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Le Feuilleton de la mutation / Une décade qui a changé le monde

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UP’ vous propose chaque semaine de partir à la découverte d’un ouvrage dans la lignée d’UP’Spirit , c’est-à-dire l’optimisme envers et contre tout, et la mise en lumière d’initiatives innovantes et d’entrepreneurs qui osent. Sous forme de feuilleton, nous vous offrons pour inaugurer cet ancrage éditorial les meilleurs extraits d’un des derniers livres de Christine Marsan, « Entrer dans un monde de coopération – Une néo-RenaiSens », en avant-première. Premier chapitre.


« L’homme n’est pas devenu humain en rompant avec l’animal, et il accroît considérablement son humanitude en faisant la paix avec lui. L’animal doit d’abord être considéré comme un invité dans la maison de l’homme. »  Dominique Lestel

Il y a dix ans , nous avions écrit un ouvrage (1) : L’imaginaire du 11 septembre. Des cendres émerge un nouveau monde. L’objectif était de démontrer que des événements tels que la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, suivi par la chute des Twin Towers, le 11 septembre 2001, sont des moments fondateurs pour comprendre les racines de notre monde en plein bouleversement.

La chute du mur n’a pas fait que réunifier Berlin et l’Allemagne ; elle a aussi marqué la fin du communisme laissant se développer l’idéologie capitaliste. Goulags et aparatchiks ont dévoyé les intentions initiales et l’esprit de communauté n’a pas résisté à l’avidité de quelques-uns. A la suite, cela a laissé un trou béant dans la pensée, dans les aspirations de nombreux citoyens n’ayant plus d’idéal auquel aspirer. Depuis, seul le capitalisme régne en maître qui à son tour s’est dévoyé en libéralisme dérégulé.

Le 11 septembre 2001 a sonné le glas d’un libéralisme débridé. Les symboles de la spéculation ayant été touchés, Ground Zero constituait alors la nouvelle béance annonçant pour quelques années désarroi et crises en chaîne.

« Nous avons même affaire, avec les attentats de New York et du World Trade Center, à l’événement absolu, la « mère » des événements, à l’événement pur qui concentre en lui tous les événements qui n’ont jamais eu lieu. »  Jean Baudrillard

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Evidemment, entre l’événement lui-même et le délitement du modèle qu’il représente, il faut un certain temps pour comprendre ce qui se passe et identifier des clés de lecture qui soient opératives. Environ une décade pour que les modifications significatives soient visibles et qu’elles puissent être interprétées. La vitalité d’une néo-RenaiSens est donc la suite de l’ouvrage sur L’imaginaire du 11 septembre, il vise à apprécier le chemin parcouru afin d’envisager l’avenir avec une plus grande variété de possibles.

Le choix d’une analyse symbolique

« Cette mise en commun d’une souffrance évoque quelque chose comme la constitution d’une nouvelle communauté des humains dont les liens seraient à la fois biologiques et symboliques. »
Jean-Claude Guillebaud

Dans L’imaginaire du 11 septembre, nous avions pris le parti de ne pas nous focaliser sur l’actualité mais de réaliser une réflexion symbolique sur ces événements mettant en lumière les archétypes présents afin de rendre compte en quoi ils venaient revivifier notre imaginaire pour nous permettre de concevoir autre chose : encourager l’émergence d’un monde en gestation. « L’expression symbolique traduit l’effort de l’homme pour déchiffrer et maîtriser un destin qui lui échappe à travers les obscurités qui l’entourent.(2) » Ce choix du symbolique c’était aussi l’occasion de prendre du recul face à l’actualité.

Dans le présent ouvrage nous continuons ce périple utilisant la référence au symbole comme distanciation d’avec l’objet d’étude. Nous retrouvons alors la possibilité d’exercer notre libre-arbitre. Car notre conscience nous permet, soit de décider de rester englués par les vicissitudes de la vie, soit de prendre la distance salutaire engageant réflexion, décision puis action libres.
Enfin s’intéresser au symbolique c’est identifier les racines de notre imaginaire qui façonne notre pensée, nos valeurs, nos représentations et conditionne ensuite nos engagements et nos actions.

