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justice climatique

Face à l’inertie climatique les citoyens attaquent les États

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Cette COP24 qui s’est achevée ce 15 décembre a démontré l’inertie si ce n’est l’incurie, voire même le sabotage des États face aux dérèglements climatiques. Une COP a minima alors que les enjeux tournent à l’urgence. Face à cette défection, de nombreuses initiatives menées par des citoyens, des élus ou des ONG se multiplient. Elles prennent un jour nouveau en recourant à l’arme judiciaire. De plus en plus souvent, des États – dont la France – sont assignés devant les tribunaux pour répondre de leur désertion dans la bataille du climat.
 
Bien tristounette cette COP24 de Katowice en Pologne, bien loin de l’enthousiasme et de la mobilisation que l’on avait vue à Paris. Pourtant l’enjeu semblait simple sur le papier : produire un « règlement » précisant les modalités de la mise en œuvre de l’Accord de Paris. A l’arrivée, un accord a minima, obtenu de haute lutte par des dirigeants démotivés, divisés, quand ils n’étaient pas tout simplement absents. Le contexte poussait pourtant à l’action : le dernier rapport du GIEC est une alerte en forme de bombe explosive : nous n’avons que deux ans et demi pour renverser la vapeur. Au-delà, plus rien ne pourra être maîtrisé et le climat s’emballera sans possibilité d’en modifier la trajectoire cataclysmique. Pour éviter le pire, et rester sous la barre fatidique des 1.5°C, il faudrait d’ici 2030 diminuer de moitié nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2010.

LIRE DANS UP : COP24 : La pression des scientifiques

Désertion des États

Or les contributions nationales des États amènent plutôt la planète vers 3°C à la fin du siècle et davantage par la suite. Et encore faudrait-il que ces contributions soient mises en œuvre. Or, pour l’instant, les pays du G20 sont sur la voie de remplir leurs engagements pour 2030. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont d’ailleurs reparties à la hausse, comme le constate le dernier Emissions Gap Report. Ce rapport conclut que l’écart se creuse et que si les ambitions des contributions nationales ne sont pas revues à la hausse pour 2030, il deviendra impossible de respecter l’objectif de 1,5°C.
 
La COP24 devait évaluer les efforts déployés au niveau mondial pour atteindre l’objectif d’atténuation sur le long terme énoncé dans l’Accord, et « éclairer » les prochaines contributions déterminées au niveau national des Parties à la lumière du rapport du GIEC. Le débat a vite tourné au pugilat et des États s’en sont pris au GIEC pour justifier leur opposition. Il est plus simple d’accuser le thermomètre plutôt que de soigner la fièvre. L’Arabie saoudite et le Koweït, promptement rejoints par les USA de Donald Trump et la Russie de Poutine se sont ligués pour refuser de soutenir une motion saluant le rapport du GIEC. Un psychodrame qui en dit long sur le négationnisme climatique affiché d’États plus prompts à soutenir leur économie fossile qu’à protéger leurs futures générations.
 
L’Europe ne s’est pas montrée tellement plus exemplaire. Du fait de ses divisions internes, elle n’est pas parvenue à se mettre d’accord sur le niveau d’ambition de sa contribution au réchauffement. « La COP 24 a donné le triste spectacle d’une incompréhension entre des pays qui défendent leurs intérêts économiques et industriels, et des pays vulnérables qui jouent leur survie. Au final, ce sont les peuples qui sont abandonnés », regrette Clément Sénéchal, chargé de la campagne climat pour Greenpeace France.
 
Quant à la France, elle brillait par son absence. Ni Emmanuel Macron, ni Edouard Philippe n’ont jugé utile de se déplacer pour l’ouverture des négociations, lors de la journée réservée aux chefs d’État. François de Rugy n’a, lui non plus, pas daigné se déplacer en seconde semaine, lors des négociations politiques, laissant la place à Brune Poirson, qui elle-même est repartie quatre jours avant la fin des discussions. Dans un communiqué, l’ONG Greenpeace fustige l‘attitude de la France : « L’enjeu climatique semble complètement dépriorisé par ce gouvernement, qui a déserté l’arène internationale. Malgré ses beaux discours et ses slogans faciles, Emmanuel Macron préfère dérouler le tapis rouge au secteur privé lors de One Planet Summit non-contraignants ».
 
