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dématérialisation numérique

L’empreinte de la dématérialisation

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Les prouesses technologiques des NTIC contemporaines, propulsant « la dématérialisation » au-devant de la scène de l’économie spectaculaire, ont créé des représentations erronées quand à l’empreinte écologique, abyssale à dire vrai, des complexes appareillages fabriqués. Cet article a pour fin de reconstituer la chaine de production des NTIC et leur cycle de vie (ACV), pour mettre en lumière les différents problèmes posés par l’hymne au numérique du point de vue de son impact.

Aux prises avec la dématérialisation High Tech

France, année 2013 : 622 millions d’équipements électriques et électroniques sont mis sur le marché, ce qui représente le poids de 153 tours Eiffel, composées d’acier à hauteur de 45 % et de métaux non ferreux à hauteur de 8% (cuivre, cobalt, indium, tantale etc.) [1]. Cela représente plus de neuf gadgets High tech pour chaque français… pour ceux qui le peuvent du moins ! Les ménages les plus pauvres ne ciblent pas ce genre d’équipements en priorité, sans trop de surprise [2]. La fracture numérique est bien une réalité physique… mais serait-ce vraiment une bonne idée que de vouloir la résorber ?
 
Couvrir le territoire d’ondes et de smart-machines comporte un prix, et il n’est pas qu’économique : quoique difficile à percevoir, l’empreinte sur les écosystèmes du globe est monstrueuse. Dans les années 1990, il semblait que la dénommée « dématérialisation » s’épanouissait sur un support inerte, la présence en ligne se manifestant par des algorithmes numérisés. Derrière ce potentiel de virtualisation des échanges s’annonçait une troisième révolution industrielle, portée par les nouveaux fleurons de l’industrie et leurs hérauts adulés, comme le décès de Steve Jobs en témoigne. Une représentation asymétrique de la technique informatique se faisait jour : la pléthore d’activités virtuelles accélérait l’économie et favorisait les services, mais cette productivité générait une dynamique désimbriquée des réalités physiques, en dépit des branchements visibles et des écrans. La vague des NTIC polluerait moins que les moyens fonctionnels utilisés avant eux : information en ligne plutôt que supports imprimés, courriels plutôt que courriers, vidéoconférences à la place de déplacements énergivores, etc. Une panoplie d’arguments péremptoires s’ouvrait pour les partisans de la dématérialisation, qui a logiquement fait sa niche en société.
 
Soulignons encore que l’argumentaire se diffuse grâce à la pauvre visibilité de l’infrastructure numérique : productions délocalisées des composants complexes, miniaturisation informatique, fibres sous-marines, satellites, ondes, unités de stockage disséminées, etc. Ce découplage entre l’infrastructure numérique et son empreinte écologique a bien freiné l’acceptation d’un discours critique de la vie du High Tech au sein de l’écologie politique. Mais on sait aujourd’hui que les TIC dans leur ensemble consomment au moins 12 à 15% de la production d’électricité globale [3], et que, si l’Internet était un pays, il serait le 6ème consommateur mondial, devant l’Allemagne [4] : face à un tel constat, il ne reste plus de recours.
 
Pourtant, l’accent médiatique est généralement focalisé sur l’usage de ces technologies, alors que l’intensité énergétique qui est afférente ne représente qu’un fragment modeste de leur empreinte écologique, bien inférieur à l’énergie nécessaire pour la confection des produits, des ressources minières extraites pour la fabrication, des pollutions et risques globaux engendrés, de quoi répondent principalement les lignent qui suivent. Nous allons suivre le cours d’un fleuve turbulent, qui nous amène à la source des gisements métalliques (Bihouix P., De Guillebon B., Quel futur pour les métaux ?Raréfaction des métaux, un nouveau défi pour la société, EDP Sciences, 2010), traverse les salles de computing numérique, et termine sa course au fond des déchèteries urbaines. Cet article propose donc un état des lieux détaillé de ces technologies dont beaucoup d’entre nous se servent tous les jours, sans prendre la mesure de leur histoire.