Le retour du sacré

Une autre raison nous a conduit à faire l’examen du 11 septembre à l’aune des symboles et des archétypes. Il nous semblait essentiel de rendre visible la matérialisation de la quête de sens, celui-là même qui permet de construire des visions fédératrices. En effet, ce qui caractérise le monde moderne est un désintérêt du sacré. A la suite du “Dieu est mort” nietzschéen, ce fut au tour du sujet d’être crucifié.

Les deux guerres mondiales du XXe siècle, la boucherie des tranchées de la Première et les exterminations délibérées d’une partie de l’humanité durant la Seconde ont remis en cause le statut même d’être conscient de l’Homme. En quoi peut-il encore être sujet après avoir détruit ou laissé exterminer des millions d’êtres humains dans des chambres à gaz, trois génocides ou à la suite de la chute des deux bombes atomiques ?
Depuis, l’Homme erre, perdu, sans repères proprement symboliques. Chacun s’émiettant face à la violence de la réalité brute (3) . Pourtant, l’être humain ne peut se passer de culture et de symboles, à moins de sombrer totalement dans l’animalité. Certes cette dernière est toute proche, toujours au fond de nos déterminismes mais la volonté de développer l’Humanité de l’Homme est plus grande encore. C’est ce qui fait avancer progressivement la conscience de l’être humain au fil des siècles et désormais au fil des décennies.

Evoquer la perte du sacré, c’est également reconnaître sa quête consciente ou non. Quête que l’on retrouve dans le fait d’affubler nombre d’éléments banals du quotidien : un livre, un film, une série télévisée de l’adjectif « culte » … Usage abusif qui fait sens et vient nous dire qu’à défaut d’en suivre un seul, en commun, les cultes de toutes natures fleurissent. Chacun a le sien. Si tout est « culte », peut-être la société crie-t-elle, désespérément, sans être entendue, le besoin d’un « culte » fédérateur, c’est-à-dire retrouver de la transcendance, du culturel, du cultuel et du sacré. En un mot la substance de l’essentiel.
Enfin, la recrudescence de communautés, naissant tous azimuts, se réunissant autour de différentes causes (4) , reflète ce besoin de recréer du lien, de nouvelles normes sociales, des codes, des repères, des identités et des rites. Autant de caractéristiques propres à la constitution du social et du culturel. Une nouvelle forme de religare à prendre en considération.

La puissance des archétypes

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Différents indices au sein du corps social confirmaient le retour sur le devant de la scène de l’archétype du diable. Nous avons supposé que sa médiatisation avait sans doute quelque chose à nous faire comprendre qu’il s’agissait de mettre en exergue. En 2001, nous avons pu noter l’emploi de propos moralistes invoquant la lutte du bien contre le mal, ensuite il a été très vite question du diable ; puis des références médiévales mentionnant la « croisade » ou « l’éradication du mal » ; puis, l’utilisation répétée du terme de « retour », que ce soit « retour au Moyen Age », ou « retour au bon vieux temps » ou encore « retour du refoulé » (5) ; et enfin le parallèle entre « fin de l’histoire » et « fin du monde » ravivait en quoi la peur millénariste pouvait jouer un rôle dans ce moment si singulier.
Quels étaient les ingrédients sociaux et symboliques à l’œuvre dans cette répétition historique ? Par ailleurs, au-delà de la fréquence d’utilisation, c’est aussi la rapidité avec laquelle la société s’est emparée de ces termes qui nous ont fait dire qu’ils devaient refléter quelque chose de l’air du temps.

Les enseignements de l’étymologie du diable

Nous proposons une sorte de chronologie dans les noms du diable qui pourrait retracer le périple dans l’imaginaire collectif conscient et inconscient de l’évolution de notre civilisation.

