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médiation sociale

L’épopée du Social à l’épreuve de l’innovation

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“La maréee montante soulève tous les bateaux ; finie la pauvreté si tu as un bateau.”
Lawrence Ferlinghetti

L’assistanat à sens unique n’a jamais permis aux défavorisés de se construire le destin de leurs souhaits.
“Vous voulez les pauvres secourus, moi je veux la pauvreté supprimée,” s’indignait en son temps l’auteur des Misérables. Ce ne fut qu’après la Libération que les pouvoirs publics mirent ce voeu à leur ordre du jour, avec l’institution d’un Etat providence, respectant la dynamique de la solidarité. La refondation de ce modèle social est aujourd’hui envisagée, en raison notamment de ses déficiences vis-à-vis des attentes de notre Société. Ces dernières concernent, par exemple, la qualité de notre “vivre ensemble”, ou encore les processus de co-décision dans la gestion locale et territoriale. Les lignes qui suivent interrogent quelques  initiatives prometteuses en ces domaines.

Photo : Sculpture »La Foule illuminée » de Raymond Masson  -1986 – Avenue McGill à Montréal (Canada)
Les 65 personnages de la sculpture forment une société serrée avec ses couples, ses jeunes, ses vieux, ses rires, ses peurs,…

L’esprit novateur de l’Etat providence

La conjoncture sociale de ce siècle, de par les  enjeux dont elle est porteuse, n’est pas sans ressemblance avec celle que nous avons connue au lendemain de la 2ème guerre mondiale. “Développement économique et protection sociale”, tels étaient alors les maîtres mots de l’effort de reconstruction ayant permis dans notre pays l’avènement d’un  Etat providence, qu’il dotait d’une double mission :
–  Réduire les inégalités de revenus entre nantis et démunis par une redistribution équitable des richesses de la Nation,
–  Protéger notre population contre les aléas de l’existence, en faisant de l’esprit de solidarité le principe fondateur du droit de notre Sécurité Sociale, dont nous célèbrons cette année le 70è anniversaire.

Pour le professeur Alain Supiot, titulaire de la chaire “Etat social et mondialisation. Analyse juridique des solidarités” au Collège de France, cette novation est motivée par le fait que “ce n’est pas la pauvreté qui est créatrice d’un droit à être secouru mais la participation à un système de solidarité au sein duquel chacun peut être tour à tour créancier et débiteur à proportion de ses besoins et ressources. C’est ce qui fait de la solidarité un instrument de l’égale dignité des êtres humains » (1).
Les effets positifs de notre modèle social ne sont plus à démontrer. Ce dernier mobilise 32 % du PIB national et emploie, avec le renfort de très nombreux bénévoles, plus d’un million de salariés, répartis en quatorze spécialités faisant l’objet de diplômes d’Etat. Les trois quarts de leurs employeurs sont des Associations loi 1901, financées par l’Etat à concurrence des deux tiers de leurs budgets.
Les attentes de la Puissance publique à l’égard de ces travailleurs sociaux sont de deux ordres, comme le précise André Ramoff, directeur de l’Action sociale à son Ministère de tutelle : “Le travail social n’a pas pour simple finalité de colmater des brèches dans des situations d’urgence. Il a pour principale mission d’écouter les individus, d’aller au devant de leurs besoins réels dans leur milieu de vie, afin d’améliorer les capacités d’analyse et de communication nécessaires au plein épanouissement des hommes” (2).
Telle est la tradition en vigueur chez les professionnels du travail social, malgré le manque fréquent des moyens mis à leur disposition pour répondre aux besoins rencontrés. S’y ajoute, observe le sociologue et politiste Michel Chauvière, “une forte éthique d’implication. Cette pratique s’exerce en effet à mains nues, avec le seul support de la parole. Sauf cas particulier, le travailleur social ne crée pas d’emploi, pas de logement, pas de revenus. Le soutien qu’il apporte parfois aux usagers actifs n’est pas contractuel mais plutôt de l’ordre d’une pédagogie.” (3)

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Le social, un nouveau “marché” ?