I – L’intensité métallique des TIC

Il faudrait commencer par comptabiliser dans l’analyse du cycle de vie (ACV) des NTIC les tonnes d’explosifs nécessaires pour pulvériser les minerais et démembrer les particules de métal abondamment utilisées. La deuxième étape serait d’évaluer le bilan CO2 des métaux au cours des premiers traitements réservés : (a) hydro métallurgiques pour le lithium, le chrome, le zinc, le cuivre, le cobalt notamment, conjugué à des opérations de dissolution, de purification, d’électrolyse ; (b) pyrométallurgiques pour le nickel, le platine, le cobalt, accomplis par des grillages, oxydations et affinages, à grand renfort de bains acides soufrés ou chlorés. Mais une telle étude, à notre connaissance, n’existe pas pour l’ensemble de la planète : nous débutons donc par un bref horizon des connaissances établies.
 
A – L’extractivisme métallique à la source des NTIC
 
L’usage des métaux est de plus en plus dispersif dans nos sociétés : encres, papiers, peintures, teintures, cosmétiques, aéronautique, agriculture, feux d’artifice etc. Au total, la demande de métaux pour les industries des hautes technologies a fait plus que tripler au cours des 20 à 30 dernières années [5] ; au cours de la même période, la sollicitation des métaux dans la table de Mendeleïev est passée de 10 dans les années 1980 à 60 métaux dans les années 2010. La place des NTIC parmi d’autres industries de pointe conduit les prospectivistes de la Commission européenne à estimer que la demande européenne pour nombre de métaux rares va littéralement exploser d’ici 2030 : 22 fois plus de gallium, 8 fois plus de germanium et d’indium, 7 fois plus de néodyme, 4 fois plus de titane, 3 fois plus de cuivre [6] ! Et cette exploitation bien sûr n’est pas censée être opérée en remplacement des extractions traditionnelles : les nouveaux alliages sont surajoutés.
 
Extraction de terres rares sur le site minier de Mountain Pass, en Californie. / © Molycorp

 
L’industrie des TIC siège sur le tableau des éléments : un ordinateur portable contient 42 métaux différents, sur un total de 1500 composants au moins, idem les téléphones, technologie dont le chiffre de vente stagne à 1.7 milliard par an [7]. Le tableau ci-après montre l’énergie nécessaire à la récupération de 1 kg de métal à l’état vierge. 1500 joules, l’énergie nécessaire pour la production de certains métaux, équivalent à 416 kwh, ce qui représente approximativement l’énergie dépensée par une voiture ordinaire sur 25 km. Mais certains métaux exigent bien plus pour être congloméres :
 
Energie nécessaire à la récupération d’1 kg de métal vierge : ordres de grandeur [8]
 
Palladium                          18 000 MJ           5000 Kw/h         300 km de route
Platine                               19 000 MJ           5277 Kw/h         317 km de route
Or                                        31 000 MJ           8611 Kw/h         517 km de route
 
B – Dépendance et rareté : la fragilité de l’infrastructure numérique
 
Quelques innovations particulièrement emblématiques de la révolution de TIC ont ainsi généré une dépendance à des métaux (gallium pour les LED, Blue ray et laser, indium pour les écrans à cristaux liquides, germanium pour les transistors et les fibres optiques, tantales pour les condensateurs, etc. Il faut en effet bien garder à l’esprit que, comme pour les produits fossiles, (a) les métaux manquent de produits de remplacements adaptés à leurs divers fonctions (l’antimoine comme retardateur de flamme par exemple, ou les métaux permettant la mémoire digitale),  (b) que des pertes de performance sont associées à leurs remplacements (tantale, terres rares, niobium),  (c) et que les substituts sont contingents et limités (indium et gallium par du zinc ou cuivre, cobalt) [9]. La Commission européenne reconnait d’ailleurs la dépendance critique pour de nombreux métaux : cuivre, zinc, antimoine, tantale, cobalt, niobium, palladium, yttrium, indium, terbium, germanium, europium, ruthénium, gallium. La substituabilité des minerais apparaît donc faussement accréditée par l’abstraction d’un marché où se croiseraient forcément offre et demande.
 
