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L’avis de l’ONERA : la France est-elle encore une puissance aérospatiale ?

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Les 8 et 9 septembre, l’ONERA participe aux Universités d’été de la Défense. L’occasion pour Bruno Sainjon, Président-Directeur Général, de s’exprimer sur le rôle que la R&T devrait jouer pour que France reste une puissance aérospatiale.

Bruno Sainjon : « L’industrie aéronautique et spatiale française (et européenne) est l’un des trop rares secteurs industriels dans lequel nous ayons encore un rang de niveau mondial, avec ce que cela représente en termes d’enjeux scientifiques, technologiques, industriels, économiques et bien sûr humains. Les grands programmes d’aujourd’hui sont une réussite parce qu’ils se sont basés sur des innovations scientifiques et technologiques maturées et éprouvées des années auparavant, avec, au centre de ce dispositif destiné à préparer l’avenir, un organisme, l’ONERA, auquel l’Etat avait assigné un rôle fédérateur et la mission d’assurer le lien entre mondes académique et industriel. Qu’en est-il aujourd’hui ?

La création de l’ONERA en 1946 marquait la volonté de la France de devenir une Nation à la pointe de l’industrie aéronautique, volonté ensuite élargie au domaine spatial. Cet objectif a été amplement atteint et la France fait partie des leaders mondiaux dans ces deux domaines.

Dans l’aérospatial civil comme militaire, les succès sont nombreux. Ils s’appuient tous sur des technologies et savoir-faire soigneusement développés avec des objectifs de performances techniques mais aussi économiques.
Ces succès collectifs, associant industriels et organismes étatiques et/ou paraétatiques, reposent avant tout sur des ingénieurs, chercheurs et techniciens alliant compétences et détermination, animés dans leur grande majorité d’un sentiment fort d’œuvrer pour le bien collectif, et désireux de répondre à l’intérêt public.
C’est le cas des femmes et des hommes de l’ONERA. Depuis la création de l’établissement public, elles et ils ont été impliqués dans toutes les réussites des grands programmes français et européens et dans tous les domaines : avions civils et militaires, hélicoptères, lanceurs, missiles des deux composantes de la dissuasion, missiles tactiques… Du Rafale à l’A400M, de l’A320 au M51, d’Ariane 5 à la famille des Exocet, des Falcon à l’ASMPA… faites une analyse génétique, et vous y trouverez une forte dose d’ONERA inside.

Depuis des décennies, l’ONERA contribue à définir des futures plates-formes aériennes en liaison avec les avionneurs, systémiers et équipementiers. Ces travaux s’appuient sur un savoir-faire acquis de longue date en adéquation avec les besoins des avions, hélicoptères ou encore moteurs civils. Ces savoir-faire s’exercent dans différentes disciplines scientifiques et technologiques, incluant des outils de modélisation/simulation et d’expérimentation de tout premier plan mondial. Ainsi, le code elsA (ensemble logiciel de simulation aérodynamique), qui permet de simuler des écoulements complexes externes et internes pour les applications multi-disciplinaires mettant en jeu l’aérodynamique, en est une illustration emblématique. Cela inclut les couplages avec l’aéroélasticité, l’aérothermique, l’aéroacoustique pour des applications très diverses : avions, hélicoptères, turbomachines, missiles, lanceurs, tuyères, entrées d’air, jets propulsifs…

Cette expertise a permis à l’ONERA de nouer des coopérations fructueuses dans le domaine de la recherche avec la NASA (Etats Unis), le TSAGI (Russie), le JAXA (Japon), le DLR (Allemagne)… Le laboratoire franco-singapourien SONDRA, en partenariat avec SUPELEC, qui vient de fêter ses 10 ans, est un bel exemple d’une coopération scientifique réussie et qui bénéficie à notre industrie. Ce type de collaboration constitue une opportunité pour établir ou renforcer des liens de coopération allant du scientifique à l’industriel dans le secteur aérospatial ; il est à développer tout en veillant bien entendu à mettre en place des accords de sécurité et de défense robustes, garants de nos intérêts partagés.