Depuis une vingtaine d’années, observent avec inquiétude  les acteurs du social, l’Etat se livre à une politique de déconstruction, tendant à remplacer son rôle de protecteur par celui de soutien conditionnel, selon un régime d’appel d’offres mettant en concurrence le milieu associatif avec le secteur marchand. Cela revient à confondre le secteur social avec le secteur économique. Alors que la vocation du premier est d’ordre relationnel, son activité soutenue par le bénévolat et que sa raison première est de faire vivre l’esprit de fraternité dans nos sociétés et non pas celui de la rentabilité.
Faut-il voir dans cette dérive “ la fin de l’épopée de générosité entamée à la Libération ?” s’interroge Michel Chauvière. Et de redouter “que ces processus cumulés en viennent à signer la fin du Social comme travail, comme institution et comme éthique collective.” (4)

Sans partager ce pessimisme, certains prescripteurs en ce domaine seraient favorables à une réforme de notre système de protection sociale, qu’ils jugent devenu “peu efficace, coûteux et illisible” (5). Il devient donc de plus en plus nécessaire à leurs yeux de l’adapter aux nouvelles exigences d’un marché du travail de surcroît sinistré par le chômage de masse. Un phénomène devenu, avec celui de la croissance des inégalités, le premier sujet de préoccupation de nos concitoyens.
Pour sa part, un rapport établi par le Cepremap, (Centre pour la recherche économique et ses applications, sous tutelle du Ministère de la Recherche (6) confirme ce diagnostic mais sur la base d’une approche différente. Il impute en effet ce qu’il nomme “l’autodestruction de notre modèle social » à la défiance des Français entre eux, comme à l’égard de  toutes leurs Institutions. Il rend responsable de cette situation “ l’excès de corporatisme et d’étatisme inscrit dans la logique de notre Etat providence alors qu’il est nuisible à l’instauration d’un véritable dialogue social dans notre pays.” D’où sa préconisation de “renforcer les associations intermédiaires, essentielles au maintien de la confiance  mutuelle dans notre pays. Pour activer cette dernière, l’Etat doit cesser de tout réglementer et transférer des champs de compétence à la société civile.” (7)

La nouvelle feuille de route du Social

A ce tournant de son Histoire, où la refondation durable d’une institution n’est possible que sur le mode démocratique, la cause du Social  sollicite l’initiative citoyenne de façon grandissante. Ce qui rejoint les voeux de ces Français qui se prononcent à 57 % en faveur “des citoyens eux-mêmes”, quand on leur demande à qui ils accordent leur confiance pour améliorer leur vie quotidienne. IIs votent ensuite pour les ONG et le milieu associatif, tandis que le Gouvernement et les Syndicats ne recueillent plus chacun que 27 % de leurs suffrages.
Mais selon Françoise Fressoz, journaliste au Monde, la majorité de notre population ne croit pas à la possibilité de prendre son destin en main. Ecoutons-la : “L’intervention de l’Etat providence est ressentie par nos compatriotes comme une sorte de matelas social, qui leur évite des mesures d’austérité par trop éprouvantes. Mais cette situation déçoit leurs attentes, quand ils doivent se contenter, sur les sujets qui les préoccupent, du bavardage des médias. Certes, la vie associative leur offre de multiples occasions d’agir mais son tissu segmenté fragilise la position de la Société Civile dans le débat public. Et chacun de rester dans son coin, dans une morne résignation.” (8)
Cette forme de démobilisation apparaît par contre minoritaire au sein de la jeune génération à qui le numérique permet “de se réapproprier la politique par de petits actes quotidiens… Syndicats, Lobbies et partis traditionnels peuvent être court-circuités par des actions initiées en ligne (9).
Ce même numérique favorise par ailleurs l’expression citoyenne dans nombre d’instances au rayonnement local, voire régional où son apport est apprécié. Ces pratiques conduisent leurs acteurs à déborder le champ du politique stricto sensu, pour affronter des problèmes aussi essentiels en démocratie que celui du développement de leur Bassin de vie, enjeu premier de toute politique territoriale. Et c’est ainsi que parviennent à se transformer, sur le mode de la co-gestion participative, des métropoles et des espaces deshumanisés en lieux de citoyenneté, un peu partout en France et en Europe.