Ce contexte a pour effet de minimiser les forces géopolitiques qui occupent une mainmise sur les métaux rares. Pour l’antimoine et le tungstène, la Chine assure plus de 80% de la production mondiale, 65% pour le germanium, elle exporte aussi 95% des minerais de terres rares [10], Il faut garder à l’esprit également que certaines matières considérées pour leur potentiel de substitution aux métaux rares, comme le graphite, sont également exportés de Chine à hauteur de 75% [11]. Le tantale (coltan) est importé à bas coût de RDC à hauteur de 80%, quand le lithium, la platine ou l’étain dépendent d’une poignée de pays. Or, très souvent, ce sont ces mêmes ressources qui doivent être utilisées dans les industries des énergies renouvelables et autres technologies de haut vol. Bientôt, des choix s’imposeront pour faire face aux déficits d’importations : on peut raisonnablement prévoir qu’au moins une douzaine de métaux manqueront cruellement dans les 30 prochaines années. Le spectre de la rareté hante donc l’ensemble de l’industrie des NTIC.
 
Outre les fortes émissions de CO2  et de soufre notamment, l’industrie des métaux génère la formation de boues toxiques pouvant se propager dans les cours d’eau, les océans, et intoxiquer la biodiversité environnante par l’exposition respiratoire et la bioaccumulation des particules dans la chaine alimentaire. Les métaux ont des effets sur le code génétique en neutralisant les acides aminés utilisés pour la détoxication, ils endommagent les cellules nerveuses et causent des allergies [12]. La fabrication des ordinateurs portables recquière divers métaux aux attributs très toxiques forts (chrome, sélénium, mercure, arsenic), ou moyennes toxiques (antimoine, étain, cuivre, manganèse, cobalt), mais l’impact environnemental le plus important concerne les métaux précieux (palladium, or et argent) qui contribuent à presque 50% de l’impact global des matériaux. L’industrie des NTIC participe donc fortement de la destruction de différents écosystèmes : forestiers (sous les latitudes tropicales en Afrique de l’ouest, en Guyanne, en Nouvelle Calédonie ou en Indonésie par exemple), et maritimes, puisque c’est là que sont relâchées les boues toxiques issues des mines.

II – Fabrication digitale et composants micro-électriques

Le sujet de la fabrication numérique est un sujet très peu médiatisé, alors qu’il se révèle être un enjeu crucial de l’industrie des NTIC. Sans les suites algorithmiques de 0 et de 1 et les machines robotisées qui juxtaposent des découpes lasers, des fraiseuses digitales, et d’autres compétences utltra-techniques, la fabrication physique des NTIC serait impossible. Raison pour laquelle l’évaluation matérielle d’une technologie sur une autre devient de plus en plus ardue : s’il faut des machines digitales pour faire des ordinateurs, des machines digitales commandées par ordinateurs sont nécessaires pour mettre au point des machines de design digitales. La construction de nos composants micro-électroniques retombe sur un cercle systémique où chaque élément intègre une structure aussi large que méconnue. Chacun des composants micro-électriques est administré par une gigantesque intriquation robotique et informatique ; le logiciel d’analyse s’est donc transformé lorsque les forces mécaniques et l’énergie manuelle ont été remplacées par la fabrication digitale.
 
