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Sébastien Castelltort

Dérèglement climatique : l’inquiétante leçon du passé

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Les conséquences du dérèglement climatique pourraient être bien plus importantes que les prévisions actuelles des climatologues. C’est ce qu’affirment des chercheurs de l’Université de Genève. Ils sont remontés dans le lointain passé pour tirer les enseignements d’un réchauffement qui s’est produit il y 56 millions d’années. Contrairement au dérèglement actuel qui se produit à vitesse accélérée, ce réchauffement s’est produit sur plusieurs milliers d’années. Il a néanmoins produit des conséquences qui défient l’entendement des scientifiques. Des leçons du passé à méditer.
 
Il y a 56 millions d’années, la Terre a connu un réchauffement climatique exceptionnel. En un temps très court à l’échelle géologique, 10 à 20 000 ans à peine, la température moyenne a augmenté de 5 à 8 degrés, ne retrouvant son niveau d’origine que quelques centaines de milliers d’années plus tard. En s’appuyant sur l’analyse de sédiments sur le versant sud des Pyrénées, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont mené une étude pour mesurer l’impact de ce réchauffement sur les crues des rivières et sur les paysages qui les entouraient alors : des crues dont l’amplitude est multipliée par huit – et parfois même par un facteur 14 -, ou encore une végétation qui disparaît au profit d’un décor de galets. Leurs conclusions inquiétantes, à lire dans Scientific Reports, montrent que les conséquences de ce phénomène ont été bien plus importantes que ne le prévoient les modèles utilisés aujourd’hui par les climatologues.
 
« La méthode qui nous a permis d’analyser ce réchauffement est directement inspirée de la biologie, qui étudie la réponse des cellules à des stimuli extérieurs », explique Sébastien Castelltort, professeur au Département des sciences de la terre de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et leader de l’étude, en collaboration avec des chercheurs des universités de Lausanne, Utrecht, Western Washington et Austin. « On s’intéresse à la façon dont un système, dans notre cas le système hydrique à travers le comportement des rivières, réagit à un signal extérieur, ici le réchauffement climatique.» Baptisé Earth Surface Signaling System et soutenu par le Fonds National Suisse (FNS), ce projet s’est concentré sur un cas climatique extrême, bien connu des scientifiques : un réchauffement de 5 à 8 degrés intervenu voici 56 millions d’années entre le Paléocène et l’Éocène, connu sous l’acronyme anglais de PETM (Palaeocene-Eocene Thermal Maximum).
 

Des palmiers au pôle Nord

Dès les années 70, les scientifiques ont observé une forte anomalie du rapport entre les isotopes stables du carbone (δ13C), due à l’augmentation relative de la proportion de l’isotope léger (12C) par rapport à l’isotope lourd (13C), et traduisant un bouleversement du cycle du carbone, tant dans les océans que sur les continents, associé à un réchauffement global aux conséquences spectaculaires. Il y avait des palmiers au pôle Nord et certaines espèces de plancton marin, comme le dinoflagellé Apectodinium, normalement restreintes aux eaux tropicales se sont soudainement répandues sur toute la surface du globe. Les géologues utilisent ce type d’observations comme de véritables « paléothermomètres » qui témoignent dans ce cas d’une élévation de la température des eaux de surface ayant atteint presque 36 degrés par endroits, une température létale pour de nombreux organismes. Plusieurs causes sont avancées, de l’activité volcanique intense à cette période à la déstabilisation des hydrates de méthane, ces « glaçons » de méthane stables sous certaines conditions de pression et de température, qui en dégazant auraient libéré leur gaz à effet de serre.
 
Mais si l’événement est connu et ses causes explorées, qu’en est-il de ses conséquences ? « La question est importante car il y a une analogie évidente avec le réchauffement actuel et des leçons à tirer de cet événement, d’autant que la hausse des températures à laquelle on assiste aujourd’hui est beaucoup plus rapide », souligne Sébastien Castelltort.
 

Retracer l’histoire des rivières grâce aux galets

On trouve dans les Pyrénées espagnoles des sédiments qui permettent d’observer les anciens chenaux de rivières et d’en connaître la largeur. Dans le cadre du projet de thèse de Chen Chen, doctorant à la Faculté des sciences de l’UNIGE, la taille des galets qu’elles charriaient a fait l’objet de plusieurs milliers de mesures effectuées sur le terrain. Pas à pas, grâce à la relation directe qui existe entre la taille des galets et la pente des rivières, les chercheurs ont ainsi pu en calculer la profondeur et le débit. C’est donc toute l’histoire de ces rivières qui apparait, et celle des changements spectaculaires qui les ont affectées.
 
Il y a 56 millions d’années, les Pyrénées sont en cours de formation et leur piémont est parcouru de petits chenaux isolés dans une plaine d’inondation où ils déposent des alluvions très fertiles, favorisant le développement de la végétation dont les racines vont ancrer le terrain. Parvenues au pied des montagnes, ces petites rivières s’orientent ensuite vers l’ouest pour se jeter dans l’Atlantique qui n’était alors qu’à une trentaine de kilomètres de la zone d’étude.
 

Une transformation complète du paysage

« Avec le réchauffement, le paysage se transforme complètement. Les crues exceptionnelles, qui ne se produisent que tous les 2 à 3 ans et dont nous avons pu mesurer le débit, sont jusqu’à 14 fois plus importantes qu’auparavant », explique Sébastien Castelltort. Les rivières changent constamment de cours, ne s’adaptent plus à la hausse du débit en creusant leur lit mais s’élargissent, parfois de façon spectaculaire : les différents cours d’eau observés passent ainsi parfois de 15 mètres à 160 mètres de largeur. Au lieu d’être piégés dans les plaines d’inondation, les alluvions sont emportés vers l’océan, et avec eux la végétation. On ne trouve plus que des étendues de graviers, traversées par des rivières torrentielles.
 

Des risques bien plus importants qu’attendus

Les scientifiques ignorent encore comment le régime des précipitations a évolué, mais savent que ce réchauffement a entraîné des crues plus intenses et une plus forte saisonnalité, avec des étés plus chauds. L’évaporation plus importante a entraîné une hausse des précipitations dans une proportion inattendue. Un degré d’élévation de la température implique une hausse de 7% de la capacité de rétention de l’humidité dans l’air, et c’est ce rapport qui est généralement utilisé pour évaluer l’augmentation des précipitations. « Mais notre étude montre qu’il y a des seuils, des évolutions non linéaires qui vont au-delà de ce rapport. Avec un rapport de 14 pour l’amplitude des crues, on est face à des effets qu’on ne comprend pas, qui s’expliquent peut-être par des facteurs locaux, mais aussi par des effets qui ne sont pas encore incorporés dans les modèles climatiques actuels. Notre étude prouve que les risques associés au réchauffement climatique sont plus importants qu’on ne le pense généralement », conclut Sébastien Castelltort.
 
Source : UNIGE
 
Image d’en-tête : Sébastien Castelltort face à la falaise du conglomérat Eocene Cis, près de Roda de Isabena, Espagne
 

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