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Le grand buzz du glyphosate

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Depuis ce jeudi 14 septembre, à la radio, à la télé, dans les journaux, on ne parle que de ça : l’ONG Générations futures aurait découvert des résidus de glyphosate dans nos corn flakes et une trentaine d’aliments de notre quotidien. Ce produit, considéré comme cancérogène, est un herbicide largement répandu sous la marque Roundup de Monsanto. Les agriculteurs l’utilisent depuis des années mais, face aux études scientifiques sérieuses ou pas qui se multiplient, aux coups de boutoir de l’opinion publique et des médias, ils savent que les jours du glyphosate sont comptés. Le problème c’est qu’ils disent ne pas savoir comment le remplacer et que sa suppression entrainera la faillite de centaines d’exploitations et coûtera des milliards. Le point sur une belle bataille de buzz. Avec comme enjeu : notre santé.
 
Commençons par les faits du jour. L’ONG anti-pesticides Générations futures publie ce jeudi 14 septembre les résultats d’une étude qui va provoquer un choc médiatique : elle a fait analyser trente produits de consommation courante ; plus de la moitié d’entre eux contiennent des traces de l’herbicide le plus controversé au monde, le glyphosate dont la molécule entre dans la composition du fameux Roundup de Monsanto. Une molécule classée il y a deux ans comme cancérogène probable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
 
C’est en partant du constat que le glyphosate était très rarement recherché dans nos aliments par les services de la répression des fraudes – car, selon l’ONG, les analyses coûtent cher – que l’association a eu l’idée de vérifier par elle-même. Des membres de Générations futures sont allés faire leurs courses dans deux supermarchés, à Paris et en Picardie. Ils ont acheté des paquets de lentilles, de pois cassés, des pâtes, des biscottes ou encore des céréales pour le petit-déjeuner. Nul doute que parmi les produits composant leur caddy, certains d’entre eux se trouvent dans les placards de votre cuisine.
 
Les résultats publiés font frémir : sur 30 échantillons analysés, 16 contenaient du glyphosate. L’ONG en a retrouvé principalement dans les céréales (Muesli Alpen Swiss, Weetabix Original, Muesli Jordan Country crisp, Country store Kellogs, Granola flocons d’avoines grillés aux pommes Jordans, All Bran Fruit’n Fibre Kellogs) mais aussi dans les lentilles (Lentilles vertes Vivien Paille et Lentilles blondes Leader Price) et les pois chiches (Pois chiches St Eloi et Pois chiches Leader Price).
 
Aussitôt, les médias s’emballent et font leurs manchettes avec cette info. L’Obs titrant même : « Glyphosate : un cancérogène que vous avalez dès le petit déjeuner ». Marianne est plus direct : « Du Roundup au petit déjeuner ».
 
UP’ Magazine n’est pas un défenseur du glyphosate, loin de là, mais une telle effervescence est intrigante. D’autant que le nombre de produits testés (30) est assez réduit pour prétendre représenter un panel suffisant pour une étude scientifique. Logiquement, il faudrait tester plusieurs dizaines de produits, à des périodes différentes. L’examen du dossier publié par Générations futures accroît la perplexité.
 

Une étude succincte mais impactante

 
Le document publié par l’ONG est assez succinct : 8 pages. Les résultats proprement dits tiennent sur deux pages. On y apprend que 53.3 % des trente échantillons testés contenaient du glyphosate. En quelle quantité ? « Les   concentrations retrouvées vont de 40 µg/kg pour une céréale du petit déjeuner à 2 100 µg/kg pour un échantillon de lentilles sèches » déclare l’étude. Ces chiffres ne vous disent rien ? L’ONG précise qu’il n’y a pas de dépassement de la « LMR » dans les échantillons analysés. La LMR pour Limite Maximale en Résidus pesticides est un seuil règlementaire établi pour un couple aliment/pesticide. Cela veut dire que certains aliments ont un seuil faible alors que d’autres (comme par exemple le blé) ont un seuil supérieur. Ces seuils ont été harmonisés par l’Union européenne en septembre 2008.
 
Donc, finalement, on a retrouvé du glyphosate, mais en quantité inférieure aux normes. Dans un encadré, l’ONG précise : « En France, c’est la Direction Générale de la Répression des Fraudes (DGCCRF) qui doit faire les analyses et les transmettre tous les ans à l’UE. Les données sont publiées deux ans après que les analyses aient été effectuées. Ainsi en 2017, nous avons reçu les données des analyses portant sur 2015. Les données 2017 (portant sur 2015) indiquaient que la présence de pesticides quantifiables a été décelée dans 69,9 % des échantillons de fruits et 36,6 % des légumes. » L’étude publiée aujourd’hui n’est donc pas un scoop puisqu’une étude officielle démontrait déjà la présence du pesticide dans les aliments. Quant aux dépassements de la LMR, cette étude officielle estimait qu’elle concernait 1.4 % des échantillons. 
Résumons : on retrouve du pesticide dans à peu près tous les aliments, mais à des doses qui se situent quasiment toujours en deçà du seuil de risque.  
 