A – Les CNC : ogres de l’énergie
 
Pour informer de l’essentiel, retenons qu’à partir des années 2000, l’intensité énergétique des machines-outils numériques (Computer Numerical Control : CNC) à littéralement explosé. Si l’efficacité énergétique de ces machines a été légèrement améliorée à la fin du XXème siècle, la tendance s’est inversée dans les années 2000. Pour réaliser une même opération complète de découpe métallique, une fraiseuse numérique des années 2000 demande 25 fois plus d’énergie qu’une machine numérique antérieure, et 75 fois plus qu’une machine-outil manuelle [13]. Il est particulièrement remarquable que l’intensité énergétique des nouvelles CNC soit très difficile à rabaisser : les conditions thermiques nécessaires à leur démarrage sont telles qu’elles sont systématiquement laissées allumées, prêtes à l’usage. Cette situation implique que seule 15% de l’énergie consommée par ces machines sert effectivement à l’usinage des pièces, les 85% restants étant le préalable à toute utilisation [14] !
8000 milliards de transistors sont construits chaque seconde
Les machines CNC permettent la réalisation de nombreux composants phares, dont notamment :
– Des transistors, emblème de la surproduction en micro-électronique, car ces micro-interrupteurs électroniques sont indispensables aux modulations des tensions. Selon le chercheur Jean-Luc Autran, 8000 milliards de transistors sont construits chaque seconde [15], dans des salles vierges de poussière où les machines sont approvisionnées en ressources modifiées : de l’air micro-filtré, de l’eau absolument pure grâce à des alliages chimiques, et de la silicone ;
– Des puces électroniques à la pelle. Avant 2007, la fabrication d’une puce requerrait 32 litres d’eau, 1,6 litre de pétrole, et 72 grammes de produits chimiques [16]. Ces chiffres paraissent faibles tant qu’on évite les comparaisons à plus grande échelle : il faut aujourd’hui 800 kg de fioul pour produire 1 kg de micro puces, quand il ne faut que 12 kg de fioul pour produire 1 kg d’ordinateur ! [17] ;
– Des circuits imprimés miniatures. C’est ce qui explique les dimensionnements des ordinateurs portables, où la carte mère centralise les cartes afférentes (carte graphique, son, carte mémoire etc.) et concentre 90% du tantale, 64% du palladium, 57% de l’argent, et 46% de l’or utilisés dans la machine, avant les autres composants [18].
 
 
B – Aux frontières de l’électronique : les effets pervers de la dimension nano
 
La miniaturisation électronique est au-devant d’une nouvelle frontière. Après avoir dépassé la frontière de 10-9 mètres pour la mise au point des dernières vagues de composants, on sait qu’à une échelle atomique, les composants électroniques n’obéissent plus aux lois de la physique gravitationnelle mais de la physique quantique. Pour l’heure, l’industrie développe le recours aux nanomatériaux, dont les mérites sont vantés à plusieurs égards : les particules nanos ont d’immenses capacités de résistance mécanique et thermique ainsi que de conductivité électrique, parfois de 50 ou 100 fois les potentiels des métaux classiques [19].
Actuellement, les procédés à l’étude visent principalement deux avantages : favoriser des gains d’efficience, grâce aux propriétés thermiques et conductrices (notamment pour les micro-puces) ; réduire les émissions de gaz à effet de serre et les pollutions. Mais comme toujours, ces avantages doivent être recadrés dans une perspective élargie, car tous les nanomatériaux ne se valent pas. La production d’un kilogramme de nano fibres de carbone emploie jusqu’à 3,000 MJ, quand les nanotubes en consomment 15 fois plus (50 00 MJ), et la production de semi-conducteurs grimpe à 100 000 MJ [20].
Par ailleurs, le changement d’échelle nano génère des inquiétudes : les propriétés toxicologiques sont transformées par la taille des matériaux. Si les matériaux nanos sont à priori inoffensifs durant les phases d’usage – les composants sont alors isolés et confinés – leur fabrication génère des émissions diffuses extrêmement toxiques. On sait ainsi que le nano-argent émet 4 fois plus de protoxyde d’azote lorsqu’il arrive en station d’épuration, une situation qui s’explique par la taille des particules [21]. Si on reconnait déjà que de nombreux produits chimiques sont associés avec des maladies chroniques telles que les cancers, l’asthme, et les problèmes respiratoires, il manque une connaissance pathologique des effets des nano-cocktails de produits, et des conséquences non linéaires induites par des expositions à des dosages plus ou moins forts [22].
Des expériences menées sur des souris à l’université d’Edimboug ont montré que les nanotubes de carbone, qu’ils soient longs ou courts, ont les mêmes effets que les fibres d’amiante, connues pour être des déclencheurs de mesotheliome [23], un cancer funeste qui attaque le péricarde et les poumons. Chaque mise sur le marché d’un nanomatériau devrait donc intervenir après une batterie de tests, mais ce problème ne semble pas trop inquièter les industriels, qui n’allouent que 3% de leurs recherches sur les nanos à l’étude des risques [24].

