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Capital agricole : chantiers pour une ville cultivée

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Bousculés par la crise environnementale et préoccupés par leur alimentation et leur santé, les habitants de la métropole considèrent à nouveau l’agriculture. Mais la vision idéale qu’ils en ont gardée est difficile à projeter face à l’organisation et les pratiques de la ville contemporaine. La manifestation « Capital agricole – Chantiers pour une ville cultivée » déterre les liens qualitatifs entre production agricole et production urbaine, entre le cultivé et l’habité entre la ville et le sol, jusuqu’au 27 janvier 2019.
 
Pendant trois mois, « Capital agricole – Chantiers pour une ville cultivée », manifestation plurielle, diverse et destinée à tous les publics, propose autour de l’exposition et de l’ouvrage qui l’accompagne de nombreux événements et rencontres pour partager et découvrir cette question fondamentale de l’agriculture. Conférences avec les acteurs qui pensent et font l’agriculture d’aujourd’hui et de demain, rencontres organisées en partenariat avec la plateforme en ligne MiiMOSA autour de l’innovation et du numérique pour une agriculture performante et durable, visites guidées de l’exposition… En novembre et décembre, en partenariat avec la Ruche qui dit oui! et MiiMOSA, le Pavillon de l’Arsenal installe pour la première fois, au cœur de sa grande halle et de ses espaces d’exposition, un marché paysan qui rassemble une sélection d’agriculteurs et de producteurs franciliens. Maraîchers, fromagers, bouchers, poissonniers, boulangers, apiculteurs…, venez visiter l’exposition « Capital agricole » tout en faisant votre marché de produits franciliens, bio ou en agriculture raisonnée.
 
L’urbanisme engagé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, hiérarchisant les rapports entre l’Urbain, la Nature et l’Agriculture, a conduit à l’impasse environnementale actuelle. Il a aussi anéanti l’exceptionnel patrimoine agricole francilien de la fin du XIXe mené par des cultivateurs « spécialistes » inventant d’autres cultures pour nourrir Paris tout en préservant la faune et la flore. C’est sur cette agriculture urbaine oubliée et réhabilitée dans l’exposition, que se fondent aujourd’hui les architectes, urbanistes, agriculteurs, écologues, ingénieurs, entrepreneurs, historiens, géographes, sociologues…, réunis autour de l’agence d’architecture SOA, Augustin Rosenstiehl, pour envisager de nouveaux modèles hybrides.
 
Certains pionniers investissent déjà les toits des quartiers ou les sous-sols des immeubles, traversent le territoire en transhumance ou animent des fermes périurbaines, … alors que d’autres envisagent pour demain de cultiver les zones d’activités, d’investir le potentiel agronomique des grands ensembles, de fourrager les parcs et même les abords d’autoroutes. Au cœur de cette reconquête agricole la ferme se réinvente comme le point d’encrage et d’échange entre le paysan et le citadin. L’ensemble des actions propose une vision collective cohérente et invente une forme urbaine qui interpelle simultanément les terres et les lieux, les métiers et les outils, l’humain et le vivant.
 
Dans un cheminement à la fois chronologique et thématique, l’exposition « Capital agricole » guide le visiteur à la découverte de l’histoire et d’un futur agricole francilien. Aux photographies d’époques et archives vidéos des architectes qui ont pensé les grandes utopies d’aménagement répondent une cartographie inédite de la métropole, les dessins originaux de Yann Kebbi sur l’évolution des outils et habitats du monde paysan, les portraits photographiques et audios de l’artiste Sylvain Gouraud auprès de sept pionniers de l’agriculture métropolitaine ainsi que le paysage des chantiers pour une ville cultivée.
Prospective et engagée, la manifestation Capital agricole révèle les liens premiers entre ville, nature et agriculture car au-delà de leurs oppositions se trouvent les clés d’un nouvel Urbanisme Agricole.
 