Interrogé par le Monde, François Veillerette, porte-parole et directeur de Générations futures fait une précision importante : « Évidemment, il n’y a pas de risque d’intoxication aiguë ». Ouf, nous voilà rassurés. Mais il ajoute aussitôt : « Mais on sait qu’être exposé à un produit cancérogène à côté d’autres, dans d’autres secteurs de l’environnement, pendant des années et des années, ce n’est pas du tout une bonne nouvelle pour la santé humaine ». Certes.
 
Ainsi la chose est avouée : cette étude ne présente aucune garantie scientifique mais elle a le mérite d’alerter la population sur la présence de pesticides dans l’alimentation. On le savait déjà, mais une piqure de rappel ne fait pas de mal. L’ONG est à cet égard très honnête puisque son document stipule une « mise en garde » : « Cette enquête est basée sur l’analyse d’aliments à base de céréales ou de légumineuse susceptibles d’être ingérés par un individu à un moment de sa vie. Les aliments ont été choisis parmi les marques disponibles en magasin à la date de l’enquête et dans la zone de prélèvement. Elle ne prétend pas être parfaitement représentative de la consommation de ce type d’aliments en France et ne prétend pas refléter exactement l’état moyen de la contamination par le glyphosate de ce type d’aliments vendus en France. Cette enquête vise à éclairer les questionnements que nourrissent le public et notre organisation sur la présence de résidus de glyphosate dans des aliments non bio. »  Une mise en garde que, vraisemblablement l’essentiel de la presse n’a pas lue. Les titres accrocheurs propres à inquiéter la population à l’heure du petit déjeuner étaient suffisants au regard de l’information elle-même.
 

Cet ouragan médiatique vient à un moment stratégique

 
En juillet dernier, la Commission européenne a proposé le renouvellement pour dix ans de la licence du glyphosate. Le vote sur l’autorisation de cet herbicide controversé pourrait avoir lieu le 5 ou 6 octobre lors d’un comité d’experts. La France a annoncé fin août qu’elle voterait contre la proposition de la Commission. Notre pays a une position clé, car une majorité qualifiée (55 % des États membres, représentant 65 % de la population de l’Union) est requise pour faire passer la décision.
 
Décision qui se situe dans un contexte scientifique des plus confus : l’Agence européenne chargée des produits chimiques (ECHA) et celle de la sécurité des aliments (EFSA) ont estimé qu’il n’y avait pas de raison de classer le glyphosate comme substance cancérogène. Les avis de ces deux agences n’ont pas éteint la controverse scientifique sur la dangerosité de ce produit, classé « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer, l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée d’inventorier les causes de cancer. Une controverse abondamment relayée par plusieurs ONG, parmi lesquelles on retrouve Générations futures qui accusait en août dernier les instances scientifiques européennes d’évaluations biaisées : « Sur les douze études disponibles sur la cancérogénicité du glyphosate, sept montrent un risque accru pour les rongeurs exposés à cette substance, mais les agences européennes ne les ont pas prises en compte », a déploré lors d’une conférence de presse François Veillerette, directeur de l’ONG. « C’est une évaluation biaisée », a-t-il accusé.
 

Levée de boucliers chez les agriculteurs

 
Face à cette pression, et à la volonté de Nicolas Hulot de s’opposer au renouvellement de la licence du glyphosate, c’est au tour des agriculteurs de faire entendre leur voix. On est habitué au lobby des agriculteurs et à leur excellente expérience de la pression médiatique. Dans l’affaire du glyphosate, leur argumentation pour faire céder le ministre de l’écologie est… écologique.  C’est subtil et susceptible de faire réfléchir. « Tous ceux qui font de l’agriculture de conservation et qui ont arrêté le labour pour capturer le carbone dans les sols, selon les principes érigés à la COP21, vont devoir arrêter ce type d’agriculture s’ils ne peuvent pas recourir au glyphosate ponctuellement pour nettoyer les champs juste avant les semis, lorsque le gel n’a pas supprimé les couverts végétaux plantés juste après les moissons », a déclaré à l’AFP Arnaud Rousseau, président de la Fédération des producteurs d’oléoprotéagineux. Il ajoute dans un tweet : « En condamnant le glyphosate, Nicolas Hulot enterre l’agroécologie et les efforts entrepris par les agriculteurs sur les sols ».
 
Les agriculteurs arguent que ce n’est pas le principe actif du glyphosate qui est à mettre en cause mais des « adjuvants » utilisés par Monsanto pour accompagner le glyphosate, « notamment la taloamine », dans le Roundup. Le glyphosate lui-même aurait comme caractéristique selon Arnaud Rousseau « d’être un désherbant total, mais seulement de contact, et non pas systémique, c’est-à-dire qu’il touche les mauvaises herbes mais pas les vers de terre, pas les microbes du sol ni les insectes ». 
 