Une initiative exemplaire de co-gestion territoriale

Le témoignage ci-dessous retrace l’action animée, depuis 2002, par Dominique Royoux, géographe, professeur associé à l’Université de Poitiers et Directeur du Service des Coopérations territoriales de cette ville. Il a la charge, à ce dernier titre, de conduire les travaux du Conseil de développement du Grand Poitiers qui réunit, autour de ses responsables territoriaux, 150 membres représentatifs des milieux associatifs et professionnels implantés dans cette agglomération.
Co-Auteur, avec dix universitaires en sciences humaines, d’un récit de cette expérience (10), Dominique Royoux a bien voulu nous en commenter les temps forts. Ecoutons-le :  “Les lois de décentralisation des années 80 du siècle dernier ont été appliquées localement sur le mode régalien du sens unique. Au lieu d’être concertée avec les citoyens, l’action publique s’est traduite par une offre de projets émanant des seuls élus. Ce qui a écarté du débat la population intéressée par la bonne organisation de sa vie quotidienne. »

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Dominique Royoux

Ainsi s’explique que l’espace urbain ne constitue, trop souvent, pour ses habitants, qu’une entité géographique mal adaptée à leurs besoins quotidiens et dépourvue de convivialité.
Dès sa prise de fonction, Dominique Royoux a donc entamé à leur intention un processus d’appropriation collective qui a permis d’inscrire la circonscription du Grand Poitiers dans les quatre dimensions constitutives d’un Territoire de plein exercice.” La première de ces dimensions est de nature identitaire,” precise-t-il ; “elle est tributaire de sa composition sociale ; la seconde dimension est d’ordre historique et s’inscrit dans le temps long ; la troisième est politique, selon son découpage électoral et ses traditions. La quatrième de ces dimensions est de nature symbolique et constitue un facteur puissant de mobilisation sociale.”
Ce faisant, il a constaté que de nombreux citoyens étaient disposés à donner aux élus leur avis en matière de décision publique d’intérêt local, par exemple pour l’organisation des horaires des services et des transports publics. Ce qui a conduit Dominique Royoux à présider, au plan national, un “Bureau des temps” raccordé au réseau européen “Tempo territorial” et réunissant une trentaine de villes françaises, sur le mode de la concertation collaborative.
Ainsi prend forme, en accompagnement  de la co-gestion territoriale, une démarche d “écologie temporelle”, qui ne vise pas simplement à aménager le temps pour le rentabiliser mais à le “ménager “ sur le mode qualitatif, en conformité avec les rythmes journaliers et les contraintes spatiales de chacun (11).

La Médiation élargie et ses promesses

On sait qu’à son origine la Médiation a reçu de la Société civile, son berceau, la mission d’apaiser les conflits en différents milieux (notamment familial, scolaire, pénal…) grâce à l’intervention d’un tiers neutre et indépendant, le médiateur. Elle s’impose depuis les années 90 avec succès dans un nombre grandissant de domaines et de situations.
Or l’exemple de Poitiers illustre, à l’initiative de Dominique Royoux et sous l’étiquette de “Médiation élargie”, une tendance évolutive qui, tout en respectant la même éthique, diffère de celle observée dans son processus traditionnel. La Médiation élargie invite en effet ses intervenants à assumer une mission d’accompagnants, ou de facilitateurs auprès de collectivités. Leur rôle est de permettre à des communautés de travail le maintien en leur sein du climat de bonne entente nécessaire à la poursuite de leurs objectifs.
”Dans la Médiation ainsi élargie”, précise Dominique Royoux, “La parole circule dans les deux sens et les gouvernés sont invités à faire état de leurs compétences d’usagers auprès de leur tutelle. La tâche de réfléchir à la façon dont fonctionne une organisation incombe alors à tous ses acteurs, lesquels ne deviennent pas pour autant des médiateurs mais contribuent à l’observance de l’esprit de médiation dans leur organisation.”

Ce type d’expérience confirme l’intuition de l’Ecole de “la Médiation Humaniste”, selon laquelle, comme le développe le Professeur Etienne Le Roy lors d’un colloque (12), “l’esprit de la médiation est moins de faire disparaitre un conflit que de prendre en charge le devenir d’un collectif aux frontières plus ou moins dessinées, quand ce devenir passe par de nouvelles ambitions à donner à ses membres… le médiateur devient alors effectivement un passeur de vie nouvelle.”

