisse, il peut être envisagé, comme le suggère la présidente-directrice générale de Flammarion, Teresa Cremisi, de limiter la décôte du livre numérique. Le prix plancher permettrait non seulement d’enrayer les risques de dévalorisation du secteur de l’édition mais également de préserver le marché du livre de poche qui occupe une place essentielle dans l’économie du livre. En effet, si, en théorie, la production d’un livre numérique représente une économie par rapport au livre traditionnel (les frais d’impression, de papier, de stockage et d’expé- dition sont supprimés, ce qui représente une économie d’environ 30 % des coûts), le coût de développement d’un livre numérique ne saurait pour autant être négligé.

Même dans le cas d’une déclinaison homothétique de la version papier, l’éditeur doit a minima réaliser plusieurs opérations : convertir le fichier du texte aux différents formats existants, structurer les données (pose de liens pour les tables des matières, appels de notes, etc.), relire, corriger et contrôler pour s’assurer de la conformité du fichier de sortie avec le texte original. Les fichiers sont par ailleurs dotés d’une sécurisation numérique (DRM) defaçon à limiter leur duplication.

Si ces opérations ont un coût assez limité pour des romans, elles entraînent des frais de développement nettement plus onéreux dans le cas des ouvrages illustrés (guides pratiques, livres d’art, guides touristiques) ou nécessitant de nombreux liens hypertextes. Dans le cas des livres « enrichis », les coûts de développement sont d’une tout autre ampleur : de 10 000 euros pour un livre jeunesse sous la forme d’une application assez simple à plus de 100 000 euros pour les projets les plus ambitieux, comme L’Herbier des fées.

Les éditeurs sont réticents à l’idée de baisser davantage les prix que la décote actuelle de 20 % à 35 %. Au-delà des « coûts cachés » précédemment évoqués, le risque est de voir apparaître une spirale à la baisse dans le marché du livre, créant chez les lecteurs des habitudes de consommation de livres à bas prix qui auraient des effets redoutables pour la rentabilité du secteur. Il s’agit donc de parvenir à un prix suffisamment attractif pour le lectorat, sans déprécier le travail des acteurs de la chaîne du livre.

Proposition 2 : Lancer une concertation avec les éditeurs en vue de fixer un taux limite de remise sur l’édition numérique d’un livre par rapport à son édition papier.

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marteauDiversifier, faciliter l’accès et sécuriser l’offre numérique :  En dépit des craintes que nourrit la perspective d’une dématérialisation du livre, les éditeurs sont désormais conscients de la nécessité de développer leur offre numérique.

– Une offre encore insuffisante :  L’offre numérique ne représente environ qu’un cinquième des nouvelles parutions et un tiers environ des best-sellers. Si le groupe Éditis a choisi de publier simultanément toutes ses nouveautés en versions imprimée et numérique, telle n’est pas la stratégie choisie par tous les autres éditeurs. Aussi, les 50 000 références disponibles sur Fnac.com restent encore loin du million de titres dont dispose l’américain Amazon. L’offre commerciale de titres numériques va pouvoir être étendue grâce à la loi du 1er mars 2012, qui permettra de commercialiser en version numérisée les ouvrages épuisés du XXe siècle qui ne sont plus vendus en version imprimée et ne sont pas encore tombés dans le domaine public. Environ 500 000 titres sont concernés : publiés  avant 2000, ils sont aujourd’hui introuvables en librairie et ne sont plus réimprimés par leur éditeur. En vertu de cette loi, les « indisponibles » pourront être numérisés et commercialisés ; les droits d’auteur correspondants feront l’objet d’une gestion collective avec un reversement des royalties à parité entre les auteurs et les éditeurs. La Bibliothèque nationale de France, du fait de sa politique de numérisation, sera évidemment l’acteur essentiel de cette mesure innovante dans le monde, permettant à la France de maîtriser son patrimoine éditorial, de lui redonner vie et d’en tirer profit elle-même.

Néanmoins, un tel marché, pour être abondant en volume, n’offre pas de perspectives commerciales considérables : rares sont les lecteurs à plébisciter les livres épuisés. La perspective d’une concurrence nouvelle vient des acteurs de la distribution en ligne. Amazon, déjà leader dans la diffusion des livres numériques via sa liseuse Kindle, est devenu à l’automne 2011 un éditeur de littérature générale, de thrillers et de science-fiction. Simultanément diffuseur, distributeur, éditeur et propriétaire d’une solution technologique qui domine très largement le marché des liseuses, Amazon bénéficie d’une force de frappe commerciale redoutable, grâce à laquelle sa branche édition pourrait bien offrir aux auteurs des conditions de rémunération nettement plus attrayantes que les éditeurs traditionnels. Tout en se défendant d’avoir des projets d’activité éditoriale dans le livre numérique, Facebook a pour sa part racheté en août 2011 Push Pop Press, société spécialisée dans le livre interactif pour iPod touch, iPad et iPhone.

