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US Space Force
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L’Amérique de Donald Trump veut se doter d’une armée de l’espace. Enjeux et dangers.

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Le Président Trump a annoncé son intention de créer une nouvelle force : l’armée américaine de l’espace. Alors que la conquête spatiale bat son plein et que les fusées se bousculent au portillon de l’espace, alors que notre société dépend vitalement des réseaux de satellites et que des ressources précieuses sont découvertes dans les astres, cette annonce présidentielle n’augure rien de bon. L’espace, jusqu’ici terrain neutre de l’humanité, s’apprête-t-il à devenir le nouveau champ de batailles d’un Far-West sidéral ?
 
« Je demande au ministère de la Défense et au Pentagone d’entamer immédiatement le processus nécessaire à l’établissement d’une force spatiale en tant que sixième branche des forces armées », a déclaré Donald Trump lors d’une réunion du Conseil national de l’espace qui s’est tenue le 18 juin dernier. Une force de l’espace, l’idée fait irrésistiblement penser aux films de science-fiction et aux armées de stormtroopers qui ont construit l’imaginaire de la saga Starwars.
 

Ce n’est pas du cinéma

Mais ce qu’annonce Trump n’est pas du cinéma. Cette déclaration résonne parfaitement aux oreilles des hauts gradés de l’armée américaine. C’est le cas du Général de l’Air Force, Steve Kwast, qui a récemment fait valoir que de futurs conflits pourraient survenir à l’extérieur du monde et que, sans un programme spécial visant à préparer les États-Unis à un tel conflit, il faudra peut-être attendre 50 ans avant que le pays soit prêt. Avec une Force Spatiale engagée, cela pourrait être réduit à trois ans.
L’annonce de cette Force de l’espace doit encore être entérinée par le Congrès mais, pour une fois, le Président semble ne pas avoir de souci à se faire sur l’issue de la décision. En effet, les Américains sont sensibles à la menace que font peser la Chine et la Russie avec leurs armes antisatellites. Les services secrets sont persuadés que Moscou et Pékin ont déjà mis au point des missiles spatiaux et des armes de destruction de satellites. La menace est de taille car nos sociétés hyper-technologiques dépendent pour une large part des satellites : de communication, d’observation, météorologiques, scientifiques, GPS, etc. Or un satellite qui navigue dans l’espace est, par nature, fragile et désarmé.
 
Il faut aussi ajouter que jamais l’on n’avait autant lancé de fusées porteuses de satellites mis en orbite. L’espace est en passe de devenir le lieu d’un grand embouteillage. Ce ne sont plus seulement les agences gouvernementales comme la NASA ou l’ESA qui envoient des fusées. Des acteurs privés se sont précipités sur ce marché juteux et notamment les milliardaires Elon Musk et Jeff Bezos. Ce qui a conduit Donald Trump à lâcher : « les milliardaires adorent les fusées ». Il n’a pas tort.
 
Photo ©Saul Loeb / AFP
 
Face à ce paysage aux enjeux hautement stratégiques, l’idée de mettre de l’ordre dans ce qui est aujourd’hui un lieu ouvert et libre, a facilement germé dans l’esprit de Trump, dont le goût des rapports de force n’est plus à démontrer. « L’Amérique sera toujours la première dans l’espace », a ainsi déclaré le président américain lors d’un discours à la Maison Blanche. « Nous ne voulons pas que la Chine et la Russie et d’autres pays nous dominent, nous avons toujours dominé », a-t-il poursuivi. « Mon administration va reprendre le flambeau en tant que premier pays de l’exploration spatiale ». Mais il ajoute aussitôt : « Pour défendre l’Amérique, une simple présence dans l’espace ne suffit pas, nous devons dominer l’espace ». La force armée spatiale prend alors tout son sens et le danger d’une guerre de l’espace se fait de plus en plus précis.
 