Tout d’abord Satan, l’adversaire contre lequel on se bat, ravive les batailles millénaires, les dualités et les oppositions, les jugements de valeurs et les débats moraux. Puis, vient le diable, séparateur de la symbiose et de la dualité, officiant de la violence, instaurant le chaos, phase d’indifférenciation, brouillonne, grouillante, où tout se mélange, où le dionysiaque et l’orgiaque se repaissent de la confusion et ravive l’Eros sociétal. Ainsi, ce diable de la première heure, « incarné » par toutes ces figures polymorphes, se vautre dans l’humus de nos fantasmes, de nos désirs si longtemps jugulés. Il bouscule violemment l’ordre établi. Il réveille l’énergie de vie primordiale (6) , et dans sa fonction de tiers incite à séparer le bon grain de l’ivraie et prépare le lit de Lucifer (étymologiquement : porteur de lumière).
Sorti des ténèbres, celui-ci nous enjoint explicitement à mobiliser notre conscience, à penser notre humanité, à revisiter les valeurs qui fondent notre société, à prendre de la distance, à la suite du chaos laissé par le diable. Du creux matriciel des possibles, il nous invite à construire un nouveau sens, de nouvelles fondations, il apporte la lumière et fait fonction de guide permettant de conduire l’humanité vers de nouvelles contrées. Et ceci ne pourra se faire sans la contribution du démon (daimon, inspiration créatrice, guide intérieur).

Ce que nous avions observé lors des entretiens menés à la suite des attentats, c’est que la sagesse populaire avait compris qu’il fallait d’abord débuter par un examen de conscience individuel. Réfléchir, prendre le temps de comprendre ces évènements avant de s’engager dans quelque nouvelle action que ce soit. Se sentant impuissants au niveau global, les citoyens se sont repliés sur eux-mêmes et on entrepris localement les actions qu’ils pouvaient mettre en place. Cet appel à l’introspection, puis à la décision d’agir en conscience et finalement de manifester son libre-arbitre reflète bien les influences de Lucifer et du démon (7) .

Ainsi ce qui fut visible et largement médiatisé en 2001 ce fut la facette spectaculaire du diable et de Satan (part d’ombre), pour autant deux autres synonymes de cet archétype, Lucifer et daimon furent bien aussi opérants sinon plus, paradoxalement relégués dans l’ombre, dans l’inconscient et l’invisible, tandis qu’ils sont justement porteurs des lumières du futur. Et une décennie plus tard nous en observons les fruits.

Constante dialectique de l’ombre et de la lumière : occulter une partie de notre réalité comme la portée symbolique des mots ou des évènements laisse préfigurer des “retours du refoulés”, des résurgences de ce qui est tu. Le mineur revient en majeure comme la danse de la vie.

Nous avons continué notre démonstration, cherchant à identifier en quoi ces phénomènes étaient révélateurs d’un changement de paradigme de notre société. 

Différents facteurs étayaient cette affirmation, notamment l’évolution des mythes fondateurs, avec d’un côté la faillite de l’autorité paternelle et la lente décomposition du système pyramidal, patriarcal et hiérarchique de l’autre la résurgence à la fois du féminin et du maternel contemporain des émergences d’organisations matricielles et du fonctionnement en réseau et du retour aux communautés. Un cocktail d’archétypes celui du diable, de la grande Mère, de l’androgyne et des références à des moments de l’Histoire : Moyen Age, XIXe siècle, peuples premiers ont aiguisé notre curiosité et poussé à explorer les liens que ces époques et symboles pouvaient créer comme sens. Nous avons vu les cendres d’un modèle favorisant l’émergence d’un nouveau monde.

A cela, nous observons une montée significative de la violence individuelle et collective dont la virulence et l’intensité laisse supposer que le corps social tente d’exprimer quelque chose qu’il convient de parvenir à décoder. Ceci afin de juguler cette violence dévastatrice et éviter qu’elle ne produise à nouveau une explosion spectaculaire. Un passage par le chaos et les eaux primordiales mythologiques fait advenir le monde d’après. C’est ainsi que nous avions vu dans la violence l’instabilité propre à un changement majeur d’une civilisation et/ou d’une société.