Capital agricole,

selon Augustin ROSENSTIEHL / SOA – Architecte, commissaire scientifique invité
 
Notre entrée dans le troisième millénaire est un défi écologique. La crise environnementale que nous traversons met non seulement à l’épreuve notre enthousiasme et notre espoir de léguer aux futures générations un monde qui soit tout simplement habitable, mais ébranle également la conviction selon laquelle nous mettons collectivement tout en œuvre pour y parvenir. Il y a d’un côté ceux qui annoncent la fin de notre civilisation et, à l’extrême opposé, ceux qui ont choisi d’être dans le déni et proposent de continuer à faire comme d’habitude. Entre les deux, la communauté scientifique internationale compétente s’accorde à dire que l’activité humaine impacte fortement l’équilibre de la planète. Si nous sommes capables de dérégler les équilibres terrestres (par exemple celui des sols immergés, dont plus de la moitié sont dégradés1 par nos activités), peut-être sommes-nous à même de participer à les rétablir ?
Une chose est certaine : quoi que nous fassions, nos actions se répercutent désormais à grande échelle ! Cette même échelle qu’aborde l’urbanisme moderne et qui dépasse largement le cadre de la ville pour aménager finalement l’ensemble des fonctions sur le territoire : aménager l’Urbain et ses activités, mais aussi l’Agriculture et la Nature.
Face à la crise écologique, il semble qu’un consensus tacite existe pour défendre l’idée d’un urbanisme plus proche de la Nature qui produirait des villes vertes, comme si le fait d’engager une sorte de fusion entre l’Urbain et la Nature constituait une solution pour retrouver un équilibre durable. Mais avons-nous seulement les bonnes cartes en main pour agir ?
L’Urbain, la Nature et l’Agriculture, tels que le XXe siècle nous les a légués, sont-ils à même de nous sortir de cette crise ? Chacun de ces concepts ne doit-il pas, aujourd’hui, être repensé ?
• N’est-il pas nécessaire de dépasser les fondements de l’Urbanisme moderne, qui se traduit partout par une séparation fonctionnelle –ici l’habitat, là l’industrie, ici l’agriculture, là la nature, ici les commerces, là les bureaux–, pour mieux imbriquer ces fonctions les unes avec les autres ?
• Qu’est-ce que cette Nature à laquelle il serait soudainement si crucial de faire place parmi nos constructions pour enrayer la chute massive du vivant ? Est-ce celle des espaces verts, des pelouses, des parterres fleuris ou des murs végétalisés, cette Nature de loisir et d’ornementation ? Ou devrions-nous rétrocéder une partie de notre territoire à une Nature sauvage qui serait libérée de notre présence ?
• L’Agriculture actuelle, dont nous exigeons une production alimentaire maximale mais que nous pratiquons loin de toute vie collective et que nous reconnaissons être un des secteurs d’activité les plus polluants, est-elle devenue étrangère à la Nature ?
 
L’ouvrage Capital Agricole se propose d’approfondir ces questions en observant la ville, son histoire et son devenir sous le prisme agricole. Si l’enjeu de notre avenir réside dans une meilleure cohabitation du vivant au sein de nos multiples activités, il semble qu’il nous faille rembobiner le fil d’Ariane, revenir sur nos pas, et explorer une nouvelle direction. En prenant le cas concret de l’Île-de-France et en observant l’évolution des emprises de la ville, des cultures et de la Nature depuis un siècle, nous constatons sans surprise une diminution de la moitié des sols agricoles. Mais beaucoup plus surprenante s’avère l’augmentation considérable des espaces de Nature. Car si leur emprise a presque doublé en cent ans, comment expliquer que l’on assiste dans le même laps de temps à une telle chute de la biomasse et de la biodiversité ? Qu’est-ce donc que cette Nature dont l’emprise augmente et la substance diminue ? Où logeaient la faune et la flore il y a un siècle, dans ce territoire qui était essentiellement cultivé ? Faut-il chercher dans le périmètre des espaces forestiers, dans les champs, dans la ville, ou simplement dans l’architecture complexe de leur imbrication ?
Faut-il considérer le demi-million de paysans franciliens qui façonnaient l’ensemble du territoire, cultivaient, construisaient, régulaient le vivant, et qui ne sont aujourd’hui plus que cinq mille, affairés à produire une alimentation de masse ?
 
Les états de PROMISCUITÉ, autrefois, ZONAGE, hier et FACE-À-FACE, aujourd’hui mettent en relief la façon dont l’Agriculture s’est vue, en l’espace de seulement trois générations, amputée de son rapport étroit à la Nature et de sa fonction régulatrice du vivant, tandis que ses acteurs, son architecture et ses paysages ont été commis hors du destin idéal de la ville, hors de l’urbanité. En restreignant le monde agricole à une fonction exclusive de production alimentaire, n’avons-nous pas perdu au passage une fonction essentielle : l’art de transformer la Nature, d’y façonner des paysages habitables de manière à s’en nourrir tout en veillant à y maintenir nos colocataires, faune et flore ?
En parallèle de cette mutation historique du monde moderne vers une réalité globale, de nombreux architectes précurseurs se sont saisis de la question agricole pour rebattre les cartes et proposer d’autres projets-monde comme autant d’utopies.
 