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Toutefois, au cours de la décennie écoulée, le rôle fédérateur en matière de recherche amont aérospatiale joué par l’ONERA s’est délité. De multiples raisons l’expliquent. Au premier rang viennent les motifs budgétaires. Les subventions des ministères civils et de la défense, dont l’organisme bénéficiait, se sont aujourd’hui réduites à la seule subvention du ministère de la défense, via la DGA. De plus, cette subvention connait depuis plusieurs années une réduction liée aux baisses des budgets défense et ne couvre plus aujourd’hui que 40% environ de l’activité de l’ONERA. Si cette baisse a été partiellement compensée par une part accrue de contrats, il faut toutefois souligner que ceux-ci sont plus aléatoires. De plus en plus décalés vers la fin de l’année, ils sont soumis aux évolutions infra annuelles, toujours à la baisse, des crédits défense. La fin 2013 a de ce point de vue été difficile pour l’ONERA.
D’autre part, l’ONERA se trouve, pour certaines affaires, qu’il s’agisse de contrats avec les ministères ou avec l’industrie, en concurrence avec des organismes bénéficiant de subventions couvrant une part nettement supérieure, voire totale, de leur activité ce qui laisse peu de chances à l’ONERA pour pouvoir l’emporter face à des concurrents capables de faire une offre ne prenant en compte qu’une faible part, voire nulle, de leur masse salariale. Le renforcement du rôle d’expert auprès de la DGA empêche également l’ONERA de se positionner sur certaines opérations afin de ne pas être juge et partie. Il est enfin paradoxal que l’ONERA ne dispose que de cette seule ressource garantie d’origine défense quand les règles établies, tant au niveau national (financements ANR par exemple) qu’européens, exigent d’un organisme comme l’ONERA qu’il autofinance une partie des activités de recherche civile intéressant ces organismes.

La disparition de la subvention de la DGAC, et les choix, éminemment respectables, effectués dans le volet aéronautique du PIA (Programme d’Investissement d’Avenir) d’axer les travaux sur des démonstrateurs, donc des activités de TRL élevés (Technology Readiness Level), ont là encore conduit à réduire très fortement la recherche plus amont menée par les milieux académiques, les PME/PMI et l’ONERA, avec environ 4% seulement du montant total contractualisé à ce jour. Au moment où s’effectuent les choix pour le second volet du PIA aéronautique, il me parait utile de signaler que le sous-groupe de l’ACARE , associant les représentants des Etats, a récemment exprimé le regret que la Commission ne finance pas suffisamment les activités de bas TRL. Souhaitons donc que les choix à venir au niveau national soient cohérents avec ce constat, et qu’au lieu de renforcer cette insuffisance des travaux de plus long terme, ils visent à le compenser au moins en partie.

Autre élément du paysage : si l’apparition d’instances (SATT, IRT, pôles …) destinées à renforcer la cohérence entre travaux académiques et industrie a dans plusieurs domaines atteint son objectif, dans le domaine aérospatial cette cohérence, assurée de facto par la mission assignée à l’ONERA à sa création, s’en est trouvée affaiblie.
Lors de l’audition récente de Patrick Gandil (Directeur Général de l’Aviation Civile) par la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, qui auditionnait les acteurs du PIA, les représentants de la DGAC, interrogés sur l’intérêt de ces dispositifs, ont rappelé toute la pertinence du modèle initial : « […] l’ONERA est un établissement public de référence dans les domaines aéronautique et spatial qui a permis d’établir, depuis sa création en 1946, des passerelles entre recherche publique et recherche privée […]. L’aéronautique n’a donc pas besoin, contrairement à d’autres secteurs, d’une politique volontariste visant à marier les secteurs public et privé : ce mariage est réalisé depuis déjà des décennies […]». Naturellement, j’ai tenu la même position lors de ma propre audition.

La faute n’en incombe bien sûr pas qu’aux autres, et l’ONERA a commis celle de se replier sur lui, au niveau local, national et international, à l’exception notable de son implication dans les instituts Carnot, qu’il convient de renforcer. La Belle au bois dormant s’est endormie et pendant ce temps d’autres ont investi massivement pour prendre sa place de leader. Il est temps de la réveiller, et le mouvement initié depuis un an (rapprochement avec les industriels, étatiques, milieux académiques via les COMUE à Toulouse ou Lille ou sur le plateau de Saclay, avec l’ISAE…) va dans le bon sens et doit s’accélérer.

