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santé et innovation

Google X crée la pilule magique : vers le corps hyperconnecté ?

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En 1966 Le Voyage Fantastique de Richard Fleischer miniaturisait la matière pour résorber un caillot de sang dans le cerveau d’un éminent scientifique américain via le micro-sous-marin « Proteus » injecté dans son sang. Fin octobre 2014 Google X Lab annonce le développement d’un projet de recherche sur des nanoparticules permettant le diagnostic précoce de cancers et d’AVC, par de très fines particules ingérées via un comprimé ou injectées dans le corps d’un patient.

La quête de l’immortalité, le désir de repousser les limites biologiques ou la recherche de l’éternelle jeunesse transparaissent dans de nombreux mythes antiques et œuvres de fiction contemporaines peuplées de super héros, d’humanoïdes et de projets technoscientifiques incroyables. Google X est-il en train de révolutionner le diagnostic médical, le faisant passer de réactif à proactif ? Effet d’annonce, certainement, mais plus au fond, allons-nous vers le corps tout-entier connecté ?

Des patrouilles de nanoparticules magnétiques dans le corps humain au fil du flux sanguin

Google X Lab, le laboratoire secret de Google qui souhaite devenir pionnier en matière d’innovations techniques et robotiques basé à Mountain View, en Californie, planche sur une pilule à base de nanoparticules magnétiques deux mille fois plus petites qu’un globule rouge, capables de rechercher un type de cellule, de protéine ou de molécule et de s’y attacher. Le laboratoire créerait également un appareil wearable équipé d’aimants pour attirer ces particules et les compter. Ce serait ainsi un moyen de surveiller une partie de l’activité interne du corps du porteur pour sonner l’alerte en cas de détection de cellules cancéreuses ou défectueuses, capables de détecter les prémices du cancer ou d’autres maladies. Un bracelet électronique suffirait à interroger ces micro-particules espionnes pour savoir ce qu’elles ont détecté.
« Les nanoparticules pourraient être ingérées sous la forme de comprimés afin de pénétrer dans le sang, explique le Docteur Andrew Conrad, directeur de Google X Life Sciences. Elles seraient conçues pour repérer et se fixer sur un type particulier de cellules, comme les cellules tumorales. » Un diagnostic pourrait ensuite être réalisé en associant ces nanoparticules « à un objet connecté, équipé de capteurs spéciaux ». La technologie serait proposée « sous contrat de licence à des partenaires, afin qu’ils développent des produits dont l’efficacité et la sécurité pourront être testés lors d’essais cliniques ».

Une technologie qui pourrait être viable d’ici une dizaine d’années

Le Google X Lab a déjà mis en avant plusieurs projets tout aussi fous, comme la voiture sans chauffeur – Google car -, les Google Glass, la lentille de contact anti-diabète mesurant en temps réel le taux de glucose dans les larmes, ou un projet de JetPack non abouti.

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« Sans utopie, pas de réalité… » Alors si un tel projet paraît plausible à long terme, de nombreuses questions restent en suspens. Est-ce que les nanoparticules utilisées seront réellement biocompatibles ? Puisque les particules seront directement introduites dans notre corps, Google devra prouver à la FDA (Food and Drug Administration) que sa méthode n’est pas dangereuse et qu’elle est efficace. 

Les nanotechnologies travaillent à l’échelle du nanomètre (milliardième de mètre) et commencent déjà à être utilisées par différentes industries : nanoparticules dans des crèmes solaires pour filtrer des U.V, ou dans des équipements sportifs pour les alléger, dans des peintures pour les rendre « anti-graffiti », etc. Dans le champ médical, des principes actifs pourraient pénétrer dans l’organisme du fait de leur petite taille et libérer leur contenu au moment voulu et dans les seules cellules qui en auraient besoin.

Voir vidéo de présentation d’Andrew Conrad

Le corps nouvel objet tout connecté ?

Ce que veut faire Google, en fait, consiste à diffuser des formes nanométriques de surveillance à l’intérieur même de notre corps. Le principe est de repérer, de l’intérieur, des cellules qui pourraient s’avérer dangereuses pour la santé. Ces cellules, une fois « fixées » par la particule espionne, pourraient alors être suivies, « tracées »,  pour mesurer leur évolution. Elles pourraient ainsi émettre de l’information. Elles se comporteraient alors comme de nouveaux types d’objets connectés si à la mode aujourd’hui. Chaque cellule de notre corps pourrait ainsi potentiellement devenir un émetteur d’information. Cette perspective laisse perplexe sur des notions aussi fondamentales que celle d’objet et de sujet, les deux dimensions se retrouvant sans distinction, comme perdues dans un anneau de Moebius.

Selon une enquête du CREDOC d’octobre 2014, les Français connaissent assez peu les nanotechnologies : seuls 40% ont déjà entendu parler de ces techniques et pensent vraiment savoir de quoi il s’agit. Cette méconnaissance explique probablement que la population se montre relativement partagée par rapport aux applications des nanotechnologies dans le secteur du médicament : 48% se disent inquiets. 
Attirantes et fascinantes pour les uns, inquiétantes et dérangeantes pour les autres, les technologies d’amélioration de l’homme « human enhancement » ne laissent pas indifférentes.  Ce que les Français attendent des technosciences, c’est qu’elles apportent des solutions techniques surtout pour leur santé. 
Cette enquête montre que nos concitoyens sont plutôt désireux, sur le principe, de repousser les limites biologiques. Amateurs de sciences et techniques, les Français ont plutôt une vision extensive de la médecine, dont les progrès devraient bénéficier selon eux à l’amélioration des capacités physiques et mentales des individus bien portants. Bras robotisé et géolocalisation des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer sont en particulier très bien acceptés. L’amélioration des performances mentales via la greffe de composants électroniques dans le cerveau ou la consommation de médicaments semble moins consensuelle, mais plus d’un Français sur dix y est tout de même aujourd’hui réceptif. 
Les dispositifs impliquant la transmission de données privées soulèvent en revanche de grandes réticences. Et la méconnaissance de certaines technologies, comme les nanotechnologies, nourrit de fortes inquiétudes à leur encontre.