Résumons encore une fois : le glyphosate risque de rendre malade les humains mais pas les vers de terre et les insectes. Nous voilà tranquillisés.
 

Sombre tableau

 
Au-delà de ces arguties, le vrai enjeu est que les agriculteurs ne savent pas par quoi remplacer le glyphosate. « Si demain on supprime le glyphosate, il va falloir le remplacer par le travail du sol, passer plusieurs fois des engins dans la parcelle pour détruire les repousses, les vivaces », indique Jean-Paul Bordes, directeur recherche et développement à l’institut du végétal Arvalis, qui pointe la consommation de fioul, de matériel et de main-d’œuvre supplémentaires.
« Le chardon, le chiendent, le liseron vont faire leur retour dans les cultures et générer des surcoûts de désherbage », insiste-t-il, qui estime que le retour au labour va « augmenter le risque d’érosion, de tassement des sols » et entraîner la « perte d’une forme de fertilité ».
 
Un tableau des plus sombres au milieu duquel apparaît une étude, une autre, réalisée par l’IPSOS et publiée par Le Figaro, chiffre à plus de 2 milliards d’euros les conséquences du retrait du glyphosate pour les agriculteurs.
« Cela entraînerait une baisse de rendement et donc un retrait des exportations, notamment pour les céréales autour de 1,06 milliard d’euros pour le secteur des céréales auxquels il faut ajouter 900 millions d’euros pour la vigne », indique l’institut de sondage. Par ailleurs au niveau de chaque ferme, « la non-réhomologation aurait également un impact direct sur les agriculteurs, tant au niveau de l’organisation du travail, de la rentabilité et des pratiques culturales », toujours selon Ipsos. En effet d’après cette enquête 73% des agriculteurs estiment que le retrait aurait un impact sur l’organisation du travail de leur exploitation et 72% estiment que la rentabilité économique de leur exploitation serait impactée.
 
« Sans glyphosate, je ne sais pas comment faire, regrette Hervé Pommereau, céréalier dans le centre de la France. Pour les betteraves j’ai bien essayé la bineuse mais il faut 15 fois plus de temps ». C’est vrai que le retour à l’huile de coude au XXIe siècle, a de quoi déconcerter.
 
Le Figaro ajoute que ce retrait du marché représenterait aussi une hausse des coûts de production pour la majorité des utilisateurs de glyphosate, pouvant aller jusqu’à 22% en viticulture et 26% pour les grandes cultures. Cela engendrerait également une perte de rentabilité pouvant aller jusqu’à 33% pour les exploitations céréalières et 20% pour les exploitations viticoles.
 

Il n’y a pas d’alternative ?

 
Les agriculteurs mettent en avant qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de traitements alternatifs équivalents. Sur ce point aussi on peut se poser des questions. Les problèmes liés au glyphosate ne datent pas d’hier. Cela fait des années qu’on en parle. Les industriels auraient dû ou pu trouver des solutions alternatives. Il est difficile d’admettre qu’à une époque qui foisonne de découvertes scientifiques on n’ait pu trouver un herbicide efficace et sans danger pour la santé humaine. On est capable d’aller sur Mars, de transformer notre génome, fabriquer des voitures sans chauffeur, et on ne sait pas se débarrasser proprement des mauvaises herbes ? Bizarre.
Les agriculteurs ont-ils été endormis par les sept évaluations sanitaires exhaustives réalisées par les autorités publiques qui se sont succédées au cours de ces quarante dernières années, donnant le glyphosate comme produit sans risque pour la santé humaine ?  
 
Pour les ONG, ces études sont biaisées et entachées d’ « interventions » de Monsanto. La justice américaine a d’ailleurs obtenu la déclassification de plus de 250 pages de correspondances internes de Monsanto. On y apprend que la firme agrochimique, producteur du Roundup, était au courant du caractère mutagène du glyphosate depuis 1999. La multinationale entreprit alors d’étouffer l’affaire en commandant une étude pour convaincre les régulateurs de la non dangerosité du glyphosate.
Les agriculteurs auraient-ils étaient pris en otage par Monsanto qui les a rendus accros à leur produit ? C’est certain.
 
En attendant que la lumière soit faite, si elle est faite un jour, on ne doit pas perdre de vue que c’est de santé humaine dont on parle. L’enjeu est suffisamment important pour ne pas susciter des buzz médiatiques inconsidérés et les coups de pression des lobbies professionnels. Nous avons besoin d’une information claire, qui ne soit ni alarmiste ni truquée pour de bas desseins mercantiles, qu’ils soient ceux des médias ou des industriels.
À méditer en dégustant votre prochain bol de corn flakes.
 
 

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