Pour Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, aucune décision de la COP ne fait formellement obligation aux États de relever le niveau d’ambition de leurs contributions. « Or, en pratique, c’est l’attentisme qui domine » écrit-elle. Une cinquantaine de pays (incluant la France, le Canada, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne ou la Norvège) disent explorer la possibilité de réviser leur contribution, mais seules les Iles Marshall ont officiellement transmis une contribution révisée plus ambitieuse.
 

Climatoscepticisme autoritaire

Cette COP24 a été le révélateur de l’axe climatosceptique à tendance autoritaire qui traverse le globe. On en connait les figures principales. Donald Trump semble en être l’archétype ; ses discours répétés sur le déni de la moindre preuve scientifique du réchauffement climatique sont devenus sa marque de fabrique. Pour lui, accepter le message scientifique sur le climat signifierait abandonner le principe de base de la modernité américaine : le progrès à tous crins. Dans sa logique teintée d’autoritarisme post-moderne, la relance du charbon et le développement sans entrave des industries fossiles deviennent des combats contre tous ceux qui à travers le monde colportent le « canular » du changement climatique.
 
Dans son orbite, le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro veut s’affranchir de l’Accord de Paris et mène une politique autoritaire pour développer son économie à coup de charbon et de déforestation. En Australie, les climatosceptiques gagnent du terrain au parlement, tout comme en Europe où le gouvernement polonais aux penchants autoritaires s’arcboute sur ses mines de charbon de Silésie. On retrouve les mêmes tonalités en Allemagne où l’AFD, parti nationaliste et climatosceptique décomplexé soutient les industries fossiles. En Grande-Bretagne, les partisans du Brexit dur comme Boris Johnson ou Nigel Farage affirment haut et fort leur déni du réchauffement climatique.
L’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz ajoute dans une chronique publiée par Libération que « Dans nombre de ces pays passés aux mains d’une droite dure et charbonnée, le soutien aux industries polluantes se double souvent de violence envers les défenseurs de l’environnement. »
 

Ripostes citoyennes

Face à la désertion des États, coincés entre leurs contraintes économiques, la pression des lobbies industriels, leur absence d’ambition à moyen terme et leur tentation d’un négationnisme climatique autoritaire, la riposte citoyenne se met en ordre de bataille. À l’échelle de la planète, depuis deux ou trois ans, on voit émerger une mobilisation citoyenne plus forte en faveur du climat.

LIRE DANS UP : COP 24 non officielle : le lobbying citoyen contre l’inertie des gouvernements

L’État français va ainsi faire l’objet d’un recours en justice pour action insuffisante contre le réchauffement climatique, ont annoncé plusieurs ONG plaignantes, qui ont adressé lundi un document préalable en ce sens au président Emmanuel Macron et au gouvernement. « L’action défaillante de l’État en matière de lutte contre le changement climatique traduit une carence fautive de l’État à respecter son obligation de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité humaine », arguent dans cette « demande préalable » Greenpeace, Oxfam, la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH) et l’association Notre affaire à tous. Huit-cent mille soutiens auraient été enregistrés en vingt-quatre heures sur la plateforme dédiée par les ONG à « L’affaire du siècle ». 
 
Selon la procédure, l’État a deux mois pour répondre. Les ONG prévoient dans un second temps, en mars probablement, d’introduire un recours juridique devant le tribunal administratif de Paris. « On demande réparation de nos préjudices et que l’État agisse tout de suite, à tous niveaux », déclare Laura Monnier, chargée de campagne pour Greenpeace, qui évoque une première juridique à l’échelle française.
En novembre, le maire écologiste de Grande-Synthe (Nord) avait engagé un recours gracieux auprès de l’État pour « inaction en matière climatique », relevant notamment la vulnérabilité de sa commune, bâtie sur un territoire de polder. Là encore, le gouvernement a deux mois pour réagir.
 