III – Le défi impossible du recyclage industriel des D.E.E.E

Selon l’Ademe, un Équipement Électrique et Électronique (EEE) est un équipement conçu pour être utilisé à une tension ne dépassant pas 1500 volts en courant continu. Cette définition chapote donc une multitude d’appareils aux fonctions variées : machine à laver, télévision, perceuse, distributeur automatique, lampe, téléphone portable, etc. Cette définition a notamment pour objet de pouvoir réglementer les propagations toxiques : la directive D.E.E.E. vise ainsi à limiter l’exposition aux flux de mercure, de cadmium, de plomb, et d’autres agents pathogènes.
Si en 2013 le marché des D3E représentait 23 kg de marchandises pour chaque français, la part de déchets collectés s’élevait seulement à 6.9 kg [25], ce qui est légèrement en-deçà de la moyenne de l’Union, le reste ayant été exporté, recyclé dans des conditions non conformes, ou bien jeté à la poubelle. La collecte est donc insuffisante par rapport aux besoins de récupération, mais les possibilités même de recyclage sont limitées : seulement 40% de la masse des TIC est recyclable [26].
 
Pour les smartphones par exemple, les matériaux communs comme le fer, le cuivre ou le zinc sont en majeure partie recyclés. Mais gardons à l’esprit que les éléments qui composent la batterie (15% du poids total), peuvent être inutiles si le potentiel ionisant est épuisé (lithium principalement, cobalt, graphite, cuivre). Surtout, une quarantaine d’autres métaux sont utilisés de façon diffuse : ils ne pèsent pas plus de 0.2% du poids total. En ce qui les concerne, et en dépit de leur préciosité, ils ne sont pas recyclés à plus de 1%, s’ils sont recyclés (gallium, indium, tantale, germanium, lanthanides) [27]. Ce n’est pas surprenant, car la fabrication miniaturisée se fait par couches successives, et chaque composant aura les attributs intégrés d’un mini-méta-matériaux. Par conséquent, non seulement le recyclage se heurte à des difficultées techniques titanesques, mais une quantité d’énergie gigantesque sera nécessaire pour ne récupérer que des particules infimes. On ne sera pas surpris dès lors qu’au total, seul 0.1% des nanomatériaux de l’électronique soit recyclé [28].
 
Seulement 40% de la masse des TIC est recyclable
La demande actuelle faite au consommateur de rapporter des produits en boutique ne préfigure pas toujours le réemploi des matériaux mais assure l’amoncellement de NTIC sur des dépotoirs géants de pièces usinées remarquables de précision, mais considérées comme obsolètes. Ces déchets se retrouvent fréquemment dans des pays du Sud, notamment en Inde, en Chine, et en Afrique de l’ouest. Souvent, des plages entières sont sacrifiées pour accueillir les D3E du Nord et il n’est pas rare qu’aucune instance publique de régulation soit responsable des lieux. Or la récupération à la volée des métaux et des composants dont nous sommes consommateurs débouche très vite sur des cancers rares et funestes.
 