Cette offre numérique est aujourd’hui très largement présente dans le cas des ouvrages soumis à de fréquentes remises à jour. Les éditions techniques, scientifiques, médicales ou encore juridiques ont ainsi commencé leur migration vers le numérique dès le début des années 2000. Aujourd’hui les productions papier y sont devenues marginales ; 90 % du chiffre d’affaires de ces secteurs de l’édition proviennent de la vente de contenus dématérialisés. Le cas de Reed Elsevier annonce peut-être des évolutions similaires chez les autres éditeurs scientifiques ou juridiques. Pour ce poids lourd de l’édition (deuxième groupe européen), il ne s’agit plus en effet de vendre des ouvrages, fussent-ils au format numérique, avec une construction linéaire, mais de proposer de véritables contenus sur mesure à partir de la masse des ouvrages numérisés et indexés avec précision. Le chercheur n’achète donc plus ici des ouvrages qu’il va consulter, mais des études personnalisées, réalisées grâce à de puissants logiciels.

L’essor des tablettes et des liseuses change bien évidemment la donne. Les éditeurs ont désormais conscience d’une prochaine transformation des habitudes de lecture produite par l’arrivée en masse de ces appareils dans les foyers. Ils se doivent donc aujourd’hui de prendre place sur ce marché.

bandedessinee– Le risque de piratage :  Si la demande devait croître plus vite que l’offre, il est évident que le piratage serait indirectement favorisé, comme cela a été le cas pour l’offre de musique en ligne. Quand le lecteur ne peut trouver légalement l’ouvrage de son choix en version numérique, il peut être tenté par le téléchargement illégal. L’exemple le plus emblématique de mise en ligne illégale, échappant à l’éditeur et à l’auteur, a été La Carte et le territoire de Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010, parce que le livre n’était pas disponible en version numérique à sa sortie. La bande dessinée est aujourd’hui la cible privilégiée des pirates. Selon une étude publiée par le MOTif,  environ 40 000 titres sont aujourd’hui piratés avec 8 000 à 10 000 titres accessibles au téléchargement illégal. Sur un panel constitué de 50 titres de bande dessinée parmi les plus vendus en 2011, il s’avère que 58 % d’entre eux ne sont pas disponibles en offre légale numérique sur l’une des trois principales plates-formes de distribution.

– La fragmentation de la distribution : Un autre élément préjudiciable à l’essor du livre numérique en France est celui d’une distribution éclatée. Alors que les États-Unis bénéficient d’une plate-forme de distribution unique pour les livre numériques, la France ne compte pas moins de trois grandes plates-formes : Numilog (Hachette), Eden (La Martinière-Le Seuil, Flammarion, Gallimard) et E-Plateforme (Interforum Éditis), auxquelles sont venus s’ajouter des acteurs de taille plus modeste : Immateriel, i-Kiosque… Or, pour intégrer le catalogue de chaque plate-forme, les revendeurs de livres numériques doivent payer un abonnement élevé ; la tentation est donc de se tourner vers un seul grand acteur, quitte à se priver d’une offre exhaustive.

À côté de ces plates-formes, certains éditeurs ont choisi de vendre directement sur leur site leurs ouvrages au format numérique aux côtés des livres papier. C’est le cas des éditions Eyrolles, de L’Harmattan ou encore de Harlequin, le spécialiste des romans sentimentaux. L’initiative du libraire en ligne Decitre pourrait faire évoluer cette situation. Prévue pour être lancée le 4 avril 2012, The Ebook Alternative (TEA) sera une plate-forme de distribution de livres open source, c’est-à-dire qui ne favorise aucun format propriétaire. TEA a déjà signé un accord avec plusieurs éditeurs dont Gallimard, La Martinière et le groupe Éditis. Cette nouvelle plate-forme pourrait être en mesure de centraliser tout ou partie de la distribution du livre numérique, si elle suscite suffisamment d’attrait auprès de l’ensemble des éditeurs.

La solution pour remédier à la fragmentation de l’offre de livres numériques sera en tout état de cause de constituer à terme une plate-forme unique de distribution.

Proposition 3 : Réunir les acteurs de l’édition et de la distribution du livre pour aboutir à un regroupement de la distribution française du livre numérique autour d’une plate-forme unique.

Proposition 4 : Former un groupe d’enseignants et d’inspecteurs de l’Éducation nationale experts sur le manuel scolaire numérique afin d’orienter les éditeurs vers les dispositifs les plus prometteurs en termes d’apprentissage.

Proposition 5 : Prévoir une annexe dans le contrat d’édition détaillant clairement toutes les dispositions relatives à l’exploitation numérique de l’œuvre cédée. Dans le cas du livre enrichi, prévoir un contrat séparé.

(Sources : Thomas Loncle, avocat au barreau de Paris ; Sarah Sauneron, département Questions sociales ; Françoise Vielliard, département Développement durable et Julien Winock, service Veille et Prospective)

 

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