Enfin, puisque le nouvel ordre climatique et la question d’un accès au sol pour tous nous invitent aujourd’hui à une nouvelle forme de partage, c’est collectivement que l’on doit valoriser la métropole et le monde agricole francilien pris ensemble. Sur les bases d’un travail pluridisciplinaire, agriculteurs, architectes, artistes, promoteurs, entrepreneurs, apiculteurs, écologues proposent de changer de point de vue sur le territoire, passant du zonage et de la prescription cartographique réglementaire à un ensemble de chantiers qui abordent les quartiers existants et les espaces cultivés selon leurs spécificités et les potentialités de leurs sols.
 
Le chantier d’une telle métropole agricole s’envisage à travers de nouvelles filières, embryonnaires pour certaines, croisant les métiers de l’agriculture et de l’urbain, comme une manière inédite de façonner le paysage, l’architecture et ses programmations : à partir des fermes existantes et à créer, se structure un réseau de nouvelles centralités civiques à l’échelle métropolitaine. Plutôt que de « naturaliser la société », il s’agit d’élargir l’horizon de notre vie et de notre monde, « d’expérimenter de nouveaux modes pour faire exister de nouvelles formes de vie, de rechercher plus de vie (2) ». Contribuer à réenraciner les innombrables lieux diffus de l’agglomération parisienne, redonner de la force aux sols d’Île-de-France, renforcer l’attractivité de ses paysages (3), c’est l’ambition de Capital Agricole, qui pour cela déterre le lien essentiel entre « l’habité » et « le cultivé », et nous emmène vers un URBANISME AGRICOLE.
 
1. Voir Simon Roger, « La moitié des terres dans le monde sont dégradées », Le Monde, 4 juillet 2018. 2. Comme nous y invite Serge Moscovici à travers ses œuvres consacrées à la dimension humaine de la nature, ici dans Réenchanter la nature. Entretiens avec Pascal Dibie, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2002.
3. Alors que les Franciliens sont propriétaires d’un peu plus de 30% des résidences secondaires du pays, on ne compte que 13000 maisons individuelles secondaires en Île-de-France, soit une sur cent quarante-cinq en France. Source Insee, SOeS, Estimation annuelle du parc de logements au 1er janvier 2016.