 
A force d’extraction, les mines n’offrent plus de bons rendements métalliques : les déchets électroniques deviennent donc plus précieux, ce sont des « gisements urbains ». Et pour cause : il se trouve 3 fois plus d’or dans une tonne de téléphones portables que dans une tonne de minerais d’or [29].
 
Quelle responsabilisation de l’usager des NTIC ?
 
En moyenne, un français consomme à l’année 8 kg de cuivre, 5 kg de zinc et 1 kg de nickel [30] ; si l’on décompte l’automobile, le reste de cette consommation passe essentiellement par les TIC et les nouveaux produits électroménagers. Or, si la consommation électrique imputée aux TIC explose, la performance énergétique des produits est au point mort : elle dépend surtout de la programmation de nouveaux algorithmes pour transmettre ou recevoir les données, ce qui rencontre tôt ou tard des limites [31]. La voie engagée de la haute technologie ne permet pas de réduire significativement l’empreinte énergétique depuis l’intégration de métaux rares comme le hafnium ou le germanium ; ceux-ci vont améliorer la performance énergétique à l’usage, mais impliqueront en amont une forte dépense d’énergie.
 
Par conséquent, la marge de l’utilisateur se situe surtout dans ses modalités d’accès à Internet : un téléphone connecté en 3G peut consommer davantage que le GSM pour échanger 1Gb [32]. Évidemment, les utilisateurs peuvent limiter leurs émissions de GES associées à leurs produits, en restreignant les applications ouvertes, en évitant d’utiliser internet, ou les vidéos en ligne par exemple, question que nous abordons dans un autre article. Du point de vue de l’énergie d’usage des technologies, des efforts peuvent être consentis : nous ne sommes pas obligés de consommer autant d’énergie avec son smartphone qu’avec son réfrigérateur (plus de 360 kWh/an) [33] !
 
Pour autant, la majorité des éco-gestes restent vains et sans effet. Ainsi, David MacKay dénonce le cache-misère des éco-gestes : si tout le monde en fait un petit peu, nous n’accomplirons qu’un petit peu. Il remarque notamment l’inefficacité complète des consignes consistant à débrancher les chargeurs [34] : Toute l’énergie économisée en débranchant votre chargeur pendant un jour est consommée en une seconde de conduite. L’énergie économisée en débranchant le chargeur pendant un an est égale à l’énergie d’un seul bain chaud.
 
Durant tout ce temps où les concitoyens du Nord s’évertuent à placer des fumigènes devant leur vue, ils consomment des montagnes calorifères. A l’heure de la mondialisation du XXIème siècle, on ne devrait pas être surpris d’apprendre que nous importons notre énergie comme nous exportons nos pollutions. Ainsi, un citoyen britannique consomme au moins 40 kilowatt/heure par jour directement importé d’Asie, si l’on tient compte de la fabrication des objets manufacturés : machines-outils, électroménager, électronique, automobiles, acier etc.
Durant tout ce temps aussi, les multinationales trompent les consommateurs en rendant leurs produits obsolètes, en contournant les règlementations, pour relancer la machine extractive toujours davantage polluante. Ainsi, une fois l’achat d’un matériel effectué, il ne reste guère de marge pour diminuer l’empreinte globale du produit : nous espérons en avoir apporté la preuve.
 