Des enjeux géostratégiques majeurs

Pourtant l’espace, depuis 1967 déjà, est protégé par un traité international, initié en pleine guerre froide par John Kennedy. Ce texte établit le principe de non-appropriation et d’interdiction des armes de destruction massive en orbite. D’autres traités, cinq au total, ont depuis suivi. Mais aucun n’envisage l’utilisation de méthodes offensives visant à provoquer des destructions ou des interférences par le biais de satellites. Aucun texte n’a imaginé ce qu’il est possible de faire aujourd’hui dans le domaine de la guerre spatiale. Le professeur Dale Stephens, l’un des grands spécialistes de la question, évoque à cet égard «les missiles anti-satellite, les armes à énergie dirigée (y compris les lasers), la guerre électronique (exploitation des émissions radioélectriques d’un adversaire), la cyberguerre et certaines technologies à usage dual, telles que les infrastructures en orbite destinées à la maintenance des satellites. »
 
Les dégâts causés par de telles interventions militaires pourraient être gravissimes pour l’économie et le fonctionnement des États visés. Un seul chiffre illustre cette dépendance aux technologies de l’espace : 6 à 7 % du PIB des pays occidentaux dépend aujourd’hui de la navigation GPS par satellite.
Alors, quand la Chine a démontré, en 2007, sa capacité à détruire l’un de ses vieux satellites à l’aide d’un missile intercepteur tiré depuis le sol, les militaires du monde entier ont frémi. Plus récemment, la Russie a lancé dans le plus grand secret son satellite Kosmos 2499. Celui-ci a la particularité de se déplacer sur son orbite pour se rapprocher d’un débris d’une fusée à la dérive. De là à alimenter le soupçon de l’expérimentation d’un « tueur de satellite », il n’y a qu’un pas.
 
La décision de Trump de créer son US Space Force ouvre donc le champ de bataille de l’espace. Les enjeux militaires sont immenses mais ils sont aussi économiques. Ils touchent à la question des ressources minières et risquent de faire de l’espace un paysage de Far-West.
 

La ruée vers l’or spatial

Notre système solaire est rempli de millions d’astéroïdes, des mondes rocheux dont la taille varie de quelques mètres à des centaines de kilomètres de diamètre. La majorité des astéroïdes se trouve dans ce que les astronomes appellent la Ceinture d’astéroïdes, située entre les planètes Mars et Jupiter. Ces objets sont, pour beaucoup, des restes de la formation précoce du système solaire. Les astéroïdes regorgent pour certains de métaux rares et précieux. On y trouve du fer en abondance mais aussi des minerais rares dont l’industrie des hautes technologies est particulièrement friande : du cobalt, du titane, de l’antimoine, du tungstène, du thorium, du silicium…
 
Sur ces morceaux de roches errant dans l’espace on pourrait trouver tout ce qu’il faut pour construire des stations spatiales, pour transformer l’eau qui s’y trouve en oxygène et hydrogène liquides, carburants des vaisseaux spatiaux. Et puis fantasme absolu, on y trouve de l’or.
 
L’astéroïde 169-Psyche – Image : Arizona State University
 
Ces astéroïdes recèlent des fortunes. Le fer contenu dans l’astéroïde 16 Psyche vaut à lui seul environ 10 quintillions de dollars. Ce chiffre ne vous dit rien ; c’est normal parce qu’il s’écrit avec un nombre impressionnant de zéros : 10,000,000,000,000,000,000 $. Comment les scientifiques – en l’occurrence, la NASA – sont-ils parvenus à cette évaluation ? Ils ont estimé à quelques kilos près que cet astéroïde contenait 17,000,000,000,000,000 de m3 de fer (17 millions de km3). À 80 € la tonne, faites le calcul.
 
Toujours selon la NASA, si nous parvenions à extraire tous les minéraux présents dans les astéroïdes entre Mars et Jupiter, cela permettrait de faire un chèque de 100 milliards de dollars à chaque être humain vivant sur Terre ! Malheureusement, ce calcul n’est que théorique car même si ces sommes astronomiques étaient avérées, il y a peu de chance que la manne soit redistribuée aussi généreusement… Mais on peut toujours rêver.
 
Toujours est-il que les convoitises sont attisées. Les agences gouvernementales de l’espace sont ainsi rejointes par une myriade de sociétés privées dont certaines, comme Space X du milliardaire Elon Musk, viennent de prouver leur capacité à envoyer des fusées géantes dans l’espace et de les faire revenir sur Terre. L’espace est devenu le nouvel Eldorado où l’enjeu de l’appropriation des ressources fait tourner les têtes.
 