 
La rencontre entre la ville et la campagne n’est pas une question nouvelle. En 1873, l’écrivain Edmond About disait déjà à propos de la transformation des modes de vie de son époque : « Vous introduisez la campagne dans les habitations de la ville, et vous urbanisez l’entourage, les habitudes, le labeur même du campagnard. » Avant même la révolution industrielle, Paris et la plupart des grandes villes européennes s’étaient développées là où il y avait des terres fertiles et une agriculture organisée. Ainsi, si on a coutume de les opposer, ville et campagne sont loin d’être les territoires homogènes et parfaitement cloisonnés que l’imaginaire collectif, nourri par les beauxarts et la littérature, nous impose volontiers. L’ouvrage et la passionnante exposition qu’il accompagne s’attachent à nous faire découvrir ces interactions anciennes, multiples et variées, tout en nous invitant à réinventer le pacte multiséculaire qui les unit. L’urbanisation est aujourd’hui un phénomène incontestable, qui touche le monde entier. C’est aussi une réalité qui se vit à l’échelle locale, renforcée par l’avènement des métropoles et par la crise migratoire, qui produit ses premiers effets aux portes des villes. En parallèle, notre planète fait face à un défi écologique et alimentaire majeur. Prenant enfin conscience que les ressources de la Terre sont limitées et que le changement climatique fait peser sur notre avenir un grand danger, nous interrogeons nos façons de produire et de consommer. Nous avons une responsabilité civique et politique : celle de tout faire pour léguer aux générations futures un monde respectueux du vivant et de son environnement. Dans ce monde en évolution, l’opposition entre ville(s) et campagne(s) n’apparaît plus appropriée, tant elle induit de déséquilibres entre les territoires. Il nous faut décloisonner les espaces, rendre les frontières plus poreuses, accroître les échanges entre urbains et ruraux. La préservation des terres agricoles, notamment en lisière des villes, ainsi que la compréhension des enjeux de l’agriculture sont essentiels pour le devenir de la planète et de ses habitants. Au-delà, nous devons repenser la métropole parisienne dans son ensemble afin d’en faire un espace plus intelligent: un espace où peut s’épanouir la biodiversité, où urbains et ruraux s’enrichissent mutuellement grâce à de nouveaux échanges marchands et non marchands. Les circuits courts, la production d’énergies renouvelables, le développement des agro-matériaux, des biodéchets ou l’arboriculture sont des gisements d’emplois colossaux, des passerelles entre territoires et des manières de lutter contre la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Devançant souvent les décisions politiques, de nombreuses solutions alternatives émergent chez les agriculteurs, dans la société civile. Elles visent à redonner de l’équilibre, du sens et des racines – diversification des productions, transformation des produits, réduction traitements phytosanitaires, Amap, agriculture urbaine, jardins partagés en ville… Notre responsabilité est d’encourager ces initiatives et de faciliter leur mise en œuvre à grande échelle, afin de renouer avec une alimentation durable, de favoriser la proximité, la diversité et les pratiques respectueuses de l’environnement, de la santé des consommateurs et des producteurs. C’est ce que nous avons fait à Paris en nous engageant, début 2017, pour une agriculture urbaine créatrice de nouveaux liens entre urbains et ruraux, à travers le déploiement de la végétalisation, l’appel à projets «Les Parisculteurs», le programme « Cultiver en ville» ou encore le Plan alimentation durable, qui fait de notre collectivité le premier acheteur public d’alimentation biologique en France. La participation citoyenne est au cœur de ces projets, et essentielle à leur réussite. Consolider et repenser notre système agricole, réinventer les échanges, transformer nos villes et nos vies: tous ces défis ne pourront être relevés sans le concours de celles et ceux qui font vivre nos territoires. Cette manifestation parvient à nous plonger dans nos racines tout en dévoilant de nouveaux possibles. Retraçant une part méconnue de notre histoire qui se poursuit et se renouvelle aujourd’hui, elle dessine l’avenir.’
Anne Hidalgo, Maire de Paris
 

 

Utopies – Visions radicales (1930-2016)

Œuvre du poète irlandais Thomas More, Utopia met en scène une société qui répond à un problème apparu en Angleterre au XVIe siècle, l’épisode des « enclosures » : des comtés passant d’un régime agricole communautaire à un système de propriétés privées qui lèsent le monde paysan.
C’est de l’agriculture et de son usage commun que naît donc la première utopie. Plus tard, l’humanisme sera à l’origine de l’utopie architecturale, cette fois ancrée dans la réalité. Au XIXe siècle, le principe du phalanstère de Charles Fourier assure une vie harmonieuse aux travailleurs et à leurs familles, comme à « La Colonie sociétaire », dans les Yvelines, projet ayant pour base une colonisation de la terre.
 
Puis l’urbanisme moderne engendre une pensée hors-sol qui mène à la mondialisation. Pour les nouveaux utopistes, le monde est une architecture en soi et l’utopie sans lieu devient un super-lieu. Le concept d’anthropocène révèle que l’activité humaine est une contrainte géologique déterminante. Une idéologie défend la planète comme un contenant limité, l’autre comme un contenant infini.
 
 
Ainsi, Broadacre City (1930) de Frank Lloyd Wright joint urbain, agricole et nature en une parcelle familiale d’une acre dans un continuum couvrant les États-Unis et fixant un numerus clausus d’habitants.
 
 
La Ferme radieuse (1935) de Le Corbusier, optimisée, cloisonnée et coupée du monde urbain, consigne la place de l’agriculture. De même, le master plan New Corktown (2016) d’Albert Pope et Jesús Vassallo imagine d’immenses parcelles de sylviculture imbriquées entre des immeubles géants en bois, afin de réduire l’empreinte carbone de la ville de demain. Tandis que le projet Agricultural City (1960) de l’architecte japonais Kisho Kurokawa superpose la ville au-dessus des champs ; tout comme Oswald Mathias Ungers et Rem Koolhaas qui, associés à leur collectif, proposent «Berlin, archipel vert » (1977), une infinité de compositions imbriquant agriculture et nature parmi les îlots préservés d’une ville en ruines. Une hybridation qu’Andrea Branzi pousse à son paroxysme avec Agronica (1995), dispositif continu d’unités agricoles et urbaines prises dans un mouvement perpétuel. Habiter et cultiver sont issus d’un même verbe latin : colere.
 

