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Lune chinoise

Lune : la face cachée des ambitions de la Chine

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Cinquante ans après les premiers pas de Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune, notre satellite naturel suscite à nouveau intérêt et excitation. Le 2 janvier dernier, la Chine a fait alunir son module Chang’e-4 sur la face cachée de la Lune. Une première historique sur cette face inexplorée et longtemps demeurée mystérieuse. De ce fait, les Chinois s’arrogent le titre envié de puissance spatiale, au grand dam des Américains qui voient dans cet événement la confirmation des menaces que fait peser l’Empire du milieu sur toutes les facettes de leur prédominance. La rivalité entre les deux géants prend dans la conquête spatiale une dimension certes symbolique, mais aussi technologique, économique et géostratégique. Jusqu’à quand les Américains l’accepteront-ils ?
 
La sonde Chang’e-4 s’est posée dans le bassin d’Aitken. Equipé de plusieurs instruments, notamment européens, son robot mobile Yutu-2 a commencé à se déplacer sur cette face, invisible de la Terre. « Dans tous les cas, quoi que les Chinois découvrent, l’impact scientifique sera important », estime Michel Viso, du CNES, l’agence spatiale française.
 
Jusqu’à présent, seuls trois pays sont parvenus à se poser à la surface de la Lune, située à quelque 384.000 kilomètres de la Terre : la Russie, les États-Unis et maintenant la Chine. Douze astronautes américains ont foulé son sol lors de six missions entre 1969 et 1972. Depuis, plus rien. Notre satellite semble ne pas avoir eu la vertu d’attirer les foules. Pourtant, les Chinois se sont méthodiquement préparés à reprendre le flambeau lunaire. Partis de rien, ils ont scrupuleusement répliqué, avec quelques décennies de décalage, les étapes de la conquête spatiale des grandes nations. Leur premier satellite a été mis en orbite en 1970 alors qu’au même moment, les astronautes américains gambadaient au clair de Terre. Il faudra attendre 2003 pour qu’un premier Chinois, le taïkonaute Yang Liwei, n’aille dans l’espace. Depuis, la course s’est accélérée. Au début, la Chine copiait servilement les technologies occidentales, aujourd’hui, elle invente et innove. Pour faire se poser un engin sur la face cachée de la Lune, il a fallu réaliser de véritables exploits scientifiques ; et notamment résoudre les problèmes de communication avec la Terre depuis le côté obscur de la Lune. Une performance saluée par le patron de la NASA dans un message des plus fair-play à ses homologues chinois.
 

Une mission ambitieuse

La mission Chang’e-4 est scientifiquement complexe. Il ne s’agit pas de déposer seulement un engin sur la Lune. La mission est double. Elle a commencé il y a six mois par le lancement d’un satellite relais placé en orbite derrière la Lune. Objectif : assurer les connexions avec notre bonne vieille Terre. Le 2 janvier dernier, l’atterrisseur et un rover ont été déposés sur le sol lunaire. En plus d’une série d’instruments perfectionnés pour étudier la surface lunaire, le module atterrisseur transporte également un conteneur en alliage d’aluminium rempli de graines de plantes et d’insectes. Zhang Yuanxun – concepteur en chef du conteneur – expliquait au Chongqing Morning Post (selon China Daily) : « Le conteneur enverra des pommes de terre, des graines d’arabidopsis (arabettes) et des œufs de vers à soie à la surface de la Lune. Les œufs vont éclore en vers à soie, qui peuvent produire du dioxyde de carbone, tandis que les pommes de terre et les graines émettent de l’oxygène par photosynthèse. Ensemble, ils pourront créer un écosystème simple sur la Lune. »
 
Cette serre d’aluminium posée sur le sol lunaire devrait permettre aux chercheurs d’observer le processus de croissance des animaux et des plantes sur notre satellite naturel. Les défis que devra relever cette expérience sont notamment le contrôle de la température et l’approvisionnement en énergie. Les scientifiques en charge du projet ont donc équipé leur conteneur d’un véritable système autonome de climatisation ainsi que de batteries spécialement conçues pour l’occasion et dotées d’une densité énergétique très élevée. Ce kit de jardinage spatial ouvre la voie d’un projet plus vaste : installer un avant-poste humain sur la Lune.
 