La course aux ressources spatiales est facilitée par une décision qu’avait prise l’administration d’Obama en 2015. Le Sénat américain avait, en effet, approuvé à l’unanimité une loi reconnaissant à tout individu « le droit de posséder, s’approprier, transporter, utiliser et vendre n’importe quelle ressource spatiale ». Ce texte s’appuie sur le traité de l’espace de 1967 pour le contourner dans une habile gymnastique sémantique. L’ONU de l’époque avait gravé dans le droit international l’impossibilité pour un État de décréter sa souveraineté sur un corps spatial. Mais le traité ne dit rien sur l’exploitation des ressources. Qui ne dit mot consent ? Le texte américain de 2015 précise donc qu’on ne peut être propriétaire d’un corps spatial. Soit. En revanche, on pourra s’en accaparer les ressources, et notamment les ressources minières. Nuance.

LIRE DANS UP : Le Sénat américain vote l’exploitation commerciale de l’espace. Bienvenue dans le Far-West spatial

Une loi faite sur mesure pour des sociétés américaines créées pour l’exploitation des ressources spatiales. C’est le cas de Planetary Resources, une startup soutenue financièrement par le PDG de Google, Larry Page et le réalisateur de cinéma américain James Cameron. Cette société est fin prête pour construire de véritables stations-services de l’espace. En extrayant de l’eau et de l’ammoniaque que l’on trouve sur des astéroïdes, elle dit être en mesure de fabriquer, dans l’espace, le carburant nécessaire aux missions spatiales. Inutile de revenir sur Terre pour se ravitailler, on pourra faire le plein sur place. La société ne dit pas si ces stations-services des autoroutes de l’espace seront accompagnées de centres commerciaux et de chaînes de fast-food.
 
Deep Space Industries est une autre société créée en 2013. Elle repère déjà les astéroïdes éligibles à l’extraction minière et projette, dès 2020, de commencer des extractions afin de fabriquer des matériaux directement depuis l’espace. La société prévoit de se munir d’une flotte composée de nanorobots, les Firefly, qui auront pour mission d’ausculter les corps célestes pour mesurer leurs ressources minières potentielles. Une deuxième série de vaisseaux, les Dragonfly, permettront de ramener sur Terre jusqu’à 150 kg de minerais rares, voire des astéroïdes entiers de petite taille. L’ensemble est coordonné par un vaisseau amiral, le Mothership, qui transportera les nanorobots d’exploration au-delà de l’orbite terrestre et assurera les communications avec l’espace profond. La société prévoit enfin de mettre au point le remorqueur Harvestor qui sera capable de ramener un astéroïde entier vers l’orbite terrestre.
 
Kepler Energy and Space Engineering prévoit d’utiliser les technologies de guidage, de navigation et d’ancrage existantes issues de missions astéroïdes réussies comme Rosetta-Philae et Dawn.
Le projet utilisera le transfert de technologies de la NASA pour construire et envoyer un système d’extraction minière automatisé composé de quatre modules (AMS) sur un petit astéroïde afin de collecter des matériaux de surface. Chacun des quatre modules, après son travail réussi, fera son voyage de retour pour être ramené en orbite terrestre basse. Le projet prévoit d’être mené d’ici 2020.
 
Cette course vers les astéroïdes représente des enjeux financiers colossaux mais également des enjeux géostratégiques. En effet, la quête des métaux rares est devenue une obligation pour toutes les industries du numérique et de la transition écologique. Pas de smartphone, d’éolienne, de voiture électrique, de satellites, d’objets connectés, de robots ou de nanotechnologies sans métaux rares. Ces matières premières hautement convoitées existent partout sur notre planète mais leur extraction représente un coût environnemental et de santé humaine considérable. Progressivement le monde a donc abandonné l’extraction de ces métaux à la Chine qui détient aujourd’hui 99 % du marché des métaux rares.

LIRE DANS UP : Chine : main basse sur la matière première des hautes technologies

Face à ces enjeux et ces dangers, la naissance de l’idée d’une force de l’espace qui a germé dans l’esprit du Président Trump se pare de la plus grande des évidences. Et l’hypothèse de guerres de l’espace n’est plus un sujet de science-fiction. Les gouvernements du monde s’en inquiètent à l’instar du gouvernement français. La ministre des Armées, Florence Parly, a ainsi réagi à l’annonce de Trump en déclarant : « L’espace est un domaine majeur dans lequel il pourrait y avoir à terme des confrontations ». Dans la loi de programmation militaire 2019-2025 qui vient de passer en commission mixte paritaire est énoncé un enjeu formulé en forme de vœu incantatoire : « face à l’accroissement des risques et menaces, le renforcement continu de la protection et de la résilience des nouveaux moyens spatiaux s’impose ». C’est le minimum face à la perspective de voir l’orbite terrestre se transformer en zone de guerre.
 
 

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