Aujourd’hui, la nature en crise

Face à la nouvelle crise environnementale, la tendance moderne est à la sanctuarisation de la nature en vue de la préserver des actions humaines, dépossédant ainsi le monde agricole qui, depuis toujours, négociait les ressources grâce à sa connaissance profonde du vivant. Les urbains, devenus majoritaires, ont repris le flambeau, armés des nouvelles technologies mais dépourvus des savoirs ancestraux.
Par bonheur, hors cadre, des pionniers retissent les liens disparus. L’artiste Sylvain Gouraud, parti à la rencontre de ces nouveaux terriens d’Île-de-France, retrace les interactions propres aux mondes qu’ils habitent, faisant ainsi émerger les problématiques depuis le terrain et sans a priori. Sa démarche intimiste nous permet de saisir la complexité des usages de la nature sans passer par le prisme moderne qui oppose Nature et Culture. Les murs bétonnés d’un parking souterrain sont propices à la culture des champignons et les pelouses des supermarchés idéales pour le pâturage des brebis. Tandis que le modèle producteur/consommateur est repensé avec le système des Amap, les pleurotes atténuent la pollution des sols de la ceinture parisienne. (Ferme Sapousse à Pussay (Essonne), Ferme des Beurreries, près de Versailles, Les pépinières Chatrelauin à LeThillay dans le Val d’Oise, la ferme Cycloponics dans le 18e arrondissement de Paris, …)
 
Les femmes y sont sous-représentées en proportion de leur investissement dans notre resensibilisation au vivant, je regrette de n’avoir pas su trouver les mots justes pour les convaincre d’afficher leur place. L’autre écueil vient du fait que ces propositions se heurtent quasiment toutes à la légalité. Souvent tolérées par les instances publiques car évidemment bénéfiques socialement, elles n’existent que par la conviction de leurs auteurs. Un long travail de négociation politique, au sens noble du terme, reste à réaliser pour instituer ces zones hors structure susceptibles de faire émerger les solutions de demain. À cette fin, doivent être mis autour de la table les acteurs, les citoyens, les décideurs… et les artistes. »
Sylvain Gouraud

 

Demain, l’urbanisme agricole

Partir de l’existant, c’est partir des zones urbaines homogènes. Les grands ensembles sont largement dotés en sols: une activité agricole intensive peut-elle les enrichir ? Les zones d’activités inhabitées, archidépendantes de la voiture, occupent d’immenses espaces stagnants: ceux-ci peuvent-ils être cultivés et dédiés à la transformation des récoltes ? Les innombrables jardins fermés des zones pavillonnaires pourraient-ils, à l’inverse du mouvement des « enclosures », offrir un rhizome continu de sentiers et de cultures ? Et les espaces agricoles eux-mêmes, ne sont-ils pas susceptibles d’accueillir de l’habitat ?
 
La ferme est le pivot de cette transformation. Elle peut demain restructurer un réseau vicinal et un espace public, relier la ville aux champs et assurer une fluidité entre Paris et l’Île-de-France. Son architecture et sa programmation doivent apparaître dans sa forme et rassembler les fonctions d’un centre-ville, à l’instar des centres commerciaux actuels. Dans cette perspective, Pierre et Rémi Janin, architectes, paysagistes et éleveurs, pionniers de l’urbanisme agricole, nous montrent comment retrouver les sols d’Île-de-France et imaginent une typologie de fermes, neuves ou réhabilitées. Les Fermes de Gally, acteur majeur des innovations horticoles, ouvrent les pistes transversales de la valorisation des déchets urbains et de l’énergie fatale de la ville, mais aussi de sa dépollution, et s’attachent à la problématique centrale de l’enseignement et de l’apprentissage. L’écologue Florent Yvert propose de cultiver les espèces « sauvages » et de penser l’architecture de l’habitat et de la mobilité animale. Hugo Christy et Paul Jarquin, promoteurs de constructions exclusivement en bois, envisagent la part sylvicole déterminante dans la réalisation de bâtiments et d’infrastructures. Enfin, Olivier Darné, apiculteur artiste, rappelle et traite de la place essentielle de l’abeille. Autrement dit, tous envisagent un accès général à la culture !
 

