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Nouvelle loi « secret des affaires » : nouvelle arme de dissuasion massive ?

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La nouvelle loi visant à transposer en droit national la directive européenne dite secret des affaires de juin 2016 pour offrir un cadre juridique européen commun, prévenir l’espionnage économique ou le « pillage » des innovations, fragilise le droit du citoyen à être informé et la liberté d’expression, selon le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) et est jugée liberticide par un grand nombre de journalistes, notamment les journalistes d’investigation, et les lanceurs d’alerte. Une nouvelle arme de dissuasion massive remettant en cause l’intérêt général et le droit des citoyens à l’information ?
 
La proposition de loi LREM visant à protéger le « secret des affaires » a été adoptée en première lecture le mercredi 28 mars : 46 voix contre 20. Le texte sera devant le sénat le 18 avril prochain.
Selon la Commission européenne « L’information protégée par le secret des affaires peut être stratégique pendant des décennies (par exemple une recette ou un composant chimique) ou de façon éphémère (résultats d’une étude marketing, nom, prix et date de lancement d’un nouveau produit) » : Le secret des affaires doit protéger une information de telle façon à ce qu’elle ne soit pas « publique » ou « aisément accessible ». Ainsi, pour pouvoir la protéger, elle doit présenter une « valeur commerciale ». Les affaires secrètes sont entendues comme des « informations qui ne sont pas connues ou aisément accessibles » : plutôt floue comme définition !
Pour la Commission européenne, « Les secrets d’affaires sont tout aussi importants pour la protection des innovations non technologiques. Le dynamisme du secteur des services, lequel représente environ 70 % du PIB de l’UE, repose sur la création de connaissances innovantes (…) La confidentialité, dans ce secteur essentiel de l’économie de l’UE, est utilisé dans le contexte de l’innovation ‘douce’, qui couvre l’utilisation de diverses informations commerciales stratégiques qui vont au-delà des connaissances technologiques, par exemple les informations relatives aux clients et aux fournisseurs, les processus d’entreprise, les plans d’affaires, les études de marché etc. »
 
 
Cette directive qui tend à protéger les entreprises contre les risques d’espionnage économique et industriel rend inquiet l’écosystème des médias. Un collectif composé de journalistes, d’associations, d’ONG et de syndicats, a signé une tribune dans le Monde où il accuse cette directive d’autoriser que« n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie » et que cela « pourrait empêcher à l’avenir de révéler des affaires comme celles du Mediator ou les Panama Papers ».
Pour les signataires de cette tribune, n’importe quelle information interne à une entreprise pourra être classée « secret d’affaires » et entraîner une sanction pénale contre les journalistes. Ils estiment que « cette directive a été élaborée par les lobbies des multinationales et des banques d’affaires qui souhaitaient un droit plus protecteur pour leurs secrets de fabrication et leurs projets stratégiques, alors que le vol de documents et la propriété intellectuelle sont déjà encadrés par la loi.
La France dispose de marges de manœuvre importantes pour la transposition de la directive dans notre droit national, et peut préserver les libertés tout en respectant le droit européen. Pourtant, le gouvernement et la majorité semblent avoir choisi, en catimini, de retenir une option qui remet gravement en cause l’intérêt général et le droit des citoyens à l’information. La proposition de loi sur le secret des affaires a des implications juridiques, sociales, environnementales et sanitaires graves. De fait, ce texte pourrait verrouiller l’information à la fois sur les pratiques et les produits commercialisés par les entreprises.
En effet, la définition des « secrets d’affaires » est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie. L’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues ou diffusées, et leur divulgation serait passible de sanctions pénales. »
 
Quant au Spiil, il regrette que la primauté du droit à être informé sur le droit aux secrets ne soit pas exprimée avec suffisamment de clarté dans la proposition de loi. Là où le législateur français considère la liberté d’expression comme une “dérogation”, le texte européen, lui, affirme sans ambiguïté et dès son premier article cette primauté.
Ce manque de clarté crée un risque majeur, celui d’une multiplication des procédures contentieuses. Les éditeurs de presse, souvent de très petites tailles, n’ont pas les moyens de soutenir des procédures abusives. Or certains acteurs économiques sont friands de ces “procès-baillon”. Cette confusion risque donc de générer un comportement d’auto-censure, préjudiciable à notre démocratie.
 
Si l’enjeu de ce texte est bien de veiller à l’équilibre entre deux droits, celui d’informer et celui de maintenir des secrets pour les entreprises, alors le Spiil demande au législateur et aux pouvoirs publics de tenir compte de celui fondamental qu’est la liberté d’expression telle que consacrée par la loi du 29 juillet 1881 en l’inscrivant nommément dans le texte de loi.
Dans notre démocratie, c’est cette loi qui organise l’équilibre entre les garanties individuelles et la protection des libertés fondamentales. La loi présentée par le législateur vient fragiliser cet équilibre. Nous rappelons que la loi de 1881 encadre la responsabilité des éditeurs de presse. Elle présente les garanties nécessaires pour permettre au juge de bien apprécier, notamment, la valeur d’intérêt général des informations révélées.
 
Ce texte risque d’accélérer une dynamique regrettable, celle du contournement du droit de la presse par le droit commercial. La récente “affaire Challenges” en est un triste exemple. Pour rappel, l’hebdomadaire, assigné devant le Tribunal de commerce de Paris par l’entreprise Conforama dont il a révélé les difficultés économiques, a été condamné à retirer l’article de son site et à ne plus publier d’article sur le sujet. Au nom de la liberté d’informer, il a fait appel. 
En 2014, TourMaG, site de presse spécialisé dans l’actualité économique du secteur du tourisme, avait été condamné pour avoir publié des informations économiques et sociales incontestées concernant TUI, un opérateur économique majeur de ce secteur. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, il s’agissait d’une violation du Code du travail et de la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
C’est pourquoi, le Spiil demande au législateur de modifier la loi : de consacrer explicitement la primauté de la liberté de la presse, telle que définie par la loi de 1881, sur le secret des affaires, et ceci dès les premiers articles ; de faire référence au secret des sources ; et de mettre en place un dispositif ex-ante pour prévenir les procédures abusives se revendiquant du secret des affaires.
 
Le Conseil d’Etat, dans son avis rendu jeudi 15 mars dernier, rejoint ces préoccupations en indiquant “qu’il conviendrait de mentionner au nombre des cas licites, et non parmi les dérogations, l’hypothèse de l’obtention d’un secret des affaires dans le cadre de l’exercice du droit à l’information (…)”.
 
Le Spiil regrette également que cette loi ait fait l’objet d’une procédure accélérée, empêchant un débat serein, alors que le calendrier de transposition de la directive était connu depuis son vote en 2016.
 
Par ailleurs, le député LREM Raphaël Gauvain qui porte ce projet de loi, dans une interview à Challenges, tente de calmer le jeu : « L’objectif consiste à protéger les entreprises contre le pillage industriel. Le texte a été mal lu : la loi n’est pas applicable aux journalistes et lanceurs d’alerte et il n’y a pas de sanction pénale. On agit ici uniquement dans un cadre civil. Enfin, nous avons prévu des amendes très dissuasives contre les procédures bâillon », celles qui visent à faire taire la presse. »
 
 
Le parlement européen a fixé au 9 juin prochain une date limite pour l’application de cette directive, sous peine de sanctions financières.
 
 
 
 

 

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