 
La mission Chang’e-4 ne s’est pas posée n’importe où sur la Lune. Le site d’alunissage est dénommé le South Pole-Aitken Basin, une vaste région d’impact dans l’hémisphère sud. Mesurant environ 2 500 km de diamètre et 13 km de profondeur, c’est le plus grand bassin à impact unique de la Lune et l’un des plus grands du système solaire. Ce bassin est également une source de grand intérêt pour les scientifiques, et pas seulement en raison de sa taille. Ces dernières années, on a découvert, en effet, que la région contenait de grandes quantités de glace d’eau. On pense que ce sont les conséquences des impacts des météores et des astéroïdes qui ont laissé de la glace d’eau, qui a survécu parce que cette région est en permanence à l’ombre du soleil. Sans lumière directe du soleil, la glace d’eau située dans ces cratères n’a pas été soumise à la sublimation et à la dissociation chimique.
 
Grâce à cette découverte, plusieurs spécialistes de l’exploration spatiale ont déclaré que le bassin du Pôle Sud-Aitken serait l’emplacement idéal pour une base lunaire. À cet égard, la mission Chang’e-4 étudie la possibilité, même pour les humains, de vivre et de travailler sur la Lune. Cette mission présentera aussi un autre intérêt : elle évaluera également si des organismes terrestres peuvent croître et prospérer dans la gravité lunaire – qui est d’environ 16 pour cent de celle de la Terre. En effet, des études antérieures menées à bord de l’ISS ont montré que l’exposition à long terme à la microgravité peut avoir des effets considérables sur la santé, mais on en sait peu sur les effets à long terme d’une faible gravité. De là à penser que les Chinois veulent s’implanter de façon durable sur la Lune, il n’y a qu’un pas, qu’ils ne sont pas les seuls à franchir. En effet, l’inventaire des projets témoigne que bientôt, on va se bousculer sur la Lune !
 

On va se bousculer sur la Lune

L’Inde espère rejoindre le club fermé des pays capables d’alunir en envoyant prochainement la mission Chandrayaan-2, qui comprendra un alunisseur, un robot mobile indien et « un mini-robot européen construit aux Pays-Bas », précise à  l’AFP Bernard Foing, astrophysicien à l’Agence spatiale européenne (ESA). La mission devrait être lancée par l’agence spatiale indienne en février prochain, selon cet expert, directeur du groupe de travail sur l’exploration lunaire internationale (ILEWG). L’Inde avait envoyé une première mission Chandrayaan-1 en orbite autour de la Lune en 2008.
 
Israël compte aussi entrer dans la course, avec un alunisseur Beresheet de 150 kg fabriqué par la société israélienne privée SpaceIL, l’une des finalistes de la compétition internationale Google Lunar X Prize (GLXP). Les équipes en lice devaient être capables de faire alunir un robot mobile avant le 31 mars 2018. Cette compétition s’est achevée sans vainqueur et sans remise de prix final. Mais SpaceIL a poursuivi sur sa lancée. Son robot devrait être lancé en février par une fusée Falcon 9 de la firme américaine SpaceX.
« Le but de la mission est de montrer qu’Israël est capable d’alunir, de déployer un robot mobile, de déposer des charges utiles scientifiques et culturelles », explique Bernard Foing.
« 2019 sera une année-clef pour l’exploration lunaire », considère-t-il. Après les missions en orbite autour de la Lune des années 2000, on franchit une nouvelle étape. « C’est le début d’un village robotique sur la Lune, avec des engins lancés par de nouveaux pays et différents types d’acteurs notamment commerciaux ».