Retrouver les sols

La reconsidération du sol et l’attribution nécessaire d’une valeur d’usage agricole et nourricière engagent à requalifier tous les espaces en portant une attention nouvelle aux lieux. Du croisement entre pratiques urbaines et agricoles émergent des potentiels, des espaces plurifonctionnels développant aussi des ressources complémentaires. Les espaces urbains deviennent alors des lieux d’échange qui accueillent des agricultures modulées.
Chacun peut aussi devenir un agriculteur temporaire, polyvalent, investi dans une capacité productive alimentaire commune, qui permet de prendre en considération l’importance du vivant. Dans les territoires périurbains, l’activité agricole permet également de donner un usage structurant et utile aux interstices résiduels, aux abords non utilisés qui, collectivement, coûtent cher en gestion et en entretien. Dans les espaces ruraux, l’ambition est de recréer un investissement agricole possible pour chacun, grâce à des lieux de friction développant une agriculture plurielle qui ne repose pas uniquement sur des pratiques et des acteurs spécialisés et professionnels, mais améliore la polyvalence des espaces.
L’enjeu est tout simplement de parvenir à une métropole nourricière qui s’empare de sa ressource première, la qualité du sol sur laquelle elle est construite, en en reconnaissant sa valeur et ses potentialités agricoles.
 
RECRÉER DES SOLS Production d’une variété de 4000 plantes aromatiques en culture hydroponique sur les toits d’un hangar de la RATP, société Aéromates, Paris, 2017. © Pascal Xicluna /Min.Agri.Fr
 

Relier pour mieux nourir

Pour l’architecte Pierre Janin, l’usage agricole de l’espace des réseaux de communication métropolitains peut faire naître demain une cohérence territoriale nouvelle, fondée sur un principe de diffusion rhizomique et productif. Les abords d’autoroutes, les délaissés des routes et chemins, les quais et bordures de canaux, les friches ferroviaires… représentent autant d’espaces et de corridors à investir et cultiver.
Des points de diffusion et de concentration d’une agriculture hybride, installés à l’intersection des flux, structureront ces nouveaux espaces agricoles. Pour rendre manifeste la présence relative à la gestion agricole des réseaux et de leurs espaces dédiés, le développement doit aussi être complété d’un système nomade assurant un statut identifiable aux acteurs agricoles itinérants: bergers métropolitains, pépiniéristes nomades ou transporteurs de compost.
En outre, la définition de nouveaux outils, espaces et machines spécifiques à l’exploitation des réseaux, pensés complémentaires et modulables, doit engendrer des lieux éphémères singuliers et rendre lisible l’utilisation renouvelée des réseaux de transport.
 
ALIMENTER PAR LES COURS D’EAU Livraison de fruits et légumes par le bateau de l’association Marché sur l’eau, qui offre aux citadins la possibilité d’acheter en direct des produits frais cultivés en Île-de-France. © Sylvain Gouraud
 
L’idéal urbain
 

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L’après-guerre amorce une métamorphose de la banlieue agricole. Mis en pratique sous l’impulsion de la Chartes d’Athènes (1933) et de la pensée de l’architecte Le Corbusier, l’urbanisme moderne va réorganiser les paysages et la vie des hommes. Les cultures spéciales sont alors considérées comme des reliquats archaïques d’un monde fini. Alors que certains y reconnaissent un modèle urbain et agricole prometteur, le général de Gaulle s’écrie : «Cette banlieue parisienne, on ne sait pas ce que c’est ! Mettez-moi de l’ordre dans ce bordel ! »
Une première vague massive d’urbanisation de grands ensembles est lancée autour de 1950 afin de résoudre crise du logement et insalubrité. Mais, pour compenser le manque d’équipements, coûteux, les villes-dortoirs sont accompagnées d’une nouvelle forme de nature : les espaces verts. Bases de loisirs et autres aires de jeux et de santé envahissent des pans entiers des cultures spéciales. La seconde vague est menée par Valéry Giscard d’Estaing : « La France de propriétaires » entraîne la prolifération soudaine de pavillons dont les jardins, ultime forme de nature, se substituent aux dernières parcelles cultivées.
Dès 1962, la Politique agricole commune entreprend de faire de l’Europe le premier exportateur agricole. Les terres franciliennes sont dédiées à une culture céréalière exportatrice pour un grenier mondial. La politique du remembrement procède à la refonte des multiples parcelles en immenses champs qui rentabilisent le travail mécanisé. Les bosquets, arbres, haies, trognes et, avec eux, chemins, abris, huttes, habitations et petits bâtis agricoles sont désintégrés. En à peine trois générations, l’épisode de la reconstruction moderne a non seulement amputé le monde agricole de sa fonction régulatrice du milieu vivant, mais encore de son urbanité, le commettant hors du destin idéal de la ville. La loi d’orientation foncière consacre en 1967 cette séparation en créant les zones réglementaires, encore aujourd’hui profondément ancrées dans nos esprits: agricole (A), urbaine (U) et de nature (N).
 