Hadrien Kreiss, chroniqueur invité – watch-out-project
 
Notes & références
 [1] Poids de la tour Eiffel : 10 100 tonnes (wikipédia) x 153 = 1 545 300 tonnes. Divisé par 66 millions de français : environ 23 kg de DEEE par personne et par an en France et dans les Doms. Source : Équipements électriques, et électroniques, Rapport Annuel sur les données 2013, Registre DEEE, 2014, p.65 A télécharger à partir de : http://www.presse.ademe.fr/2014/11/quid-de-nos-dechets-dequipement-electrique-et-electronique-en-2013.html
[2] La fracture numérique se produit également au sein des pays du Nord. En 2009, seuls 48 % des foyers français disposant de moins de 1000 € par mois avaient un ordinateur, contre 84 % de ceux disposant de 2300 à 3100€/mois, selon G. Trouvé dans son intervention à la Ubuntu Party le 29/11/2015 à la Cité des sciences, sur le thème : L’angle mort écologique du numérique, à consulter sur : http://media.ubuntu-paris.org/videos/15.10/angle-mort-ecologie-numerique.webm
[3] L’infrastructure d’internet utilisait déjà 7% de l’énergie mondiale en 2002, les TIC dans leur ensemble consommeraient aujourd’hui 12 à 15% de la production électrique globale, voir : Boenisch G., Flipo F., Deltour F., Dobré M., Michot M., Peut-on croire aux TIC vertes ? Technologies numériques et crise environnementale, Questions de communication, N° 23, 2013, §.3 ; URL : http://questionsdecommunication.revues.org/8607
[4] D’après Consoglobe, Internet consomme davantage d’électricité que l’Allemagne, 6ème consommateur derrière l’Inde : http://www.planetoscope.com/Source-d-energie/224-consommation-electrique-due-a-l-informatique-dans-le-monde-en-kwh.html
[5] Voir les informations sur :  http://ecoinfo.cnrs.fr/article323.html?lang=fr
[7] Bihouix P., De Guillebon B., Quel futur pour les métaux ? Raréfaction des métaux, un nouveau défi pour la société, EDP Sciences, 2010, p.46. Pour les téléphones, les chiffres de vente seraient stables depuis 3 ans. Voir : http://www.planetoscope.com/electronique/156-ventes-mondiales-de-telephones-portables.html
[8] Voir l’article L’énergie des métaux sur : http://ecoinfo.cnrs.fr/article329.html
[9] European Commission, Working Group on defining critical raw materials, Critical raw materials for the EU, Report of the Ad-hoc working group, 2010, p.36 et s. ; URL : http://www.euromines.org/files/what-we-do/sustainable-development-issues/2010-report-critical-raw-materials-eu.pdf
[10] Commissariat général à la stratégie et à la prospective, Barreau B., Hossie G., Lutfalla S., Approvisionnements en métaux critiques, Un enjeu pour la compétitivité des industries française et européenne, 2013, p.22 [extrait du graphique] ; URL : http://www.strategie.gouv.fr/blog/2013/07/approvisionnements-en-metaux-critiques-dt/
[11] European Commission, Working Group on defining critical raw materials, Critical raw materials for the EU, 2010, op. cit., p.79
[12] Bihouix P., De Guillebon B., Quel futur pour les métaux ?, 2010, op. cit., p.46.
 [13] Voir les analyses de Kris de Deacker :  http://www.lowtechmagazine.com/2014/03/how-sustainable-is-digital-fabrication.html ; Les sources fournies sur son site :  An Environmental Analysis of Machining (PDF), Jeffrey B. Dahmus and Timothy G. Gutowski, Proceedings of 2004 ASME International Mechanical Engineering Congress, 2004 et  A Power Assessment of Machining Tools (PDF), David N Kordonowy, May 2002 ; voir aussi : http://www.nature.com/nature/journal/v444/n7117/full/444267a.html ;