Google tout puissant…

Nous sommes entrés dans l’ère du « quantified self » ou quantification de soi. Sous cette expression quelque peu sibylline, sont visées des pratiques variées mais qui ont toutes pour point commun pour leurs adeptes, de mesurer et de comparer avec d’autres des variables relatives à notre mode de vie : nutrition, exercice physique, sommeil, mais aussi humeur, et maintenant notre propre santé. Reposant de plus en plus sur l’utilisation de capteurs corporels connectés – bracelets, podomètres, balances, tensiomètres, etc. – et d’applications sur mobiles, ces pratiques volontaires d’auto-quantification se caractérisent par des modes de capture des données de plus en plus automatisés, et par le partage et la circulation de volumes considérables de données personnelles. Ce phénomène se développe à l’initiative des individus eux-mêmes et aussi, en raison des modèles économiques des acteurs investissant ce marché.

Le corps et sa santé est un nouveau « capteur » qui intéresse beaucoup de monde… Franck Cazenave, dans son livre « Stop Google » (1), met le doigt sur le fait que Google a créé le plus grand aspirateur à données personnelles permettant de constituer le profil des internautes, grâce à son moteur de recherche le plus performant d’internet, mais aussi avec toutes les technologies que Google rachète. Rien qu’au premier semestre 2014, Google a acquis dix-sept entreprises de haute technologie, devenant une « super-puissance » supranationale. Google promet une vie idyllique à ses utilisateurs : tout serait fluide, organisé grâce à l’écosystème qu’il crée pour nous… Or, l’exploitation de données personnelles, librement consentie par les utilisateurs, est au cœur de l’activité économique de Google. A ce sujet, le philosophe Michel Serres souligne : « Aujourd’hui, ,il y a une désappropriation de nos données. C’est là où il faudrait peut-être inventer, un jour, un nouveau droit de l’homme, un droit de propriété de ses propres données… » Le projet de nanoparticules injectées de Google va encore plus loin que ce que craignait Michel Serres, en exploitant non seulement des données mais aussi en introduisant des capteurs directs au sein même de nos cellules.

L’espace de liberté, de perspective de mieux vivre et plus longtemps que le Google X Lab est en train de nous concocter est aussi un danger incroyable de mise sous contrôle de notre propre corps. Car la question du contrôle de ces technologies par une seule firme, Google, et à travers elle un seul homme, son créateur et PDG, Larry Page, ne devrait-elle pas nous alerter sur les limites à ne pas dépasser ?

Pour Fabrice Rocheladet, économiste et professeur en sciences de la communication à l’université de Paris-Sorbonne, la vie privée recouvre trois dimensions.
La première réside dans le secret, c’est-à-dire la capacité de contrôler l’utilisation et le partage de ses données et le droit à l’oubli qui y est rattaché. La deuxième dimension est du domaine de la tranquillité, c’est-à-dire le droit « de rester seul », de ne pas être dérangé par des sollicitations non désirées. Pour ce faire, chacun doit être en capacité de contrôler l’accessibilité à son domaine privé. Et enfin, la troisième dimension a trait à l’autonomie individuelle, à la souveraineté de chacun sur sa personne car la vie privée correspond au « désir humain d’indépendance par rapport aux contrôles des autres ».

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Imaginez en effet qu’avec ses petites pilules, Google puisse à tout moment venir vous proposer un traitement par ci, un autre par là, au vu des défisciences détectées dans nos petites cellules. Ou un séjour à la montagne car notre poumon souffre d’avarie ou encore, nous adresse des menus types pour faire baisser notre taux de graisse ou de sucre… Sans parler d’obligations de soins ou de traitements, sous peine de se voir interdire telle pratique sportive ou de loisir, tel métier…
De là à communiquer aux compagnies d’assurance ou aux banques ces informations, il n’y a qu’un… clic : nous serons alors dans l’incapacité de maîtriser nos vies et ses désirs !

La CNIL sur le pont

Il y aura 75 millions d’objets connectés liés au coprs humain dans le monde en 2020, prévoit le cabinet Morgan Stanley. Le marché de la « m-santé » pourrait atteindre 26 milliards de dollars en 2017, avec 3,4 milliards d’utilisateurs, soit un possesseur de smartphone sur deux ayant installé une application, selon l’institut américain Research2guidance.

Dans le cadre d’un chantier « vie privée 2020 » chargé d’étudier l’impact potentiel de ces nouvelles pratiques sur la vie privée et les libertés individuelles, la CNIL entretient des travaux d’envergure posant ces questions éthiques fondamentales car il s’agit avant tout de données attachées à la vie humaine… La commission relève d’ores et déjà trois domaines à étudier de près : premièrement, le statut de ces données, susceptibles de révéler la vie intime. Deuxièmement, leur centralisation et leur sécurisation. Enfin, la CNIL s’inquiète du caractère normatif de ces pratiques. Pourrait-il devenir suspect de ne pas s’automesurer, comme si on avait quelque chose à cacher ? 

 Fabienne Marion, Rédactrice en chef

(1) « Stop Google – Relever les nouveaux défis du géant du web » de Franck Cazenave – Editions Pearson – 2014

 

 

 

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