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kilonova

Une collision d’étoiles qui déclenche un tsunami scientifique

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Pour la première fois, des scientifiques ont pu observer la fusion de deux étoiles à neutrons, un des secrets les mieux gardés de l’univers, véritable « feu d’artifice » dont l’observation a débuté par la détection d’ondes gravitationnelles. 70 observatoires sur Terre et dans l’espace se sont alliés pour observer cet événement hors normes. Cet ensemble d’observations marque l’avènement d’une astronomie dite « multi-messagers ». Une moisson considérable de résultats en est issue : d’une solution à l’énigme des sursauts gamma et à celle de l’origine des éléments chimiques les plus lourds – comme le plomb, l’or ou le platine –, en passant par l’étude des propriétés des étoiles à neutrons ou par une mesure indépendante de la vitesse d’expansion de l’Univers.
 
« Ce qui est merveilleux c’est que l’on a vu toute l’histoire se dérouler : on a vu les étoiles à neutrons se rapprocher, tourner de plus en vite l’une autour de l’autre, on a vu la collision, puis la matière, les débris envoyés partout », a expliqué à l’AFP Benoît Mours, directeur de recherche CNRS et responsable scientifique du projet Virgo pour la France .
 
Cette observation inédite et en direct apporte des réponses à une foule de « mystères » scientifiques. Revenons sur le récit de cette histoire fantastique.

17 août 2017 12 h 41 GMT :  Alerte !

C’est une aventure hors du commun qui a démarré, le 17 août 2017 à 14 heures 41 minutes (heure de Paris). Les deux détecteurs d’ondes gravitationnelles LIGO situés aux États-Unis captent un fort signal, très différent de ceux interceptés précédemment. Quelque chose de nouveau, de grand, se profile : « Ce matin-là, tous nos rêves se sont réalisés », témoigne Alan Weinstein du Caltech (California Institute of Technology). « Nous nous sommes immédiatement tournés vers Virgo (un autre détecteur d’ondes gravitationnelles situé à Pise, en Italie, ndlr) pour demander s’ils avaient pu le voir aussi », a expliqué à l’AFP David Shoemaker, porte-parole de la collaboration LIGO. Moins d’une heure plus tard, Virgo confirme.
 
Les détecteurs américains Ligo et européen Virgo, donnent l’alerte. Ils ont un signal d’ondes gravitationnelles d’un type nouveau. Cette fois, le signal détecté est bien plus long que dans le cas de la fusion de trous noirs (une centaine de secondes contre une fraction de seconde), signe que les deux objets qui finissent par fusionner sont différents de ceux détectés jusqu’à présent.
« J’étais sur le fauteuil de mon dentiste quand j’ai reçu le texto », se souvient Benoît Mours. « Je me suis dépêché d’aller au labo pour connaître la suite de l’histoire ; tout le monde s’est précipité sur notre chat en ligne ». Patrick Sutton, responsable de l’équipe de physique gravitationnelle de l’université de Cardiff, était lui dans l’autobus « essayant de lire sur son portable les centaines et les centaines d’e-mails qui venaient d’arriver ».
 
Très vite, les chercheurs ont su quels astres leur envoyaient ce signal : deux étoiles à neutrons sur le point de fusionner, un phénomène encore jamais observé ! « Des programmes d’analyse automatique traitent les données captées par LIGO et Virgo et 6 minutes après, nous savions que c’était deux étoiles à neutrons », se souvient Benoît Mours.
 
Un peu avant 18H00 GMT, les chercheurs étaient à même de dire dans quelle direction se trouvaient les deux astres. Près de 90 groupes d’astronomes sont alors invités à participer à la chasse aux trésors.
 
A 22H00 GMT, les chercheurs jubilent : le télescope américain Swope au Chili a découvert un point lumineux. « Dès que le crépuscule a commencé à tomber, des télescopes ont pu identifier la galaxie hôte et assister à un long feu d’artifice », a expliqué David Shoemaker. « Je n’avais jamais rien vu de tel », se souvient Sephen Smartt du New Technology Telescope à l’observatoire de La Silla au Chili.
 
L’analyse détaillée des données indiquera que les masses des deux objets sont comprises entre 1,1 et 1,6 fois la masse du Soleil, ce qui correspond à celles des étoiles à neutrons. Les deux objets entrent en collision et sont en train de fusionner. L’événement est baptisé GW171817.
 