L’ONERA doit également renforcer et structurer son rôle d’incubateur de PME-PMI pour lui donner plus de visibilité et rendre son action plus performante au service du tissu industriel français. D’autant que nombre de technologies de l’ONERA ont déjà intéressé et continueront d’intéresser d’autres domaines industriels.
L’ONERA doit aussi contribuer davantage à la formation de doctorants français et étrangers, pour laquelle il dispose de tous les moyens et capacités scientifiques, mais encore faut-il pour cela qu’il en ait les moyens financiers.

Cette adaptation de l’ONERA à son environnement doit également mieux mettre en évidence son rôle d’acteur précurseur et majeur du développement durable. L’ONERA travaille pour que le secteur aérospatial soit de plus en plus « écologique ». De nombreux projets de recherche relèvent de cette problématique : réduction de nuisances sonores, utilisation de carburants alternatifs, réduction de la consommation par l’aérodynamique des avions, la diminution des masses des structures, les performances intrinsèques des moteurs, la réduction des émissions…

Je souhaite enfin évoquer ici le volet particulier des souffleries de l’ONERA. L’ONERA est le dépositaire d’un parc de souffleries unique au monde, qui ont contribué et continuent de concourir à la réussite de nos programmes et de ceux appelés à les rejoindre au rang de succès mondiaux (A380, A400M, A350 par exemple). L’industrie européenne a récemment qualifié huit d’entre elles comme stratégiques pour le devenir du secteur. C’est un fait, la qualité des essais et expérimentations qui y sont conduits associée à toutes les compétences nécessaires (phénomènes physiques, codes de calcul, métrologie ….) issues de nombreux départements de l’ONERA est un élément différentiant pour nos programmes. Cependant, certains essais industriels se font ailleurs, économies court-termistes obligent. « Ce n’est pas que la clientèle boude, c’est qu’elle a la tête ailleurs ». Et l’ONERA doit en assumer seul la charge. Malgré ses efforts pour réduire la charge que ce parc représente, à travers une augmentation de la productivité, qui s’est en particulier traduite par une réduction des effectifs et une diversification de sa clientèle, notamment américaine et chinoise, l’activité Grands Moyens d’Essais est structurellement déficitaire. Elle va de plus être impactée par la remise à niveau de ces moyens, liée à leur âge, ainsi que la nécessité d’investir pour rester en tête dans les techniques et méthodes d’essai et permettre à notre industrie de continuer à garder une longueur d’avance. Or, l’ONERA est aujourd’hui totalement incapable de l’assumer.

Pour souligner mon propos, j’ose faire le parallèle, certes un peu hasardeux mais un peu seulement, avec l’activité armes et munitions de petit calibre. GIAT-Industries était l’héritier d’un outil industriel représentant un capital investi important et insuffisamment chargé, générateur de pertes récurrentes. La décision de la France d’attribuer, à l’issue d’une compétition internationale, le marché des munitions de petit calibre à ses concurrents, a sonné le glas à la fin des années 1990 de ces activités en France. Depuis, régulièrement, des voix s’élèvent pour déplorer cette situation et les conséquences induites, tant économiques qu’en terme de souveraineté. Mais il est trop tard et la France est définitivement sortie du secteur.

L’ONERA est au cœur d’un dispositif qui a démontré son efficacité. Les succès rencontrés au cours des décennies écoulées sont la meilleure preuve de la pertinence de ce modèle. Celui-ci doit toutefois retrouver sa pleine mesure afin de permettre aux programmes des années 2030 à 2050, qu’il faut préparer dès aujourd’hui, de connaitre le même succès que leurs devanciers. Ils devront en effet pouvoir s’appuyer sur les meilleures technologies issues des travaux scientifiques de ces prochaines années, une ambition que l’ONERA est tout à fait à même de conduire, conformément à la mission que lui a assignée l’Etat à sa création. A condition toutefois qu’on lui en donne les moyens.

Ne l’oublions pas si nous voulons que l’un de nos rares grands fleurons industriels le soit toujours d’ici 20 à 30 ans. »

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Bruno Sainjon, Président–directeur général de l’ONERA

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