LIRE AUSSI DANS UP : Petit village lunaire, avec vue imprenable sur la Terre et Claudie Haigneré : son rêve de village lunaire (vidéo)

Le Japon prévoit l’envoi vers 2020-2021 d’un petit atterrisseur lunaire, baptisé SLIM, pour étudier une zone volcanique précise sur le sol lunaire. De son côté la Russie continue à travailler sur la mission robotique Luna 27 qui doit aller explorer les glaces du pôle sud, avec une participation européenne, d’ici à quelques années.
Les États-Unis, qui s’apprêtent à célébrer les premiers pas de Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune le 20 juillet 1969, préparent eux aussi la suite. En 2017 le président Donald Trump a signé une directive ordonnant à la NASA de retourner sur la Lune, comme une première étape avant d’aller sur Mars, en s’appuyant sur le secteur privé.

LIRE AUSSI DANS UP : La course à l’espace est ouverte aux sociétés privées. Et ça change tout.

Programme très avancé, le vaisseau américain Orion, fabriqué par Lockheed Martin et dont l’Europe fournit le module de service, doit réaliser un vol en automatique vers 2020 autour de la Lune. Puis il devrait emporter quatre astronautes en 2023 pour un aller et retour de huit jours autour de notre satellite. La Nasa a également annoncé en décembre avoir choisi neuf entreprises privées pour construire des atterrisseurs et livrer du matériel sur la Lune, sur laquelle les Américains veulent renvoyer des astronautes dans une décennie.
 

Course au trésor

La course à l’espace ne recèle pas que de simples motivations scientifiques. Cette compétition qui s’avère féroce est une course aux minerais. En effet, les astéroïdes et sans doute le sol lunaire regorgent de métaux rares et précieux. On y trouve du fer en abondance mais aussi des minerais rares dont l’industrie des hautes technologies est particulièrement friande : du cobalt, du titane, de l’antimoine, du tungstène, du thorium, du silicium…
Dans l’espace, on pourrait trouver tout ce qu’il faut pour construire des stations spatiales, pour transformer l’eau qui s’y trouve en oxygène et hydrogène liquides, carburants des vaisseaux spatiaux. Certains astéroïdes recèlent des fortunes. Le fer contenu dans l’astéroïde 16 Psyche vaut à lui seul environ 10 quintillions de dollars. Ce chiffre ne vous dit rien ; c’est normal parce qu’il s’écrit avec un nombre impressionnant de zéros : 10,000,000,000,000,000,000 $. Comment les scientifiques –en l’occurrence, la NASA – sont-ils parvenus à cette évaluation ? Ils ont estimé, à quelques kilos près, que cet astéroïde contenait 17,000,000,000,000,000 de m3 de fer (17 millions de km3). À 80 € la tonne, faites le calcul.
 
Des trésors qui attirent les convoitises, d’autant que, en la matière, nous sommes au niveau du Far-West : il n’existe quasiment aucune règlementation. En 2015, le Sénat américain avait, en effet, approuvé à l’unanimité une loi reconnaissant à tout individu « le droit de posséder, s’approprier, transporter, utiliser et vendre n’importe quelle ressource spatiale ». Ce texte s’appuie sur le traité de l’espace datant de 1967 pour le contourner dans une habile gymnastique sémantique. L’ONU de l’époque –nous étions en pleine guerre froide et l’URSS venait juste de lancer son premier Spoutnik – avait gravé dans le droit international l’impossibilité pour un État de décréter sa souveraineté sur un corps spatial. Mais le traité ne dit rien sur l’exploitation des ressources. Qui ne dit mot consent ? Le texte américain de 2015 précise donc qu’on ne peut être propriétaire d’un corps spatial. Soit. En revanche, on pourra s’en accaparer les ressources, et notamment les ressources minières. Nuance.
Une loi faite sur-mesure pour des sociétés américaines créées pour l’exploitation des ressources spatiales. Mais une loi qui pourrait aussi servir, de manière inattendue, les intérêts du nouveau géant de l’espace, la Chine.
 