La collision finale a été extrêmement brillante, émettant une « boule de feu » intense de rayons gamma. Vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous. Le grand point lumineux au centre est la galaxie NGC 4993. Juste au-dessus et à gauche, vous pouvez voir GW170817 virer du bleu intense au rouge.

 
 
Et dans cette autre vidéo, une représentation de la collision de deux étoiles à neutrons :
 
(Crédit: NASA’s Goddard Space Flight Center)
 
Dans les heures et les jours suivants, d’autres « messagers » arriveront de l’espace : des sursauts gamma, des rayons X, des rayonnements ultraviolets et infrarouges ou encore des ondes hertziennes. « C’est une première d’observer un même phénomène cosmique avec des ondes gravitationnelles et de la lumière », s’est enthousiasmé Benoît Mours, responsable scientifique de la collaboration Virgo pour la France.
 
Presque au même moment et de manière indépendante, le satellite Fermi de la Nasa enregistre un sursaut gamma – un flash de rayonnement très énergétique – et lance immédiatement une alerte automatique. Si ce type de flash est relativement fréquent (il s’en produit presque chaque semaine en moyenne), celui-ci a la particularité d’être détecté environ 2 secondes après la fin du signal d’ondes gravitationnelles, indiquant un lien fort entre ces deux événements. Par ailleurs l’analyse des données de Fermi indique une origine spatiale de 1100 degrés carrés compatible avec la localisation par les détecteurs Virgo et LIGO. Le sursaut gamma est également observé par le satellite Integral de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ces observations confirment qu’au moins une partie des sursauts gamma courts sont produits par la fusion d’étoiles à neutrons.

Course contre la montre

En parallèle, cette source est localisée dans le ciel en exploitant les temps d’arrivée et l’amplitude des signaux mesurés dans les trois détecteurs d’ondes gravitationnelles (les deux détecteurs de LIGO aux États-Unis et celui de Virgo en Europe). La zone ainsi déterminée, qui couvre environ 30 degrés carrés (soit 120 fois la taille de la pleine Lune dans le ciel) dans la constellation de l’Hydre de l’hémisphère austral, est des dizaines de fois plus restreinte que celle établie par Fermi. Elle est communiquée à près de 90 groupes d’astronomes partenaires pour qu’ils pointent leurs instruments dans cette direction. Douze heures plus tard, le groupe 1M2H utilisant le télescope américain Swope au Chili annonce la découverte d’un nouveau point lumineux dans la galaxie NGC 4993, située à 130 millions d’années-lumière de la Terre. Très rapidement, ce résultat est confirmé par d’autres télescopes de manière indépendante. À leur suite, de nombreux autres instruments réalisent des observations, dont ceux de l’ESO au Chili, ou le télescope spatial Hubble.
 
Cette zone est alors scrutée sans relâche et les premières analyses des spectres lumineux montrent qu’il ne s’agit pas d’une supernova mais d’un type d’objet encore jamais observé, constitué de matière très chaude qui refroidit et dont la luminosité décroît rapidement – d’où une course contre la montre pour l’observer avant qu’il ne s’estompe.
 

Les étoiles à neutrons sont des vestiges d’étoiles massives. Une étoile géante meurt en explosant, donnant ainsi naissance à une supernova. Ce phénomène extrêmement lumineux ne dure que quelques jours à quelques semaines : une fois l’explosion terminée, il ne reste plus qu’un cœur très dense composé presque uniquement de neutrons – une étoile à neutrons. Celle-ci a la taille d’une ville comme Londres, mais une petite cuillère de sa matière pèse environ un milliard de tonnes, soit l’équivalent de 100 000 Tour Eiffel. Les étoiles à neutrons sont les étoiles les plus petites et les plus denses connues à ce jour. Tout comme les étoiles ordinaires dont elles sont issues, certaines évoluent en couple. Elles orbitent alors l’une autour de l’autre et se rapprochent lentement en perdant de l’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles – un phénomène qui finit par s’accélérer jusqu’à la fusion. Si ce scénario était prédit par les modèles, c’est la première fois qu’il est confirmé par l’observation.