Réinventer les fermes

Pour l’architecte Pierre Janin, « Les fermes franciliennes ponctuent l’espace agricole commun. Positionnées à distance des routes de grand passage, mais proches de chemins vicinaux et d’exploitation qui leur assuraient un lien avec l’espace agricole, elles traduisent une organisation rurale ancienne. Construites généralement par addition et agrégation de constructions composites, leurs structures premières typiques ont été complétées au fil des époques par des bâtis annexes. Ainsi, les corps de ferme actuels sont des ensembles composites plurifonctionnels, associant les lieux d’habitations et des locaux agricoles pour le stockage des denrées, des animaux et du matériel.
Ce patrimoine agricole souvent peu considéré a été altéré et habillé par des écrans végétaux le dissimulant souvent dans le paysage francilien, rompant ainsi tout lien entre l’espace intérieur des fermes, leurs abords et les champs et cultures proches.
Il en résulte aujourd’hui une sorte d’isolement des fermes. L’évolution des pratiques agricoles, impliquant une diversification des métiers et l’émergence de circuits courts entre producteurs et consommateurs, entraîne la création de fermes d’un nouveau type, plus ouvertes, plus polyvalentes et acceptant de mélanger activités agricoles et urbaines en un même lieu. Le développement de pratiques agricoles sur de nouveaux territoires encourage également la construction de fermes hybrides, véritables lieux partagés aux programmes multiples : accueil, formation, échanges culinaires, séminaires, vente, gîte… La considération et la redéfinition du programme de la ferme contemporaine sont au cœur de la question de l’urbanisme agricole. Car c’est depuis la ferme que s’engage la restructuration des centralités, ponctuant l’ensemble de l’espace agricole de nouvelles modalités d’appropriation. INVENTER DES FERMES COLLECTIVES « Agrocité », site agricole et culturel, micro-ferme expérimentale, des jardins communautaires, des espaces pédagogiques et une série de dispositifs expérimentaux pour le chauffage, la collecte d’eau de pluie, la production d’énergie solaire, l’horticulture hydroponique et la phytoremédiation. Unité expérimentale du réseau R-Urban, Colombes, 2013-2017. © aaa 2014 »
 
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INVENTER DES FERMES COLLECTIVES «Agrocité », site agricole et culturel, micro-ferme expérimentale, des jardins communautaires, des espaces pédagogiques et une série de dispositifs expérimentaux pour le chauffage, la collecte d’eau de pluie, la production d’énergie solaire, l’horticulture hydroponique et la phytoremédiation. Unité expérimentale du réseau R-Urban, Colombes, 2013-2017. © aaa 2014