L’idée est de « le contraindre à agir », déclare Cécile Duflot, pour Oxfam : « l’urgence et l’inaction l’exigent. Ce n’est pas anecdotique que des ONG, qui ont toujours participé aux négociations, au Grenelle… disent : maintenant ça suffit ! »
 
Les plaignants soulignent que la France, dont les émissions de GES sont reparties à la hausse en 2015, ne respecte notamment pas ses objectifs de court terme.
Ils se fondent sur la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantissent la protection des citoyens. Ils dénoncent aussi « une violation de plusieurs engagements de la France en matière de lutte contre le changement climatique au titre du droit international ».
 

Recours judiciaires partout dans le monde

Face aux dérèglements climatiques, les recours en justice se multiplient dans le monde, contre des mesures insuffisantes pour garder le réchauffement sous contrôle.
Aux Pays-Bas, en 2015, un tribunal, saisi par l’ONG Urgenda au nom de 900 citoyens, a ordonné à l’État de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le pays de 25% d’ici à 2020. Le jugement a été confirmé en appel en octobre.
Aux États-Unis en 2015, une vingtaine d’enfants et adolescents ont déposé avec l’association Our Children’s Trust un recours devant un tribunal de l’Oregon, réclamant au gouvernement de baisser les émissions de CO2. En Colombie, 25 jeunes ont fait reconnaître par la Cour suprême la nécessité d’agir contre la déforestation et pour la protection du climat. Au Pakistan, un fils d’agriculteurs a fait reconnaître le droit à la vie et à l’accès à l’alimentation face aux changements climatiques.
 
Les multinationales les plus responsables des émissions de GES ne sont pas exemptées de tels procès, y compris en France. Libération rappelle que l’ONG Notre affaire à tous, aux côtés de trois autres associations et de treize collectivités, a appelé fin octobre le pétrolier Total, dont les émissions de GES représentent à elles seules plus des deux tiers de celles de la France, à agir pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, faute de quoi ils pourraient l’attaquer en justice en 2019. Une action à laquelle s’est jointe ce dimanche la commune de Bize-Minervois, dans l’Aude, qui s’estime « victime directe du réchauffement climatique par la multiplication et l’intensification des phénomènes impactant gravement la commune et ses administrés », comme les inondations catastrophiques de mi-octobre.
 

Jurisprudence utile

Toutes ces actions ressemblent à des combats de David contre Goliath. Une vingtaine d’enfants par ci, un maire isolé par là… Pourtant, selon le site Reporterre, si les décisions judiciaires vont bien dans le sens des plaignants, on verrait alors se former une jurisprudence utile « notamment pour la contestation devant les tribunaux administratifs des projets d’autoroute, d’aéroports ou autres, ayant des conséquences sur le climat. »
Jusqu’à présent, la jurisprudence est vide de décision constatant la mise en responsabilité pour carence d’une organisation en matière climatique. Greenpeace fait remarquer que désormais « la responsabilité d’une administration pourra être engagée sur le seul fondement du préjudice écologique, cela obligera à le prendre en compte de manière préventive. Et puis, une fois que l’on a une décision de justice, elle s’inscrit dans le temps même si on change de gouvernement. »
 
À terme, ajoute Célia Gautier, responsable climat et énergie à la FNH., c’est tout le droit international qui sera impacté par la justice climatique et écologique. « Après la lutte pour les droits de l’Homme, le combat de notre siècle est celui du droit à être protégés du changement climatique ».
 
Il n’en demeure pas moins que face à ces actions citoyennes devant la justice, nos gouvernants font encore preuve d’un scepticisme aussi vaste que leur inertie. Interrogé sur France Inter le 21 novembre dernier, le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy déclare incrédule : « franchement, vous croyez que c’est dans les tribunaux qu’on va régler le problème du dérèglement climatique ? ».  Peut-être bien que oui.
 
 
Avec AFP
 

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