Vide à haut risque

En matière de conquête de l’espace tout semble possible. Le vide juridique relatif permet toutes les spéculations. Qui tranchera une dispute entre Chinois et Américains sur un filon de glace lunaire ? Il n’existe pas de Tribunal de l’espace ; il existe en revanche des armées de l’espace prêtes à des guerres que l’on croyait réservées aux films de science-fiction. Donald Trump a ainsi lancé en 2018 la création d’une force armée de l’espace. Les nouvelles technologies se multiplient : lasers anti-satellites, cyberattaques, brouillage des transmissions, missiles tirés depuis la Terre pour détruire un satellite, comme la Chine l’a testé en 2007 et continue de le faire à blanc…
 
Laser spatial (représentation d’artiste) – Wikipedia
 
Il n’existe pas d’équivalent de lois de la guerre pour l’espace. Un satellite entrant en collision avec un autre, cela constitue-t-il une « attaque » ? Comment définir la proportionnalité d’une riposte ? Les satellites civils doivent-ils être protégés de représailles, mais quid des satellites à usages civils et militaires ? Et comment répondre à une cyberattaque dont l’auteur est incertain ? Les dégâts causés par de telles interventions militaires pourraient être gravissimes pour l’économie et le fonctionnement des États visés. Un seul chiffre illustre cette dépendance aux technologies de l’espace : 6 à 7 % du PIB des pays occidentaux dépend aujourd’hui de la navigation GPS par satellite.
 
« Les Chinois ont réalisé des expériences pour interférer dans nos communications », affirme à l’AFP Jack Beard, du programme de droit spatial à l’Université du Nebraska. Il rappelle que des satellites civils et de la Nasa ont été attaqués en 2007 et 2008 par des pirates pendant plusieurs minutes. « Les Etats-Unis sont vulnérables car ils ont pris du retard face aux menaces contre nos systèmes spatiaux ».
Or le dialogue avec Pékin est quasi-nul, contrairement à ce qui existait avec Moscou pendant la Guerre froide. « En cas de crise dans l’espace avec la Chine, je ne suis pas sûr que notre armée sache qui appeler », confie l’expert.
 

Rivalité en forme de tragédie Antique ?

Des menaces qui viennent dans un contexte délétère de tensions commerciales graves entre la Chine et les Etats-Unis. Tensions qui reflètent une nouvelle réalité : la Chine s’impose comme la puissance technologique et économique du siècle. Championne mondiale des exportations depuis 2010, elle a vu son PIB – mesuré en parité de pouvoir d’achat – dépasser celui des Etats-Unis. Les GAFA ne sont plus seuls au monde. D’autres monstres hypertechnologiques sont nés dans l’Empire du milieu : les Baidu, Alibaba ou Tencent n’ont rien à envier à leurs homologues de la Silicon Valley. Dans les domaines de pointe comme l’Intelligence artificielle ou les calculateurs géants, la Chine taille des croupières aux Américains. Une ambition qui ne s’arrête pas aux frontières, pourtant vastes, de son territoire. La Chine s’impose dans le monde et son programme « routes de la soie » est l’un des avatars de sa conquête planétaire.
 
Thucydide (vers 460-397 av. J.-C)
 
En se posant sur la Lune, la Chine montre sa puissance et son intention de rivaliser avec les Américains. Ceux-ci accepteront-ils longtemps de voir leur prédominance concurrencée et mise en péril ?  Un historien de Harvard a tenté une réponse en remontant dans le passé. Loin dans le passé, il y a 2500 ans quand les cités de Sparte et d’Athènes rivalisaient pour dominer le monde Antique. Le philosophe Thucydide établissait alors une théorie : une puissance dominante, voyant son hégémonie remise en cause par une puissance ascendante, finit toujours par lui faire la guerre. L’historien d’Harvard, Graham Allison, constate que ce « piège de Thucydide » s’est très souvent répété dans l’histoire. Les Etats-Unis et la Chine tomberont-ils dans ce traquenard venu du fin fond de l’Antiquité ? Le 21 juillet 1969, le monde regardait avec joie et émerveillement les premiers pas de l’Homme sur la Lune. Aujourd’hui, Le robot chinois posé sur la face obscure de la Lune augurerait-il le pire ?
 
 
Source : AFP
 

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