http://www.eurekalert.org/pub_releases/2008-05/poen-cnt051908.php
[15] Voir la présentation pdf et la vidéo de Jean Luc Autran, chercheur au CNRS, pour les 10 ans d’EcoInfo : « Vers une informatique éco-responsable ? » (23 avril 2015) : http://ecoinfo.cnrs.fr/IMG/pdf/presentation_eco_info_jla_2-img800q90.pdf, p.13  ; https://webcast.in2p3.fr/videos-fabrication_eco_responsable
[16] Gras A., Le choix du feu, Aux origines de la crise climatique, 2007, fayard, p.46
[18] Informations tirées du tableau : http://ecoinfo.cnrs.fr/article323.html?lang=fr
[19] Information échangée au Forum Nanoresponsabilités, le 25/11/2015 à Paris ; voir le compte-rendu : http://www.nanoresp.fr/wp-content/uploads/2015/12/CR-Forum-Nano%C3%A9nergie_FIN.pdf
[21] Information échangée au Forum Nanoresponsabilités, le 25/11/2015 à Paris ; voir le compte-rendu : http://www.nanoresp.fr/wp-content/uploads/2015/12/CR-Forum-Nano%C3%A9nergie_FIN.pdf
[22] Idem.
[23] L’article sur Low tech magazine et des liens sur les recherches scientifiques : http://www.lowtechmagazine.com/2008/05/nanotechnolog-1.htmlhttp://www.scientificamerican.com/article/carbon-nanotube-danger/
[24] Information échangée au Forum Nanoresponsabilités, le 25/11/2015 à Paris ; voir le compte-rendu : http://www.nanoresp.fr/wp-content/uploads/2015/12/CR-Forum-Nano%C3%A9nergie_FIN.pdf
[25] ADEME, Rapport annuel sur la mise en œuvre de la réglementation relative aux Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE), 2013, op. cit. p.39
[26] G. Trouvé, intervention à la Ubuntu Party le 29/11/2015 à la Cité des sciences, sur le thème : L’angle mort écologique du numérique, à consulter sur : http://media.ubuntu-paris.org/videos/15.10/angle-mort-ecologie-numerique.webm
[27] Voir les informations sur l’article d’Eric Drezer sur : http://ecoinfo.cnrs.fr/article328.html
[28] Information échangée au Forum Nanoresponsabilités, le 25/11/2015 à Paris ; voir le compte-rendu : http://www.nanoresp.fr/wp-content/uploads/2015/12/CR-Forum-Nano%C3%A9nergie_FIN.pdf
[29] La quantité de minerais d’or dans 1 tonne de téléphones portables est estimée à 15 grammes, d’après G. Trouvé dans son intervention à la Ubuntu Party le 29/11/2015 à la Cité des sciences, sur le thème : L’angle mort écologique du numérique, à consulter sur : http://media.ubuntu-paris.org/videos/15.10/angle-mort-ecologie-numerique.webm ; selon Bihouix, 5 grammes récupérés dans 1 tonne de minerais d’or d’après l’entretien réalisé par Basta! mag avec Philippe Bihouix : http://www.bastamag.net/Quand-le-monde-manquera-de-metaux
[30] Bihouix P., De Guillebon B., Quel futur pour les métaux ? […], 2010, op. cit., p.23, ou à consulter sur la page 6 du document : http://www.la-bibliotheque-resistante.org/mes_textes/quel_futur_pour_les_metaux_chap_intro.pdf
[32] Voir la source citée Par Fabrice Flipo dans L’infrastructure numérique en question, Entropia, N°3, 2007, p.2 URL : http://fabrice.flipo.free.fr/Publications/2007/Flipo%20Entropia%20L%27infrastructure%20num%E9rique%20en%20question.pdf :  « M. Faist Emmenegger, R. Frischknecht, M. Stutz, M. Guggisberg, R. Witschi & T. Otto, LCA of the mobile communication system UMTS, in SETAC, 11th LCA Case Studies Symposium – Abstracts, 2003, p.105-10 »
[34] Levraud J. P.; Le Boudec J-Y., L’énergie durable – pas seulement du vent ! David J.C. MacKay, Un synopsis en dix pages, Institut Pasteur, EPFL, 2010, p.3 ; à télécharger sur :  www.amides.fr/sewtha_synopsis_pdf.php
 

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