En effet, comment ne pas voir le parallèle avec la théogonie d’Hésiode relatant la mythologie grecque ? Selon Hésiode, au départ existait le dieu Chaos, sans forme, sans fond, une sorte de néant insondable et infini d’où naquit, ex nihilo, Gaïa. C’est alors la Grande Mère, la déesse Terre qui donna vie au monde en créant Ouranos (le dieu ciel). Ceux-ci firent advenir les premiers dieux dans la violence puisque Gaïa se sépara d’Ouranos pour créer le monde, l’espace et le temps grâce au concours de son fils Kronos qui émascula son père. Le monde fut donc créé à partir de la violence primordiale de la castration et de l’inceste (8).

Dans l’imaginaire du 11 septembre nous retrouvons les mêmes séquences, l’apanage du chaos (années 1990, effet des découvertes de la physique quantique entrant dans le monde économique), l’événement du 11 septembre 2001 (violence destructrice, Ground Zero : trouée, béance, creuset) et le retour en force du mythe de la Grande Mère (écologie, environnement, montée des valeurs dites “féminines”), ceci pour faire advenir un nouveau monde que nous qualifions de RenaiSens. Il existe une sorte de prégnance des séquences mythologiques nourrissant l’imaginaire qui libérera ensuite la force nécessaire pour poser de nouvelles actions.

Ce changement fondamental vient questionner la nature même de notre humanité et nous invite à la redéfinir et à identifier ce que nous voulons pour son futur. Et pour cela, il nous faut trouver la vitalité nécessaire à notre RenaiSence, ou bien, sourds et aveugles, nous continuons sur le même mode et nous risquons de disparaître par les excès de folie et d’aveuglement.

« Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. » Isaac Newton

©Christine Marsan, Psycho-sociologue – « Entrer dans un monde de coopération. Une néo-RenaiSens » – Editions Chronique Sociale, 2013.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) La vitalité d’une néo-renaiSens a été rédigé en 2011 et actualisé en 2012 à l’occasion de la parution début 2013.
(2) Chevalier J., Gheerbrant A., Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, 1982.
(3) Distanciation que l’on pourrait retrouver au travers du virtuel. Les médias (Internet, Smartphone, jeu vidéo, réseaux sociaux) seraitent peut-être les nouvelles distanciations d’aujourd’hui, des “médias” qui pourraient révéler des nouvelles propriétés symboliques? Aplatissement de la réalité 2D ou au contraire distanciation 3D? Le débat reste ouvert et nous serons attentifs aux résultats des recherches pour prendre position.
(4) Des communautés se constituent aussi bien autour des loisirs que d’actions humanistes ou caritatives, voire même sportives. C’est leur multiplication qui laisse supposer que le besoin de se réunir redevient puissant et nécessaire
(5) Voir Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis, Quadrige, Puf, 1967. Et aussi Le dictionnaire de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Fayard, 1997. Le retour du refoulé est le retour hors de l’inconscient des contenus psychiques refoulés car inavouables ou inconciliables. Ils peuvent prendre la forme de symptômes psycho-pathologiques, rêves, actes manqués, lapsus, etc. (« Le Refoulement », in Métapsychologie, 1915). http://www.universalis.fr/encyclopedie/retour-du-refoule/

(6) Voyons ces jours-ci le buzz autour de Harlem Shake : danse syncopée mêlant ludique, rythme sacadé et simulations sexuelles rappelant le désir pulsionnel de la vie à se manifester. Cette manifestation “primale”, voire “bestiale” pour certains représente à nouveau l’archétype du diable : choquant, perturbateur et qui vient toujours provoquer l’ordre moral, bourgeois ou religieux. Rappelons que Harlem Shake vient confronter, par la danse et le ludique, une crise politique en Tunisie ou islmamisme et appétit démocratique s’opposent comme deux visions dichotomisées de la réalité. http://next.liberation.fr/musique/2013/02/18/le-harlem-shake-a-deja-fait-plus-de-44-millions-de-victimes_882612 ; http://www.liberation.fr/monde/2013/02/27/le-ton-monte-autour-du-harlem-shake-a-tunis_885080?xtor=EPR-450206
(7) Extrait remanié de L’imaginaire du 11 septembre, op.cit.
(8) Nous voyons l’impact de la mythologie grecque sur la psychanalyse de Freud.

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