Notons que ces préoccupations à finalités professionnelles font l’objet, dans la plupart de nos universités, de cursus offrant aux futurs managers en gestion sociale une formation pluridisciplinaire en sciences humaines, de niveau Master. Les différentes formes de Médiation y tiennent une place significative, où l’importance du “facteur humain” est reconnue comme elle le mérite. Tel est le cas notamment à l’IFOMENE (Institut de formation à la médiation et à  la négociation) dont le Directeur, Stephen Bensimon, philosophe, estime que la diversification en cours des pratiques de la Médiation, qu’il pratique lui-même en qualité de consultant, est un signe positif pour son avenir et pour celui de la citoyenneté sociale.

A la conquête de nouveaux objectifs

“La solidarité renaît toujours de ses cendres. “
A. Supiot

Pour qui l’observe sous le bon angle, l’épopée du social  poursuit aujourd’hui deux objectifs, dont le premier, celui de la solidarité, a donné à la population de meilleures conditions d’existence, voire la possibilité de survivre en milieu hostile. Une analyse approfondie de ses avancées, dûe au Professeur Supiot, démontre qu’elles sont irréversibles, bien que trop lentes encore pour porter pleinement leurs fruits (13).
Le deuxième de ces objectifs vise à éradiquer le bellicisme dont souffrent nos Sociétés pour leur faire adopter la culture de paix, ce qui ouvrirait à la solidarité de nouveaux horizons. Cet objectif n’a longtemps intéressé qu’une élite d’innovateurs, de défricheurs d’espoir, de militants des droits de l’homme et autres artisans de paix. Mais ces temps sont révolus depuis que les Forums sociaux mondiaux ont donné une audience planétaire à ces pionniers, en démontrant que l’Humanité était bel et bien en attente d’autre chose que le maintien de l’ancien contrat social. Sur la forme à donner à cette ”autre chose”, les débats sont largement ouverts dans de nombreux pays.

Interrogée à ce propos par Annne-Sophie Novel, la journaliste Laure Belot estime“qu’aujourd’hui, nous vivons une période de basculement dans l’ère de l’incertitude. La Société se scinde entre deux types d’acteurs : ceux qui réussissent à identifier les phénomènes sociétaux émergents, les signaux faibles et les autres. L’important pour le moment est d’observer et d’apprendre” (14).
Certains médias semblent encourager cet état d’esprit, ce dont témoigne l’anecdote suivante : interrogé à la radio sur ce qui avait changé dans son art depuis ses débuts, un  chansonnier a répondu, “je ne vois qu’un seul changement dans mon domaine. Maintenant, dans la chanson, on ne dit plus JE mais on dit NOUS bien plus souvent. Je dirais que ça devient Sociétal.”

NOTES

(1) Alain Supiot, postface à l’ouvrage de  Bossuet  De l’éminente dignité des pauvres, Fayard, 2015, p.60.
(2) André Ramoff,  Les professions sociales, développement et avenir,  Revue La Vie sociale, 1976, numéro 5, p.267.
(3) Michel Chauvière, Le travail social sur la sellette,” revue Projet dossier  Social : réparer ou reconstruire, juin 2015  p.28.
(4) ibidem p.30
(5) )Denis Clerc, Protection sociale, au delà du cout,  ibidem p.15
( 6) Yves  Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance, comment le modèle social français s’autodétruit , éditions rue d’Ulm 2006. p. 97.
(7) ibidem
(8) ) Les Matins de France Culture , 1 Juin 2015.
(9) )  Laure Belot, Nous vivons une période de basculement”   Le Un, 18/2/2015 .
(10)  Dominique Royoux Dir., La Médiation, un enjeu démocratique,   Editions la Librairie des Territoires, 32120 Sarrant , 2013 .
(11) Changer de rythme, numéro coordonné par T.Paquot, revue Esprit , decembre  2014 .
(12) Face au conflit, les ressources anthropologiques, sociologiques et théologiques de la mediation,  sous la dir. de E.Iula et J. Morineau, colloque du Centre Sèvres, Médiasevres 2112
(13)  Alain Supiot, Au fondement de la citoyenneté sociale, ni assurance, ni charité, la solidarité, Le Monde Diplomatique, novembre 2014, p.3
(14) Laure Belot op.cit.

 

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