Des « usines » à métaux

Selon les modèles, la matière éjectée par la fusion de deux étoiles à neutrons est le siège de réactions nucléaires aboutissant à la formation de noyaux atomiques plus lourds que le fer (comme l’or, le plomb, etc.), grâce à l’abondance de neutrons. Cette matière très chaude et radioactive se disperse alors, émettant de la lumière dans toutes les longueurs d’onde, initialement très bleue puis rougissant au fur et à mesure que la matière refroidit en se dispersant. Appelé kilonova, ce phénomène jusqu’ici uniquement prédit par la théorie est ainsi confirmé de manière convaincante. On a donc observé ce qui est sans doute le principal processus de formation des éléments chimiques les plus lourds de l’Univers !
 
« Les étoiles à neutrons atteignent des températures extrêmement hautes, peut-être un million de degrés. Elles sont également très radioactives, leurs champs magnétiques sont incroyablement intenses et seraient fatals à quiconque s’approcherait », a expliqué Patrick Sutton, responsable de l’équipe de physique gravitationnelle de l’université de Cardiff. « Elles représentent sans doute l’environnement le plus hostile de l’univers ».
 
De leur observation, les chercheurs ont pu définir une nouvelle façon de mesurer la vitesse de l’expansion de l’univers et ont pu confirmer que la gravitation se propage bel et bien à la vitesse de la lumière comme l’avait prédit Albert Einstein.

Moisson scientifique

Outre la confirmation que les fusions d’étoiles à neutrons produisent des sursauts gamma courts, la première détection non ambiguë d’une kilonova et la preuve que les éléments lourds de l’Univers sont formés lors de ce processus, cet ensemble d’observations permet également de mieux comprendre la physique des étoiles à neutrons et d’éliminer certains modèles théoriques extrêmes. Il permet aussi de mesurer d’une nouvelle manière la constante de Hubble, décrivant la vitesse d’expansion de l’Univers. Ces résultats, qui couvrent des disciplines variées (physique nucléaire, astrophysique, cosmologie, gravitation), illustrent le potentiel d’une astronomie naissante, s’appuyant sur plusieurs types de messagers cosmiques (les ondes gravitationnelles, les ondes électromagnétiques comme la lumière ou les rayons gamma, et peut-être un jour les particules telles que les neutrinos ou les rayons cosmiques). Ils sont détaillés dans une dizaine de publications dont l’une est l’œuvre de plusieurs milliers de chercheurs regroupés en une cinquantaine de collaborations. Plusieurs conférences de presse simultanées avaient aussi lieu à Washington, Paris, Londres ou encore Berlin… « On court après le temps pour pouvoir sortir l’information le plus vite possible », explique Benoît Mours qui précise que c’est un exploit d’arriver à boucler en si peu de temps la dizaine d’études publiées lundi. « Beaucoup de personnes n’ont pas beaucoup dormi depuis deux mois ! », ajoute Patrick Sutton.
 
La fusion des étoiles à neutrons avait été prédite par les modèles. Mais c’est la nouvelle capacité des chercheurs à détecter les ondes gravitationnelles (depuis 2015) qui a permis d’identifier et localiser ce phénomène. Les ondes gravitationnelles sont des oscillations de l’espace-temps provoquées par des événements cosmiques. Un peu comme la surface d’un plan d’eau se déforme quand on y jette un caillou. Prédites il y a un siècle, elles ont été observées pour la première fois en 2015 par Ligo, dont les créateurs ont été honorés, il y a deux semaines, du Nobel de physique. Jusqu’à présent, seules quatre ondes — nées de la fusion de deux trous noirs massifs — avaient été captées, le détecteur franco-italien Virgo ne voyant que la quatrième. Ces détections ont ouvert un nouveau chapitre de l’astronomie.
 
Pas moins de 1.200 scientifiques collaborent aux détecteurs Ligo et Virgo, et plus de 70 observatoires sur Terre et dans l’Espace ont traqué cette fusion. En tout, plusieurs milliers de personnes ont œuvré collectivement à cette première scientifique.
 

Et l’aventure n’est pas terminée : « nous avons suffisamment de données pour travailler un bon moment ! », s’enthousiasme Benoît Mours. Alain Brillet, le scientifique français qui a mis au point l’interféromètre gravitationnel Virgo renchérit au Journal du CNRS : « Ces résultats, qui signent l’acte de naissance de l’astronomie multi-signaux, sont la preuve que nous n’avons pas travaillé pour rien. Et ils offrent cent ans de travail à nos successeurs ! » Une prouesse qui autorise les scientifiques du monde entier à faire la fête, une grande fête !

 
Sources : CNRS, AFP
 

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