Cultiver la nature

Pour Florent Yvert, écologue, « Aborder la question de la biodiversité implique une réflexion sur notre culture de la nature, fondée sur les notions de danger ou de contrainte. La ville tourne le dos à la nature, s’en affranchit, tandis que la campagne tend à la maîtriser ou à la ranger dans des espaces dédiés. L’histoire récente de l’aménagement du territoire a induit une modification profonde de la plaine francilienne ; de sa géographie, de ses sols, de ses paysages et, en corollaire, des types de milieux naturels. Ajoutons à cela un effet pervers de la surabondance d’éléments nutritifs, azote et phosphore, présents dans les sols, dans l’eau et, dans une moindre mesure, sous forme d’aérosol. Ce sur-plus de nutriments limite paradoxalement l’expression de la diversité végétale naturelle par la sélection d’espèces particulièrement résistantes ou adaptées. Ce phénomène dit d’« eutrophisation» entraîne une uniformisation, voire une banalisation des végétations et, par extension, des milieux qui composent notre paysage.
En définitive, les milieux les plus riches du point de vue de la biodiversité sont avant tout les plus pauvres d’un point de vue agronomique. Si la reconquête de la nature, notamment par le métier d’agriculteur, apparaît désormais nécessaire, elle se heurte donc à cet existant profondément bouleversé. L’adage veut que la nature reprenne ses droits. Ceci est vrai en théorie mais seulement sur un temps très long et en l’absence des phénomènes qui contraignent son évolution spontanée : l’usage intensif du sol et la surabondance de nutriments, l’urbanisation. Or, ce temps long n’est pas celui de l’urgence à laquelle nous faisons face. L’enjeu est de restaurer, de recréer et de valoriser nos patrimoines naturels dits « communs », agricoles ou urbains. Alors comment refaire de la nature ? S’agit-il simplement de paysager des espaces, d’associer diverses plantes dans de la terre végétale ?
Les interactions entre les êtres vivants sont une des bases fondamentales de la notion de biodiversité. Il faut donc privilégier les relations complexes qui existent entre le sol et la végétation, et entre la végétation et la faune. Quand bien même l’infinie variété de toutes ces interactions nous échappe, nous savons que des mécanismes de reconnaissance entre les compartiments du vivant existent : l’association entre une plante et ses insectes pollinisateurs en est l’exemple le plus évident. Ce protocole de reconnaissance est déterminé par le code génétique des espèces en interaction. Or la production horticole a précisément pour but de simplifier le patrimoine génétique en vue de sélectionner des formes végétales conformes à nos attentes esthétiques, ou productives. Cette rationalisation fausse l’expression des caractères et ainsi ne garantit en aucun cas les codes de la reconnaissance.
Voilà un beau chantier : recréer des sols, produire et utiliser des espèces sauvages pour végétaliser nos espaces communs et ainsi permettre l’expression d’une dynamique naturelle. Notre science de l’agriculture se met au service de la production d’espèces, dont l’objet n’est pas la nutrition humaine, mais la végétalisation des éléments de notre patrimoine : les haies, les fossés, les bords de route, les parcs urbains, les terrasses… »
 

Demain, changer la règle

Pour l’architecte Augustin Rosenstiehl / SO, «  La révélation du passé laisse entrevoir que l’agglomération parisienne, si elle est partout cultivée selon les méthodes de l’agroécologie et sous l’élan technique de nouveaux spécialistes, peut offrir un cadre de vie qui redonne de l’attrait à de nombreux territoires en déprise. Oui, l’espace existant est suffisant pour répondre à la demande alimentaire de la capitale ! Son patrimoine agricole permet d’instaurer de nouveaux liens entre la ville et les champs en structurant production, transformation, vente, pédagogie, mais aussi culture et civilité pour une répartition plus équitable des richesses. Les fermes d’aujourd’hui et de demain, dont il faut réinventer l’architecture et la programmation, sont les « portes d’entrée » de cette mutation urbaine. À cette fin, les règles doivent évoluer :
  • Face à l’urbanisation aveugle, corréler valeur foncière et valeur agronomique des sols.  
  • 2- Relier pratique et recherche, mobiliser les moyens techniques et promouvoir les connaissances nécessaires à la création de filières agricoles métropolitaines et pallier ainsi la pénibilité ancestrale du travail et le désamour du métier.
  • 3- En finir collectivement et définitivement avec l’héritage moderne qui dissocie une Nature conçue comme un lieu de jouissance et de liberté et une Agriculture conçue comme un espace laborieux dédié à la seule production.
  • 4- Convaincre les décideurs de la ville d’intégrer le temps long des saisons agricoles pour qu’advienne enfin une politique Urbaine-Agricole.
  • 5- Entreprendre une réforme agraire et urbaine capable d’entraîner un dézonage territorial pour encadrer l’habitat agricole dans les espaces cultivés et toute forme de culture en ville. Le capital régional commun de demain sera largement agricole. « 
 
Exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal sous la direction de SOA / Augustin Rosenstiehl, architecte – Conception graphique : Sylvain Enguehard
 
Exposition présentée du 2 octobre 2018 au 27 janvier 2019 – Entrée libre
Visites guidées gratuites tous les samedis et dimanches à 15h.
Lieu : Pavillon de l’Arsenal – 21 Boulebard Morland – 75004 – Paris
 

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